Si vous avez envie de profiter d’IPv6 sur votre accès Internet fixe, il faut privilégier Free ou Orange ; à contrario Bouygues Telecom est largement en tête sur le mobile. C’est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Comme le rappelle l’Arcep, bon nombre d’autres maillons de la chaine trainent des pieds.
Le régulateur des télécoms vient de mettre en ligne son baromètre annuel sur l’adoption d’IPv6. Cette norme n’a rien de nouveau puisque, pour rappel, elle a été finalisée en 1998 : « La transition vers le protocole IPv6 a démarré en 2003. Cependant, en 2021, Internet n’en est encore qu’à la phase de cohabitation. IPv4 et IPv6 vont coexister tant qu’IPv6 n’a pas été généralisé au niveau de tous les maillons de la chaîne d’Internet ».
En Europe, la pénurie a déjà deux ans
Or, comme nous l’avons déjà expliqué à maintes reprises, le marché fait face à une pénurie d’adresses IPv4 depuis maintenant deux ans ; le RIPE NCC (le registre régional d'adresses IP qui alloue les IPv4 pour l'Europe et le Moyen-Orient) l’a officiellement annoncé en novembre 2019.
L'Arcep rappelle que « faire perdurer Internet en IPv4 ne l’empêchera pas de fonctionner, mais l’empêchera de grandir ». Deux principaux points sont mis en avant : « dysfonctionnement de certaines catégories de services » et « barrière à l’entrée significative à l’encontre des nouveaux acteurs », qui ont du mal à obtenir des adresses IPv4.
Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne sont pas épargnés : « Les principaux opérateurs français (Bouygues Telecom, Orange, SFR) ont déjà affecté entre environ 93 % et 98 % des adresses IPv4 qu’ils possèdent, à fin juin 2021 ». Free n’a pas communiqué ses chiffres, impossible donc de savoir ce qu’il en est.
Avant de penser à remplacer IPv4 par IPv6 il faut migrer l’ensemble des sites, équipements et FAI vers la « nouvelle » norme. Un changement brutal est impossible à mettre en place, il doit donc s’inscrire dans la durée… mais le constat de l’Arcep est le même année après année : cela traine des pieds.
IPv6 sur le fixe : plus de 99 % chez Free, 4,1 % chez SFR
Comme à son habitude, l’Arcep propose un coup d’œil global des différents maillons de la chaine technique. Les ordinateurs et smartphones sont capables d’utiliser IPv6 sans problème depuis des années, contrairement aux objets connectés où la migration est faible, voire nulle : IPv6 est intégré « mais n’est pas activé par le constructeur ».

Les équipementiers sont de bons élèves avec un taux très important de matériel compatible : Cisco, Juniper et Nokia ont « indiqué que toutes leurs solutions réseau commercialisées (routeurs, etc.) étaient systématiquement compatibles IPv6p », affirme l’Arcep.
Problème, ce n’est pas le cas des systèmes d’informations des entreprises/administration, des hébergeurs et des fournisseurs de contenus. Les FAI, les opérateurs mobiles, l’infrastructure DNS et les transitaires représentent le ventre mou, avec une migration partielle, derrière laquelle se cachent de grandes disparités.
Chez les FAI français sur le fixe, Free arrive encore largement en tête avec plus de 99 % de clients activés en IPv6 (99 % en 2020), c’est-à-dire dont la box « émet et reçoit effectivement du trafic en IPv6, soit grâce à une activation manuelle de sa part, soit grâce à l’activation effectuée par l’opérateur ».

