La semaine dernière, l'Arcep publiait son rapport sur la qualité de service mobile où Free montrait de mauvais résultats en 5G. L'opérateur avait alors critiqué le protocole de l'Autorité. Interrogée, elle bat en brèche ces arguments et rappelle que les opérateurs participent à l'établissement de ces choix techniques.
Dans son « enquête annuelle d’évaluation de la qualité de service des opérateurs mobiles métropolitains », l'Arcep publiait pour la première fois des tests en 5G en plus des précédentes technologies.
Cet exercice n’a rien de nouveau pour l’Autorité, c’est le 22e du genre. Dans cette édition, on constatait que les débits en zones denses atteignent 227 Mb/s pour Orange, 145 Mb/s pour SFR et 130 Mb/s pour Bouygues Telecom. Free était par contre très largement à la traine avec… 32 Mb/s seulement. Autre surprise : sans prendre en compte la 5G (en se limitant donc à la 4G), la moyenne était supérieure avec 47 Mb/s.
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L’opérateur est rapidement monté au créneau via Twitter pour dénoncer le protocole de mesure du régulateur des télécoms. L’opérateur publiait dans la foulée des mesures de débits « faites par une société indépendante, prestataire aussi de l’Arcep », avec des résultats qui le placent au niveau de ses concurrents.
Nous avons contacté le régulateur afin d’avoir sa réaction sur le sujet. Ce dernier s'étonne au passage de telles critiques, qui n'ont pas été émises par l'opérateur lors des phases de consultation annuelles sur son protocole.
Cubic vs BBR : une guerre inutile ?
Le service presse de l’Autorité nous indique avoir fait le choix depuis longtemps « de mesurer la qualité de service mobile, techniquement, au plus près de l’expérience utilisateur ». Vivien Guéant, chargé de mission à l'Arcep (notamment des tests QoS/QoE) et administrateur du forum Lafibre.info confirme et ajoute à plusieurs reprises que le but du protocole « est vraiment d’essayer d’être représentatif ».
Au centre de la contre-attaque de Free Mobile se trouvent deux principaux éléments du protocole de l’Arcep : l’utilisation de TCP Cubic et d'une unique connexion. L’opérateur lui préfère un de ses concurrents TCP BBR et du multi-connexions. Sans trop entrer dans les détails techniques, cela mérite quelques rappels.
Cubic est un algorithme de contrôle des congestions (CCA) qui vise à garder un débit aussi proche que possible de la bande passante maximale disponible, et ainsi éviter un impact sur le débit réel de l'utilisateur. Il date de 2008. Un concurrent développé par Google est arrivé en 2016 : BBR (Bottleneck Bandwidth and Round-trip).
« Le TCP CUBIC, de 2008, est fondé sur les pertes de paquets, mais peut ajouter des délais et dégrader les performances. Le TCP BBR, de 2016, qui devient majoritaire, utilise des estimations de bande passante et de temps d'aller-retour (RTT) et s’approche de l'optimum théorique », affirme Free Mobile dans son argumentaire.
Pour Vivien Guéant : « BBR est encore trop jeune, il a encore des défauts. Notamment, il n’est pas équitable lorsqu’il est sur un même lien où il y a des connexions Cubic, c’est-à-dire que BBR va prendre la place des connexions Cubic, c’est pour ça qu’il propose un très bon débit, car il diminue le débit des autres utilisateurs ».
Si ce sujet vous intéresse, lisez la thèse de Romuald Corbel (École nationale supérieure Mines-Télécom Atlantique) qui travaille depuis huit ans chez Orange, sur l’« Évolution des protocoles de transport du point de vue de l’équité ».
… un réseau doit gérer correctement les deux
« Aujourd’hui Cubic est vraiment le très très gros du marché pour la raison principale que, comme il est équitable, il est mis par défaut sur les serveurs […] ce sont les deux plus utilisés, mais Cubic reste très très largement majoritaire », ajoute-t-il. Il y a également plein d’autres algorithmes de gestion des congestions, mais leur utilisation est vraiment marginale : « ce n’est représentatif de rien ».
Ainsi, Cubic et BBR coexistent, et ce sera encore le cas pour des années. Le fait que les performances de Free Mobile soient mauvaises sur Cubic est un problème tant pour l’opérateur et ses clients, d’autant que ce n’est pas le cas de ses trois concurrents dont les débits augmentent significativement avec l’ajout de la 5G.
