L’article a été modifié. Il indiquait initialement que Bloctel ne publiait pas de statistiques sur les plaintes. En réalité, il publie dorénavant un chiffre global, sans détail chronologique, parmi d’autres données dont la publication a été rendue obligatoire par un décret applicable depuis le 1er janvier 2022.
Au 16 septembre, Bloctel indique un nombre de signalements, cumulé depuis le 1er octobre 2021, d’un peu plus de 265 000. Ce chiffre actualisé confirme l’ordre de grandeur avancé dans cet article, à savoir un niveau (élevé !) d’environ 20 000 signalements par mois.
Next INpact révèle que la Répression des fraudes a reçu plus de 90 000 signalements en cinq mois. Ce chiffre considérable témoigne des limites de la lutte contre les appels indésirables : la liste d’opposition Bloctel est largement bafouée. Données inédites.
L’aversion des Français pour les appels à visée commerciale est connue. Mais il est parfois difficile d’évaluer l’ampleur de ce ras-le-bol. Les statistiques dénichées par Next INpact comblent cette lacune : ils mettent à jour une avalanche de plaintes existant contre les démarcheurs.
En cinq mois, les services de la Répression des fraudes ont enregistré pas moins de 91 300 signalements pour démarchage téléphonique abusif. Chaque signalement porte sur un appel indésirable reçu par un consommateur inscrit sur la liste d’opposition Bloctel censée, justement, le mettre à l’abri desdits appels… Ce chiffre, qui concerne la période d’octobre 2021 à février 2022, place les appels commerciaux non sollicités en sujet n°1 des plaintes des consommateurs. Et de très loin…
Il est disponible presque par inadvertance. Next INpact l’a mis en évidence en fouillant dans les données, disponibles en open data, de SignalConso, la plateforme de signalement des problèmes de consommation gérée la Répression des fraudes (DGCCRF).
Les chiffres n’étaient pas publics jusqu’alors
D’ordinaire, les signalements concernant le démarchage téléphonique sont enregistrés ailleurs. Ils sont consignés par la liste d’opposition Bloctel, directement sur son site, où chaque inscrit peut les déclarer dans son espace personnel. Mais Bloctel ne publiait pas de statistiques agrégées jusqu’à ce moment (il en publie désormais).
Ce fonctionnement habituel a été perturbé lors du changement de prestataire de gestion de Bloctel, à l’automne dernier. Pendant cinq mois, le nouvel exploitant a été incapable d’enregistrer les plaintes, lesquelles ont alors été redirigées vers la plateforme de la Répression des fraudes.
Temporaire, cette situation présente un double intérêt : outre que les chiffres sont publics, cela permet de comparer le volume des plaintes pour démarchage téléphonique abusif aux autres motifs de plaintes enregistrées sur Signal Conso.
Le sujet devance donc tous les autres. Selon notre analyse des données, il réunit même quatre fois plus de signalements que la deuxième catégorie, pourtant assez vaste, intitulée « Achats (Magasin ou Internet) ». Cette dernière regroupe les signalements concernant, par exemple, des sites de vente en ligne peu fiables, des commandes non livrées ou encore des produits dangereux : elle compte à peine plus de 22 000 signalements sur la période analysée, loin des quelque 91 000 concernant le démarchage téléphonique abusif.

Un signalement = un appel illicite
Un tel écart s’explique-t-il par une spécificité liée au démarchage ? Le signalement porte sur un appel précis. Un même consommateur qui reçoit trois appels de démarcheurs dans la même journée peut parfaitement faire trois signalements différents, ce qui augmente mécaniquement le chiffre.
Encore faut qu’il soit motivé pour le faire ! Le système de signalement exige de mentionner le numéro de l’appelant. Il demande également le nom de l’entreprise à l’origine du démarchage. Un formalisme qui, à n’en pas douter, dissuade de nombreuses victimes de démarchage abusif d’enregistrer leur plainte et limite la multiplication des dépôts par une même personne. En tout état de cause, chaque signalement correspond bien à un appel non désiré.
La masse des signalements a fait surchauffer la plateforme Signal Conso. Lancée début 2020 par la Répression des fraudes (DGCCRF), elle permet d’alerter les autorités sur toute pratique douteuse, et éventuellement d’obtenir une réponse de l’entreprise concernée.