Orange reste en seconde position avec 83 % de clients activés (+8 points en un an). Bouygues Telecom est loin derrière avec 44 % (+16 points) et SFR ferme de nouveau la marche avec 4,1 % seulement (+3,5 points). En deux ans, Free, Orange et Bouygues Telecom ont tous progressé (avec une hausse d’environ 20 points en moyenne), tandis que SFR a… reculé de 3,6 points (6,7 % en 2019 et 1,6 % en 2020).
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Le régulateur se penche aussi sur le cas des clients « IPv6-ready », c’est-à-dire quand l’utilisateur est « en mesure d’activer lui-même IPv6 sur sa box (le réseau et la box sont compatibles) ».
Puisque les clients de Free sont activés, ils sont évidemment « ready », sauf sur la 4G Fixe où le taux de IPv6-ready est de 0 %. Idem chez Bouygues Telecom et Orange. Seule SFR se distingue sur la 4G Fixe avec 100 % de clients éligibles, mais seulement 30 % à en profiter dans la pratique.
SFR pourrait avoir de meilleurs résultats globaux puisque 100 % de son réseau xDSL et 42 % de son réseau FTTH est IPv6-ready… pour seulement 1 et 11 % respectivement de clients activés en IPv6. « La politique d’activation d’IPv6 sur les box des principaux opérateurs explique » cette différence.
On remarque que le réseau de collecte en xDSL (utilisé pour le dégroupage par Bouygues Telecom, Free et SFR) est à 0 % de clients IPv6-ready chez l’ensemble des opérateurs alternatifs.

SFR reste complètement à la ramasse sur ses prévisions
Les FAI se livrent aussi à un exercice de prévision pour les années à venir. Si l’on compare avec celles de l’année dernière, on voit assez peu de changement dans les stratégies générales.
Orange et Bouygues Telecom prévoient de rejoindre (ou de fortement s’approcher) de Free d’ici mi-2024 avec des taux de clients activés entre 90 et 100 % pour le premier, et 85 à 95 % pour le second. La marque au carré rouge prévoit de rester à la traine encore plusieurs années. Mi-2024, elle ne pense pas dépasser… 35 %.
« Désactiver » IPv6, le pare-feu optionnel chez Free, partage d’IP
L’Arcep distribue des bons points : « il n’est pas possible de désactiver IPv6 sur les box de Bouygues Telecom, Free et SFR (en FttH), ce qui constitue une bonne pratique. Pour le reste des clients SFR en xDSL, l’activation doit être réalisée par le client, via un paramétrage de la box ».
Se pose aussi la question des protections : « Bouygues Telecom, Orange et SFR suivent une autre bonne pratique qui consiste à mettre en place pour leurs clients un pare-feu IPv6 activé par défaut et qui peut être configuré. Free propose un pare-feu uniquement en option et non configurable ». Pour rappel, en IPv6 chaque appareil dispose de sa propre adresse et peut donc être visible directement depuis Internet sans firewall propre à chaque appareil.
Le régulateur se penche sur le partage des adresses IPv4 entre les clients, une technique mise en place par les FAI pour faire face à la pénurie : « La majorité des clients du réseau fixe de Free (75% en xDSL et 85% en FttH) ainsi qu’une faible part des clients de Bouygues Telecom (5% en xDSL et 2% en FttH) ont une adresse IPv4 partagée. Cependant, ces opérateurs proposent gratuitement une adresse IPv4 dédiée sur demande […] Depuis cette année, certains clients de SFR ont également une adresse IPv4 partagée (8% en FttH) et cet opérateur ne propose pas d’adresse IPv4 dédiée sur demande ».
FAI alternatifs et pour les pros
Le gendarme des télécoms ne se limite pas aux quatre « gros » opérateurs et propose aussi une analyse de ceux ayant entre 5 000 et 3 millions de clients. Orne THD est toujours en tête avec 100 % de clients activés en IPv6, suivis par Vialis à 88 % (+87 points) et Coriolis Telecom à 72 % (- 4 points). Les autres sont à moins de 25 % d’activés.
« Les taux de clients activés en IPv6 chez Coriolis (72%), K-Net (17%) et OVH Télécom (19%) ont diminué par rapport à l’année dernière, ce qui semble préoccupant », regrette l’Autorité. Bon nombre de FAI (Alsatis, Bigblu, Canal+, Nordnet, Ozone, SFR Carïbe et Réunion Mayotte, Tubéo, VidéoFutur et Wifirst) sont à 0 % et les prévisions pour mi-2022 sont assez peu encourageantes dans l’ensemble.

