Le déploiement d’IPv6 ne décolle toujours pas en France, même si on note des progrès chez les FAI, sauf chez SFR qui arrive à faire moins bien que l’année dernière. Nouveauté de cette année, l’Arcep se penche sur les offres « Pro » et plus de 200 sites gouvernementaux, qui ne montrent pas vraiment l’exemple de la transition vers IPv6.
En guise de préliminaire, l’Arcep rappelle que l’Europe connaît une pénurie d’adresses IPv4, annoncée officiellement par le RIPE NCC (Europe et Moyen-Orient) le 25 novembre 2019. Internet continuera évidemment de fonctionner, mais si cette pénurie perdure, elle « l’empêchera de grandir ». La solution existe depuis 20 ans : IPv6.
La pénurie entraine des risques
Il faut également prendre en compte les « risques que présentent les solutions permettant de continuer le fonctionnement d’Internet sur IPv4 malgré le manque d’adresses ». Le régulateur cite deux exemples : le partage d’adresses IPv4 entre plusieurs clients (partage de ports) pouvant provoquer des dysfonctionnements pour certains services, et le prix de revente des IPv4 sur le marché secondaire qui « est susceptible d’ériger une barrière à l’entrée significative à l’encontre des nouveaux acteurs ».
Depuis plusieurs années, l’Arcep milite pour le passage à IPv6. Une synthèse des principales embuches et des pistes d’actions a notamment été mise en ligne en 2019, avec la création d’une Task Force dédiée. Le nombre de clients en IPv6 des quatre FAI nationaux était très faible, mais les scores se sont légèrement améliorés au cours de l’année.
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Qu’en est-il en 2020 ? Le gendarme des télécoms répond à cette question avec son nouvel observatoire. Il ne s’intéresse pas qu’aux FAI, car il faut que l’ensemble des maillons de la chaîne permettant d’accéder à Internet supporte ce protocole.
99 % des clients Free activés en IPv6, 1,6 % de ceux de SFR
Avant d’entrer dans le vif du sujet, un rappel sur deux termes utilisés par le gendarme des télécoms :
- IPv6-ready : un client est en mesure d’activer lui-même IPv6 (le réseau et la box sont compatibles).
- IPv6 activé : la box émet et reçoit effectivement du trafic en IPv6, via une activation manuelle ou automatique.
En termes de clients activés sur le fixe, Free est largement en tête avec 99 %, soit 19 points de plus par rapport au précédent observatoire (il y a un an). Orange grimpe de 7 points pour arriver à 75 % et Bouygues Telecom de 8 points à 28 %. SFR est par contre largement à la traine avec 1,6 % seulement… soit une baisse de 5,1 points.
Alors que la marque au carré rouge était déjà en dernière position fin 2019, elle réalise « l’exploit » de baisser significativement son score, à contre-courant donc des autres opérateurs et de la tendance mondiale. « Cette régression, principalement liée à la diminution des clients activés en FTTH, est préoccupante en raison de la pénurie d’IPv4 », note le gendarme. Il ne donne pas d’explications, mais plusieurs témoignages sur les forums de lafibre.info font état de clients FTTH qui avaient de l'IPv6 et qui l’ont perdu « subitement ».
De plus, les prévisions des activations à venir sont insuffisantes pour le régulateur : entre 5 % et 15 % mi-2022 et 10 % à 20 % mi-2023. Dans trois ans, la marque au carré rouge ne prévoit donc même pas de rattraper l’actuel score de Bouygues Telecom.
Bouygues Telecom et SFR doivent revoir leur copie
L’Arcep invite la société à « accélérer fortement sa transition vers IPv6 sur son réseau fixe, en particulier sur le FTTH, et a entamé cette transition sur le câble ». De plus, « une grande majorité des clients n’activant pas IPv6 manuellement, SFR est encouragée à réaliser cette activation par défaut de façon systématique ».
Le bilan de Bouygues Telecom est également « insuffisant pour faire face à la pénurie », l’opérateur est donc « à nouveau encouragé à poursuivre et accélérer les efforts ». Par contre, elle est satisfaite des taux actuels de clients activés chez Free et Orange, qui « sont relativement élevés ».
Le désert de la 4G fixe et des petits opérateurs
Sur la 4G fixe, c’est le désert chez Bouygues Telecom, Free et SFR : 0 pointé aussi bien sur les indicateurs IPv6-ready et activé. Orange est à 100 % de « ready »… pour seulement 1 % d‘activé.
Chez les petits opérateurs, ayant entre 5 000 et 3 000 000 de clients, le constat est amer : « Les prévisions de la plupart des opérateurs […] restent inexistantes ou nettement insuffisantes en termes d’objectif et de rythme, bien que certains de ces acteurs soient bien avancés dans leurs déploiements ».
