TF1 ne fusionnera pas avec M6, Bouygues a jeté l’éponge. Suite à cette annonce, l’Arcep et l’Arcom ont publié leur avis sur ce projet. La première autorité faisait part de ses vives préoccupations, tandis que la seconde parlait d’un « impératif d’adaptation des modèles économiques des éditeurs ».
En mai de l’année dernière, TF1 et M6 annonçaient officiellement préparer leur fusion… un projet abandonné il y a quelques jours. « En accord avec les autres parties, Bouygues a décidé de mettre fin au processus d’examen de l’opération devant l’Autorité de la Concurrence », expliquaient les protagonistes dans un communiqué commun. L’Arcom a de son côté « pris acte » de cette décision.
Étant donné l’ampleur de l’opération, les régulateurs étaient appelés à donner leur avis à l’Autorité de la concurrence. Maintenant que le projet n’est plus à l’ordre du jour, l’Arcom et l’Arcep ont publié leur avis respectif. Que faut-il en retenir ? Des divergences d’opinions assez importantes, malgré une certaine convergence sur l’analyse du marché.
Les préoccupations de l’Arcep
L’Arcep rappelle que ce nouvel ensemble aurait regroupé « les deux premiers éditeurs privés de la TNT » et que ce projet intervenait dans « un contexte marqué par des mutations profondes du secteur (multiplication des plateformes de diffusion de contenus audiovisuels et modifications des modes de consommation) », avec « une concurrence intense entre les FAI et des tensions historiques entre les éditeurs TNT et les FAI ». Cette fusion soulevait donc « plusieurs préoccupations aux yeux de l’Autorité ».
En premier lieu, le nouvel ensemble aurait représenté « une forte part d’audience agrégée » de 38,5 %, après la vente des chaines 6Ter et TFX à Altice (contre 41,5 % si on additionne les audiences des groupes TF1 et M6). Ce délestage vers une partie tierce était prévu pour se conformer au dispositif anti-concentration. L’Arcep donne le détail de son calcul : « TF1 (19,7 %) + TMC (3,0 %) + TF1 Séries Films (1,9 %) + LCI (1,1 %) + M6 (9,1 %) + W9 (2,5 %) + Gulli (1,2 %) ».
« Il prendrait non seulement la position de premier groupe audiovisuel de la télévision gratuite en clair en France, loin devant France Télévisions à 28,9 % de part d’audience en 2021, mais regrouperait de plus les deux premières chaînes gratuites privées de la TNT », ajoute l’Arcep.
Pour le régulateur des télécoms, cela soulève aussi des questions sur les chaînes payantes, avec là encore une forte concentration sur un seul acteur : « Le groupe TF1 édite les chaînes thématiques suivantes, qui ne bénéficient pas d’autorisations d’émettre sur la TNT en France Métropolitaine : TV Breizh, Ushuaïa TV, Histoire TV. De la même manière, le groupe M6 édite des chaînes thématiques : Téva, M6 Music, Canal J, Tiji, MCM, RFM, TV, MCM Top. TF1 et M6 co-éditent la chaîne Série Club ».
L'Arcep ajoute que le nouvel ensemble aurait également détenu « une position forte sur les services et fonctionnalités associés aux chaînes, en particulier sur la télévision de rattrapage ». Or, ce point est un sujet plus que sensible lors des discussions avec les FAI par exemple.
Un avantage pour Bouygues ?
Le régulateur des télécoms ne se prive d’ailleurs pas de le rappeler : « La nouvelle entité possède ainsi des contenus incontournables, et par conséquent des éléments indispensables à l’attractivité des offres des distributeurs de service de télévision au rang desquels les FAI ».
Sur la question des fournisseurs d’accès à Internet, il ajoute : « Il semble en particulier que le nouvel ensemble pourrait être incité à proposer des offres avantageuses à Bouygues Telecom ou à la nouvelle plateforme (services exclusifs ou discrimination tarifaire) ».
Bref, « l’opération, si elle est autorisée, est susceptible de faire peser des risques sur le marché de la fourniture d’accès à internet, au détriment des utilisateurs. L’Autorité considère par conséquent nécessaire qu’elle s’accompagne d’un certain nombre d’engagements de la part des parties », qui sont détaillés dans les pages 22 et 23 de ce document.
Pour l’Arcom, il y a un « impératif d’adaptation »
Du côté de l’Arcom, l’avis est plus consistant avec pas moins de 248 pages, soit dix fois plus que celui de l’Arcep. La seule synthèse de ce long avis nécessite une quinzaine de pages. Dans sa conclusion, l’Arcom est plus mesurée que l’Arcep, parlant d’un projet « inédit à plusieurs titres ».
L’Autorité rappelle que cette fusion s’inscrit dans un « contexte de mutations industrielles profondes et structurelles », ajoutant que « toute la chaine de valeur, depuis les marchés amont de l’acquisition, jusqu’à la distribution et la diffusion du signal, s’en trouve impactée ».
Pour l’Arcom, « ces mutations mettent les acteurs historiques au défi de faire évoluer leur modèle éditorial », et donc leurs investissements. Selon elle, ces derniers doivent porter aussi bien sur des contenus attractifs que la « technologie nécessaire pour proposer une offre qui assure d’un côté la simplicité d’accès et, de l’autre, la qualité des programmes aujourd’hui exigée par les utilisateurs ». Bref, il en ressort donc un « impératif d’adaptation des modèles économiques des éditeurs »… mais pas à n’importe quel prix.
Des « effets notables », mais « d’ampleur variable »
Si des adaptations sont inévitables dans un cadre général, l’Arcom reste prudente dans ce cas particulier de rapprochement entre TF1 et M6 : « l’opération créerait un groupe occupant une position exceptionnelle face à des chaînes concurrentes, aux audiences fragmentées, qui peinent à assurer leur équilibre économique et à trouver leur modèle dans le contexte du défi numérique qu’elles subissent également ».
Ainsi, ce projet « susceptible de produire des effets notables, bien que d’ampleur variable, sur les marchés publicitaires, de l’édition et de la distribution, ainsi que sur les marchés de l’acquisition de programmes, sur lesquels, malgré l’émergence de pressions concurrentielles nouvelles, les parties continuent aujourd’hui à jouer un rôle central ». Ce n’est pas sans rappeler les inquiétudes de l’Arcep.
Bref, c’est un « oui, mais… » que l’Arcom a adressé à l’Autorité de la concurrence. Elle « considère que, si le contexte tend à conduire à un rapprochement des acteurs de l’audiovisuel, l’opération envisagée ne saurait être autorisée sans que soient réunies des conditions exigeantes dont il reviendra aux parties d’apprécier les effets au regard de leur projet ».
Les explications de l’Autorité de la concurrence
Juste après l’annonce de l’abandon du projet, Benoît Coeuré, président de l'Autorité de la concurrence, expliquait la situation à nos confrères des Échos : « Notre analyse a conclu que l'opération comportait des risques concurrentiels importants sur le marché publicitaire, sur les marchés de la distribution de la télévision par les revendeurs de bouquets de chaînes et, dans une moindre mesure, de l'acquisition des droits ».
Il explique que les protagonistes avaient certes proposé des « engagements comportementaux », mais rien de suffisant pour apaiser les craintes de l’Autorité de la concurrence. Pour Benoît Coeuré, il aurait fallu « un remède structurel de grande ampleur : une cession de chaîne et nécessairement d'une chaîne importante ». Problème pour les chaines, le projet de fusion n’avait alors plus d’intérêt…