Le 4 juillet n’est pas seulement la Fête de l'Indépendance américaine, c’est également le jour de l’annonce de la découverte du boson de Higgs, près de 50 ans après sa théorisation. 10 ans plus tard, il est toujours là et soulève encore de nombreuses questions.
C’est le 4 juillet 2012 que le boson de Higgs a été découvert expérimentalement dans les détecteurs Atlas et CMS du CERN. Un « détail amusant » a beaucoup fait parler de lui à l’époque : la présentation était rédigée avec la police Comic Sans MS. Quoi qu’il en soit, c’est une découverte majeure de ces dernières années.
Du champ de Higgs au boson éponyme… et vice-versa
Nous ne reviendrons pas en détail sur le boson de Higgs en lui-même, sachez simplement que c’est « la seule explication qu’on ait à ce jour de l’origine de la masse des particules élémentaires », indique le physicien Alexandre Abi du CNRS.
On peut également vous citer la présentation de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, complexe au premier abord, mais non nécessaire pour la suite de l’article :
« Dans la description actuelle de la nature, chaque particule est une onde dans un champ. Par exemple, la lumière est à la fois une onde dans le champ électromagnétique et un flux de particules appelées « photons ».
Pour le boson de Higgs, le champ est apparu en premier. Dans l’hypothèse proposée en 1964, il s’agissait d’un nouveau type de champ présent dans tout l’Univers et donnant une masse à toutes les particules élémentaires.
Le boson de Higgs est une onde à l’intérieur de ce champ. La découverte du boson confirme l’existence du champ de Higgs ».
Pour la partie historique de cette découverte, vous pouvez lire cet article du CERN. Vous pouvez également regarder la série de vidéos ci-dessous. Sachez simplement qu’on ne peut pas « trouver » le boson de Higgs quelque part : « Il doit être produit au cours d’une collision de particules puis se désintégrer en d’autres particules qui peuvent alors être identifiées dans des détecteurs ». C’est ce qu’il se passe au LHC.
« Nous avons gratté la surface »… mais il reste beaucoup à faire
Cette avancée majeure venait « conforter la cohérence du modèle standard, modèle qui décrit en une seule équation le contenu en particules élémentaires de l'Univers ainsi que leurs interactions ». Un an plus tard, elle a valu à François Englert et Peter Higgs « le prix Nobel de physique pour des prédictions faites des décennies auparavant, conjointement avec Robert Brout, malheureusement décédé avant la découverte, concernant un nouveau champ fondamental, appelé champ de Higgs ». Robert Brout étant décédé en 2011, il n’a pu recevoir le prix Nobel, car ce dernier ne peut être donné à titre posthume.
Depuis, les travaux ont continué ; cette découverte ouvre d’ailleurs davantage le champ des possibles : « Les physiciens continuent d’affiner la mesure de ses paramètres et de percer les mystères de cette particule, à l’origine de la masse de toutes les autres particules élémentaires ».
« Les efforts menant à sa découverte l'an dernier peuvent être comparés à un sprint de 100 mètres. Et maintenant, nous entrons plutôt dans un long marathon pour vérifier toutes ses propriétés dans leurs moindres détails afin de pouvoir faire la différence entre plusieurs théories », déclarait Sergio Bertolucci (directeur de la recherche et de l'informatique au CERN) un an après cette découverte. « Nous avons gratté la surface. Mais il est clair que nous avons encore beaucoup à découvrir », ajoutait de son côté Peter Higgs en 2019.
« La découverte du boson de Higgs a été une étape marquante pour la physique des particules. C'était la fin d'une aventure d'exploration qui avait duré plusieurs décennies, et c'était en même temps le début d'une nouvelle ère d'étude de cette particule très spéciale », se souvient Fabiola Gianotti, directrice générale du CERN et responsable de l'expérience Atlas au moment de la découverte.
Des questions ouvertes en pagaille
Aujourd’hui, les scientifiques connaissent avec une grande précision sa masse, sa production et ses modes de désintégration les plus fréquents. Il reste encore tellement de réponses à trouver qu’il serait impossible de les lister ici. Voici quelques-unes des questions mises en avant par le CERN dans diverses publications :
- « Pourquoi existe-t-il trois familles de particules de matière ?
- Pourquoi le boson de Higgs a-t-il cette masse et pas une autre ?
- L’inflation de l’Univers peut-elle s’expliquer par le boson de Higgs ?
- Existe-t-il d’autres bosons de ce type ?
- Le boson de Higgs est-il une particule élémentaire ou une particule composite ?
- Peut-il interagir avec la matière noire et pourrait-il nous révéler la nature de cette mystérieuse forme de matière ?