L’Autorité rappelle que « suite aux signalements reçus sur la plateforme "J’alerte l’Arcep" concernant les difficultés de certaines entreprises pour obtenir des offres IPv6 de la part de leurs opérateurs », elle propose désormais un baromètre pour des offres Pro. Bouygues Telecom est à 53 % (+23 points) de clients activés en IPv6, Orange à 11 % (+10 points) et SFR se distingue de nouveau avec… moins de 1 % (stable sur un an).
Ce dernier ne prévoit pas franchement de changement dans les années à venir. Free s’est pour rappel lancé sur ce marché en mars de cette année, mais il n’est pas encore dans ce baromètre.
SFR se réveille sur le mobile, Free complétement à la ramasse
Sur le mobile, c’est le statu quo dans les deux extrêmes : 87 % des clients de Bouygues Telecom sous Android et plus de 99 % de ceux sur iOS sont activés en IPv6, contre respectivement… 1 et 0 % chez Free Mobile. Orange continue de progresser doucement sur iPhone avec 66 % (+6 points) et Android avec 47 % (+12 points).
SFR se réveille enfin avec 13 % des terminaux Android et 90 % de ceux sous iOS activés en IPv6. Lors du précédent baromètre, la marque au carré rouge ne dépassait pas 0,2 % dans les deux cas. Elle prévoit désormais de passer à 60/70 % de clients Android activés en IPv6 d’ici mi-2024 et plus de 99 % sur iOS dans le même temps
Orange prévoit 65 à 75 % sur Android et 90 à 100 % sur iOS, contre respectivement 85 à 95 % et +99 % pour Bouygues Telecom. Reste donc le cas du vilain petit canard sur le mobile : Free Mobile, qui n’a tout simplement pas donné ses prévisions pour les années à venir.
Le régulateur invite par contre l’ensemble des opérateurs à « accélérer le déploiement d’IPv6 sur leurs offres "data
uniquement" ». C’est particulièrement le cas sur iOS où SFR n’est qu’à 50 %, Bouygues Telecom à 23 % et Orange à 14 %, bien loin des taux des iPhone sans partage de connexion.

La foire des MVNO, certains ne comptent même pas décoller du 0 %
Chez les opérateurs virtuels, c’est très variable également. Nordnet et Ozone sont à plus de 50 %, Prixtel, Bazile Telecom et La Poste Mobile et Afone sont entre 27 et 46 %. Euro Information Telecom (Auchan, Cdiscount, CIC/Crédit Mutuel et NRJ Mobile) qui a été rachetée par Bouygues Telecom est à 16 %.
China Telecom, Coriolis, Lebara, Lycamobile, Syma et Transatel sont à 0 %… et ne prévoient pas de bouger d’ici mi-2022. Ceux pour qui les activations ont déjà commencé anticipent par contre une hausse des activations, souvent aux alentours d’une vingtaine de points.

Les hébergeurs sont « un des principaux goulots d’étranglement »
Passons maintenant de l’autre côté des tuyaux, avec les hébergeurs pour commencer. La situation n’est pas reluisante et ils « représentent encore l’un des principaux goulots d’étranglement dans la migration vers IPv6 : sur les principaux sites visités par les Français selon le classement Alexa, seuls 29% sont accessibles en IPv6 (contre 26% en octobre 2020) ». Le régulateur rappelle qu’il considère un site comme accessible en IPv6 lorsqu’il dispose d’un enregistrement IPv6 (« AAAA ») au niveau du serveur DNS.
Par contre, 62 % des pages sont accessibles en IPv6, un chiffre bien supérieur à celui des hébergeurs. Cette différence s’explique simplement : « les petits fournisseurs de contenu proposent souvent des sites web (au nombre de pages consultées généralement faible) non compatibles avec IPv6 ».
Sur les 3,52 millions de sites web en .fr, .re, .pm, .yt, .tf et .wf, seulement 20 % sont disponibles en IPv6, contre 17,9 % l’année dernière et 10,5 % en 2015. « Le rythme de cette évolution semble loin de pouvoir permettre une transition complète dans les prochaines années », regrette l’Autorité.