Deux tiers de l’ensemble des signalements
D’après notre exploration des données publiques, en 2021, elle enregistrait en moyenne entre 7 000 et 10 000 signalements par mois jusqu’à septembre. L’activation de la rubrique « Démarchage abusif » en octobre a fait s’envoler le nombre total, au-delà des 25 000 mensuels pendant cinq mois. Après sa désactivation, en mars 2022, le rythme mensuel est retombé autour de 13 000. Pendant les cinq mois en question, le démarchage abusif représentait, à lui seul, près de deux tiers des alertes de la base de données (64 %).


La masse des plaintes démontre, s’il en était besoin, que de nombreux professionnels ne s’embarrassent pas du respect de la liste d’opposition au démarchage Bloctel. Dans quels secteurs travaillent ces démarcheurs indélicats ? Les données publiques disponibles, anonymisées, n’offrent pas d’informations sur le sujet.
Rénovation énergétique et compte formation
Mais les témoignages sur les réseaux sociaux ou les articles de presse évoquent régulièrement quelques domaines : la rénovation énergétique (les appels n’ont pas disparu, malgré une interdiction totale de démarchage téléphonique pour ce secteur), les assurances et bien sûr la formation professionnelle, avec les fameux appels concernant le CPF (compte personnel de formation).
En novembre dernier, le gouvernement avait annoncé son intention d’interdire les appels pour le CPF. Mais le projet n’avait pas abouti. Des députés viennent de remettre le sujet sur la table, avec une proposition de loi. Étant donné l’ampleur du problème, il faudra sans doute plus qu’un encadrement sectoriel pour juguler le démarchage abusif.
Chronologie : comment les plaintes ont submergé Signal Conso
> 1er octobre 2021 : Bloctel change d’exploitant. Géré jusqu’alors par la société Opposetel, il est repris par Worldline. Le changement occasionne de multiples dysfonctionnements de la plateforme, dont les médias se sont fait l’écho (voir par exemple notre Brief du 4 octobre 2021, ou cet article de Ouest-France trois semaines plus tard). Toutefois, à l’époque, l’impossibilité de déposer un signalement pour démarchage abusif n’a pas été relevée.
> 4 octobre 2021 : Signal Conso prend le relais pour l’enregistrement des signalements de démarchage abusif. C’est en tout cas, dans les données publiques disponibles, la date du premier signalement pour le motif « Je reçois des appels indésirables alors que je suis sur Bloctel ». Leur nombre a ensuite rapidement augmenté : trois signalements pour ce motif le 5 octobre, quatre le 6 octobre, trente-trois le 7 octobre, et autour de 400 pour la journée du 8 octobre.
> Mi-octobre 2021 à mi-février 2022 : le système prend son rythme de croisière avec souvent plus de 500 alertes quotidiennes dédiées au démarchage abusif sur Signal Conso. Certains jours, les compteurs s’affolent et dépassent le millier.
> Mi-février 2022 : l’enregistrement des signalements est à nouveau rendu opérationnel sur Bloctel par Worldline. Toutefois, il reste actif en parallèle pour quelques jours sur Signal Conso : plus de 150 alertes y sont datées du 18 février, puis seulement une trentaine le 19 et ensuite une poignée jusqu’à début mars. Depuis ce moment, la base de données de Signal Conso ne mentionne plus aucune plainte pour le motif d’appels indésirables malgré l’inscription sur Bloctel.
> Aujourd’hui : Signal Conso possède bien une rubrique intitulée « Démarchage abusif : spam, appels indésirables malgré Bloctel ». Mais l’utilisateur qui la choisit est renvoyé vers Bloctel pour faire son signalement. Seule exception : « les appels pour effectuer des travaux ou sur la rénovation énergétique ». Ces plaintes sont bien enregistrées par Signal Conso, via la rubrique « Travaux / rénovation » de la plateforme, en raison de l’interdiction complète de démarchage pour cette activité. Du côté de Bloctel, le nombre de signalements est désormais publié, ce qui n’était pas le cas auparavant. Un chiffre global, sans détail chronologique, est accessible sur cette page, peu mise en évidence si l’on n’en connaît pas l’URL précis.