- Qu'est-ce qui produit la masse du boson de Higgs et son auto-interaction ? Le boson de Higgs a-t-il des frères, ou des cousins ? »
Les réponses à ses questions peuvent avoir des répercussions importantes pour la connaissance de notre monde au sens très large du terme. Par exemple cela pourrait nous indiquer comment « l'Univers a pris sa forme actuelle, et quel sera son sort ultime. L'interaction du boson de Higgs avec lui-même, en particulier, pourrait être cruciale pour notre compréhension du déséquilibre entre matière et antimatière et de la stabilité du vide dans l'Univers ».
48 ans entre la théorie et la confirmation
Le CERN rappelle que, parmi les particules élémentaires, « le boson de Higgs détient le record du temps écoulé entre la prédiction d’une particule et sa découverte (48 ans) ». Cette particule est donc passée d'entité quasi mythique (presque une licorne) à vedette de la physique des particules. Le Grand collisionneur de hadrons (LHC) a largement profité de cette exposition.
L’histoire du LHC est en effet intimement liée à celle du boson de Higgs. Le Grand collisionneur de Hadrons a pour rappel démarré un matin de septembre 2008. C’est en effet le 10/09 à 9h30 que le premier faisceau est injecté dans le LHC : « Moins d'une heure plus tard, un faisceau effectue le tour complet de l'anneau, suscitant une grande émotion dans le Laboratoire. C'était la fin d'une longue attente ».
Si la presse s’était largement emparée du sujet, ce n’était pas que pour l’aspect scientifique : « quelques individus actifs sur les réseaux sociaux avaient agité les esprits en prétendant que le LHC créerait un trou noir capable d'avaler l'Univers », se souvient Lyn Evans (directeur du collisionneur linéaire collaboration au CERN)
Pour la petite histoire, le LHC a connu une première panne importante dès septembre 2018 : « au cours d'une montée en énergie, l'une des 10 000 connexions supraconductrices entre les aimants ne résista pas, entraînant des dégâts considérables. Il nous fallut plus d’un an pour rétablir la situation », explique Lyn Evans.
Le LHC n’a pas dit son dernier mot…
Le CERN tient à souligner « que tous les résultats du LHC obtenus à ce jour se fondent sur 5 % seulement de la quantité totale de données qu'aura produit le collisionneur pendant sa durée de vie ». « Avec cet échantillon “réduit”, si l'on peut dire, le LHC a permis des avancées considérables dans notre compréhension des particules élémentaires et de leurs interactions […] Même si tous les résultats obtenus à ce jour concordent avec le Modèle standard, il reste beaucoup de possibilités pour de nouveaux phénomènes au-delà de ce que prédit la théorie », ajoute Michelangelo Mangano, théoricien au CERN.
Les attentes sont importantes, comme l’indique Luca Malgeri, porte-parole de l’expérience CMS : « Le boson de Higgs lui-même pourrait nous révéler des phénomènes nouveaux, y compris des phénomènes susceptibles d'expliquer la matière noire de l'Univers. ATLAS et CMS réalisent de nombreuses études pour explorer des processus inattendus auquel participerait le boson de Higgs ».
Après un second Long Shutdown (LS2), des faisceaux de protons circulent à nouveau dans le LHC depuis quelques semaines seulement. Les choses sérieuses se mettent doucement en place pour arriver à une énergie de 13,6 TeV. Pour ce Run 3, 2,5 fois plus de collisions sont attendues. Avec la phase haute luminosité HL-LHC qui devrait débuter aux alentours de 2030, « jusqu’à dix fois plus de données seront disponibles pour les analyses. De quoi, sans doute, apporter des réponses à certains casse-tête de la physique fondamentale ».
Vers la construction d’une « usine à Higgs » ?
Cependant, les scientifiques pensent que la réponse à certaines questions restera hors de portée du LHC (y compris avec les améliorations), ce qui rendrait nécessaire la construction d'une « usine à Higgs ». Le CERN et ses partenaires sont en train « d'étudier la faisabilité technique et financière d'une machine beaucoup plus grande et bien plus puissante, le Futur collisionneur circulaire, conformément à une recommandation figurant dans la mise à jour la plus récente de la stratégie européenne pour la physique des particules ».
Le CERN en profite enfin pour s'envoyer quelques lauriers en rappelant que « les technologies utilisées pour les accélérateurs, les détecteurs et l'informatique associée ont déjà eu un impact positif et profond sur la société : invention du World Wide Web, développement de technologies de détecteur qui ont permis de mettre au point la tomographie par émission de positons (scanners PET), ou encore conception d'accélérateurs pour l'hadronthérapie servant au traitement du cancer ».