C’est le cas d’Orne THD à 100 % de clients activés, de Coriolis à 76 %, de K-Net à 24 % et d’OVH Telecom à 21 %. Ils sont par contre plus d’une dizaine à 0 %.
Moins de 1 % des clients Pro d’Orange et SFR en IPv6
Le régulateur indique avoir reçu plusieurs signalements sur sa plateforme J’alerte l’Arcep concernant des difficultés de certaines entreprises pour obtenir des adresses en IPv6 sur le fixe. L’observatoire s’intéresse donc aux offres « Pro », et c’est la cata : 30 % des clients sont en IPv6 chez Bouygues Telecom, qui arrive très largement en tête. Orange et SFR sont à égalité avec 0,9 % seulement.
Pourtant, 100 % des clients de SFR en xDSL sont IPv6-ready, mais avec seulement 1,8 % d’activés. Les prévisions pour l’année prochaine sont peu ambitieuses et aucun des trois opérateurs n’arrive ne serait-ce qu’à 50 % de clients activés sur l’une des technologies du fixe : xDSL, FTTH, FTTLA (terminaison coaxiale) et 4G.
Bouygues au taquet sur le mobile, Orange se réveille
Vous ne trouvez pas la situation du fixe spécialement reluisante ? Attendez de voir le mobile…
Bouygues Telecom se démarque très fortement de la concurrence avec 87 % des terminaux Android activés en IPv6 et 98 % des iPhone, mais seulement 23 % des offres data uniquement.
Orange est second avec 35 % des smartphones Android (15 % seulement en partage de connexion), 60 % des iPhone (0 % en partage de connexion) et 0 % en offre data. Free Mobile et SFR sont à 0 % dans quasiment toutes les situations, seul 0,2 % des terminaux Android sont activés en IPv6 chez la marque au carré rouge.
L’Arcep indique que « SFR a revu à la hausse ses prévisions et envisage 100 % de clients IPv6-ready à mi-2021 »., mais les chiffres en activés sont bien plus faible : 10 à 20 % sur Android, 85 à 95 % sur iPhone. Concernant Free Mobile, c’est une autre chanson : « Il est particulièrement regrettable que [l’opérateur] n’ait pas encore entamé la transition de son réseau mobile à ce jour et n’ait pas été en mesure de transmettre des prévisions ».
SFR à 0 % sur les offres mobiles Pro
Comme sur le fixe, l’observatoire s’intéresse aussi aux offres mobiles Pro. Bouygues Telecom domine encore largement les débats avec 87 % des terminaux Android activés en IPv6 et 96 % des iPhone, suivi par Orange avec respectivement 25 et 60 %, tandis que SFR est encore au ras des pâquerettes avec 0,2 et 0 %. Les offres data uniquement sont encore à la traine : 20 % seulement chez Bouygues Telecom, 0 % chez les autres.
SFR prévoit de redresser fortement la barre l’année prochaine avec 10 à 20 % des Android et surtout 85 à 95 % des produits Apple, des estimations identiques à celles des offres grand public.
Sur les petits opérateurs mobiles (5 000 à 3 000 000 de clients), c’est toujours un 0 pointé pour dix d’entre eux. Seul le Réunionnais Zeop a commencé les activations, avec 23 %, soit 10 points de plus en un an.
Les hébergeurs sont « l’un des principaux goulots d’étranglement »
Après le réseau de votre FAI, encore faut-il que le service distant et les services intermédiaires soient compatibles IPv6. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas, car « les hébergeurs de sites web représentent encore l’un des principaux goulots d’étranglement dans la migration vers IPv6. Sur les principaux sites visités par les Français selon le classement Alexa, seuls 26 % sont accessibles en IPv6 », soit une baisse d’un point en un an.
Par contre, le taux de pages accessibles en IPv6 « est significativement plus élevé (61 %) ». Cette situation s’explique facilement : « les petits fournisseurs de contenu proposent souvent des sites web (au nombre de pages consultées généralement faible) non compatibles avec IPv6 ».
Sur les 3,62 millions de sites web en .fr, .re, .pm, .yt, .tf et .wf, 17,9 % sont accessibles en IPv6, contre 15,5 % l’année dernière. C’est en progression certes, mais il reste encore beaucoup de travail.
Dans le détail, CloudFlare est le meilleur élève avec 98 % de sites accessibles en IPv6, suivi par Ionos 1&1 à 78,3 %. On change complètement de dimension avec les suivants : 11.1 % pour Amazon, 10,3 % pour Scaleway, 6,7 % pour OVHcloud, 5,4 % pour Google, 2,2 % pour Gandi, etc.