Attention, ces chiffres cachent une autre réalité : le taux de sites accessibles en IPv6 est en baisse chez certains hébergeurs. Il passe de 98 à 58,4 % chez Cloudflare, de 11,1 à 6,1 % chez Amazon, de 1,1 à 0 % chez Wix… OVHcloud grimpe au contraire de 6 points pour arriver à 12,2 %. Il pousse l’ensemble vers le haut puisqu’il représente plus de 1,4 million de domaines loin devant ses concurrents : Ionos est second avec 390 000, Gandi 3e avec 264 000, etc.
Sujet d’inquiétude pour l’Arcep : le spectre d’un Internet scindé avec IPv4 d’un côté et IPv6 de l’autre. Alors qu’il y avait 514 sites en IPv6-only en 2020, il y en a désormais le double (1028) cette année. Les clients en IPv4 ne peuvent donc pas y accéder. Si vous êtes chez Free Mobile ou chez SFR sur le fixe par exemple, ce n’est pas gagné…
Mails : Google largement en tête, Scaleway second (loin derrière)
Concernant les hébergeurs mail, la situation est facile à résumer : il y a « un très fort retard : seuls 7,4% des serveurs mail sont à ce jour adressés en IPv6 sur l’intégralité des .fr, .re, .pm, .yt, .tf et .wf (contre 6 % à mi-2021) ». Avec une hausse de seulement 1,4 point, il faudra encore des années…
L’Autorité en rajoute une couche : « un certain nombre d’entre eux comportent un niveau de redondance en IPv6 inférieur à celui atteint en IPv4, et est donc susceptible de poser des problèmes de résilience ». Seul Google fait office de bon élève avec plus de 90 %, les autres n’ont que quelques pouièmes en IPv6, excepté Scaleway (14,3 %).
À contrario, l’infrastructure DNS est « le secteur le plus en avance dans la transition vers IPv6 avec environ 75% des serveurs faisant autorité supportant IPv6. Environ 72 % des serveurs DNS garantissent une résilience d’IPv6 équivalente à celle d’IPv4 (niveau de redondance identique) ».
L’État ne montre toujours pas l’exemple
L’Arcep propose enfin une analyse des sites et services en ligne de l’État (.gouv.fr) car, pour l’Autorité, « l’exemplarité de l’État dans la transition vers IPv6 étant un des leviers importants pour accélérer la migration »… mais ce n’est pas gagné. « La grande majorité ne soit encore accessible qu’en IPv4 et que la progression soit très limitée par rapport à l’année dernière » : 2,9 % des sites principaux (+0.8 point) et 0,9 % (-0,7 point) des sites secondaires.
L’hébergement mail est toujours à 0 %, le DNS passe de 45,5 à 55 %.

Utilisation d'IPv6 : la France 4e en Europe, 6e dans le monde
Dernier point de l’observatoire, le taux d’utilisation d’IPv6. Il « représente le pourcentage d’utilisateurs en IPv6 mesuré au niveau d’un hébergeur (qui propose déjà IPv6) » : « Ce taux tel qu’observé par Google atteint à ce jour presque 50 % en France ».
« Au niveau mondial, la France passe de la dixième place à fin 2020 à la sixième place aujourd’hui en termes de taux d’utilisation d’IPv6 d’après la médiane des quatre principales sources de données publiquement disponibles pour évaluer l’utilisation d’IPv6 (Google, Akamai, Facebook et Apnic) ». L’Inde est largement en tête avec 65,8 % (+2,2 % en un an), tandis que la Roumanie est 30e avec 22 %.
L’Hexagone est le quatrième pays européen derrière la Belgique (54,5 %), l’Allemagne (51,6 %) et la Grèce (49 %). De grosses disparités existent sur le vieux continent : la médiane de l’Europe de l’Ouest est à 46,7 % d’utilisation en IPv6, contre 29,4 % pour le Nord, 10,7 % pour l’Est et 9,1 % pour le Sud.
Après avoir publié un guide sur « pourquoi passer à IPv6 » à destination des entreprises, l’Arcep en met en ligne un nouveau sur « comment passer à IPv6 ». Il est publié par la task-force IPv6 du régulateur et « destiné prioritairement aux experts des systèmes d’information des entreprises afin de les aider à mettre en œuvre la transition vers IPv6 ».