Comme l’avait très justement fait remarquer Vivien Guéant lors de son intervention sur Lafibre.info, « un bon réseau a un débit proche en Cubic / BBR et mono / multi-thread », ce qui n’est à l’évidence pas le cas de Free Mobile. Si l’Autorité publie les résultats des mesures, « c’est free qui peut expliquer pourquoi et comment » son réseau obtient de mauvais résultats. « L’enquête c’est une image à un instant », explique le service presse.
Mono/multiconnexion : ce que Free Mobile « oublie de dire »
Dans son argumentaire Free Mobile ajoutait que son réseau « a été optimisé pour un usage à plusieurs connexions (multithread), cas d’usage des abonnés mobiles. Les applications et usages mobiles utilisent plusieurs connexions TCP et, souvent, une ou plusieurs connexions QUIC/UDP pour la vidéo ».
Là aussi Vivien Gueant apporte des précisions ert confirme le choix du protocole :
« Un argument de Free c’est de dire qu’il a beaucoup de connexions d’ouvertes, ce qui est vrai, mais il oublie de dire que les transferts se font dans la très grande majorité des cas sur une seule connexion.
À un instant donné, vous avez une seule connexion qui transfère des données, et donc on est sur un usage mono-thread, même s’il y a plusieurs connexions [ouvertes] et que des ça bascule de la connexion "A" à la connexion "B" puis à la "C" et que ça revient à la "A".
Il peut y voir des petits éléments qui sont en parallèle – sur une page web il y a des petits éléments du type J’aime, Twitter, etc. – qui vont être sur une connexion à part. [Ils vont] télécharger en parallèle de petites quantités de données. Les gros transferts de données sont vraiment dans la grande majorité des cas faits sur une seule connexion à un instant "t". C’est donc pour ça que l’Arcep part sur un test mono-connexion.
On préfère dire mono-connexion que mono-thread car mono-thread c’est plutôt au niveau de la programmation, mono-connexion c’est plutôt au niveau du réseau ».
« On ne cache pas le protocole aux opérateurs »
L’Arcep nous précise que les tests sont réalisés avec des serveurs sur lesquels il « a la main » afin de régler les différents paramètres en fonction de son protocole (notamment le choix de Cubic).
Surtout, elle rappelle avoir « envoyé au mois de mars 2021 aux opérateurs la configuration complète des serveurs qui montre bien que ce sera des tests mono-connexion hébergés sur un serveur qui est chez OVHcloud pour la métropole et donc avec Cubic [...] C’est quelque chose qu’on n’en cache pas aux opérateurs, c’est en concertation avec les opérateurs que la méthode est choisie […] Le but est d’être représentatif des usages du client, c’est vraiment le point clé. Ce n’est pas d’afficher le débit maximum comme on peut avoir avec certaines applications, c’est d’avoir quelque chose le plus représentatif [...] tout ce qui peut améliorer la représentativité est bienvenu ».
Durant cette phase de consultation – qui n’est pas ouverte au public – les opérateurs peuvent faire des retours (qui ne sont malheureusement pas communicables). « Quand on a eu les retours, ils étaient plutôt d’accord pour avoir Cubic, pour ceux qui nous en ont fait », se souvient Vivien Guéant. En tout cas, il n'y a pas eu de levée de boucliers de la part de Free Mobile, que ce soit pour Cubic/BBR ou le mono/multi-connexion(s).
Pour autant, « il y a des demandes de la part des opérateurs, par exemple sur la taille des fichiers ». « Il y en a qui veulent un fichier plus petit, d’autres un fichier plus gros… À un moment il faut prendre une décision » et donc l’Arcep tranche. Actuellement, « on s’arrête soit quand les 250 Mio sont téléchargés ou au bout des 10 secondes ».
Alors qu’il était au début en HTTP avec un fichier de 5 Mo, le test est passé à 50 % en HTTP et 50 % en HTTPS, puis depuis deux ans à 100 % en HTTPS. « Depuis l’année dernière on est 50 % de serveurs IPv4/IPv6 et 50 % IPv4 "only" pour être représentatif parce qu’aujourd’hui ont voit qu’à peu près 50 % des pages consultées sont en IPv6 ».
La suite ? Plusieurs réunions sur le protocole de mesure sont prévues pour la campagne de l’année prochaine : « ce n’est pas quelque chose qui se fait simplement, ça va prendre du temps et c’est quelque chose qu’il va falloir engager rapidement », reconnait Vivien Guéant.
Rendez-vous donc l’année prochaine pour voir si des changements importants seront apportés au protocole… mais aussi au réseau de Free Mobile avec TCP Cubic. On constatera alors les nouveaux résultats.