6 % des hébergeurs mails en IPv6, le DNS reste un bon élève
Sur les mails, c’est encore pire : « La transition des hébergeurs mail connaît également un très fort retard : seuls 6 % [en hausse de 0,2 point sur un an, ndlr] des serveurs mail sont à ce jour adressé en IPv6 sur l’intégralité des .fr, .re, .pm, .yt, .tf et .wf ».
Autre problème : certains hébergeurs mails « comportent un niveau de redondance en IPv6 inférieur à celui atteint en IPv4, et est donc susceptible de poser des problèmes de résilience ». Cette fois-ci Google est seul en tête avec 95,4 %, tandis que le second est Scaleway à 10,6 % et Adista troisième à 2,5 %.
Le DNS est le bon élève de la classe : « C’est aujourd’hui le secteur le plus en avance dans la transition vers IPv6 avec environ 75 % des serveurs faisant autorité supportant IPv6. Environ 67 % des serveurs DNS garantissent une résilience d’IPv6 équivalente à celle d’IPv4 (niveau de redondance identique) ». Ionos 1&1, Gandi est Adista dépassent les 95 %, OVHcloud est à 84,2 %. CloudFlare ne dépasse pas les 70 %, Amazon 50 % et Google 40 %.
La situation fin 2019 à gauche, celle fin 2020 à droite
Un déploiement « très insuffisant » sur les sites .gouv.fr
Dans son observatoire, l’Arcep s’est penché sur le cas de 243 sites avec le suffixe « .gouv.fr ». L'État montre-t-il l’exemple sur IPv6 ? Cela ne devrait pas surprendre grand monde, mais la réponse est non : « La transition vers IPv6 des serveurs DNS est relativement avancée, avec 45,5 % des serveurs en IPv6. L’hébergement mail est par contre uniquement réalisé en IPv4 et le taux de sites web en IPv6 est seulement de 2,1 % pour les sites principaux et 1,6 % pour les sites secondaires ».
L’Autorité enfonce le clou : « il est regrettable que la grande majorité ne soit encore accessible qu’en IPv4. Le déploiement en IPv6 des sites web et services en ligne de l’État apparaît donc encore très insuffisant, en particulier pour répondre à l'objectif d’exemplarité de l'État en matière de transition vers IPv6 ».

Équipementiers, transitaires et OS : les bons élèves
Chez les équipementiers, les voyants sont au vert depuis longtemps et les principaux fabricants (Cisco, Juniper et Nokia) affirment que toutes leurs solutions réseau commercialisées (routeurs, etc.) sont systématiquement compatibles IPv6.
Du côté des transitaires, on passe à 45 %, soit une hausse de 16 points par rapport à 2019. Si on pondère ce score avec le nombre de clients de chacun, on grimpe à 75 %, contre 72 % il y a un an. Ce résultat indique que les transitaires de grande taille passent plus rapidement à IPv6.
Par contre, tous les systèmes d’exploitation grand public encore maintenus pour les ordinateurs, tablettes et smartphone « sont compatibles avec IPv6 qui est activé par défaut depuis de nombreuses années ». Sous Windows par exemple, c’est le cas depuis Vista en 2007.
Enfin le dernier point concerne les terminaux et ne réserve pas de grande surprise : « Sur de nombreux objets connectés (système d’alarme, télévisions, etc.), IPv6 est intégré dans l’OS mais n’est pas activé par le constructeur de l’objet connecté ».
La France dernière du Top 10 mondial sur l’utilisation d’IPv6
Le taux d’utilisation d’IPv6 en France – tel que vu par Google – est de 42 %, soit six points de plus qu’au dernier observatoire. La crise sanitaire et le premier confinement ont eu un effet non négligeable : « le taux d’IPv6 est passé d’environ 37 % à 43 % entre mi-mars et fin avril 2020 », puis il a légèrement baissé après le confinement. « Cela pourrait notamment s’expliquer par l’augmentation du trafic issu des accès grand public, plus fréquemment activés en IPv6 que les accès entreprise », explique le gendarme des télécoms.
Au niveau européen, la France est en cinquième position derrière la Belgique (2e mondial), l’Allemagne, la Grèce et la Suisse. Elle est sur la dernière marche du Top 10, selon les données de quatre sources (Google, Akamai, Facebook et Apnic) publiquement disponibles pour évaluer et comparer l’utilisation d’IPv6.
L’Inde arrive largement en tête avec 63,6 %, suivie par la Belgique à 51,9 % et les États-Unis à 49 %.
