Pour le tribunal administratif de Paris, l’OFII peut bloquer un compte sur Twitter

Les malheurs de l’OFII
Droit 7 min
Pour le tribunal administratif de Paris, l’OFII peut bloquer un compte sur Twitter
Crédits : Twitter

Ce mercredi 25 août, l'Office Français de l’Immigration et Intégration (OFII) s’est distingué sur Twitter. Assurant qu’une « attaque concertée est en cours à l’encontre de notre compte », l'établissement public a bloqué quantité de comptes. Il peut s’appuyer sur un précédent remporté devant le tribunal administratif de Paris, visé néanmoins par un appel.

Un bel inventaire à la Prévert ! Blocage d’un étudiant en droit international et en affaires européennes, d’une thésarde en droit, d’une historienne, de la vice-bâtonnière de Paris, d’une avocate, d’un chercheur et directeur de The Hugo observatory, d’un professeur de droit public, d’une professeure de droit public, d’un « Observateur des pratiques Policières », d’une avocate en droit des étrangers à Toulouse, d’une maitre de conférence de l’Université Clermont Auvergne, etc. 

La liste des personnes visées par ces blocages n'en finit plus. Ces mesures ont été prises par @OFII_France sous une pluie de réactions épidermiques suite à un de ses tweets postés dans le contexte de la crise afghane.

L'Office soutenait en effet qu’ « issus des élites, pour moitié des femmes, les Afghans qui ont fui le régime taliban présentent un visage différent de la demande d'asile afghane traditionnelle, des profils propices à une meilleure intégration ». 

Toujours ce 25 août, l'OFII avait d’ailleurs publié un autre message pour dénoncer cette fois le « contresens malsain » à la lecture de ce précédent post : « Lorsque nous disons que les réfugiés Afghans plus instruits auront plus de facilité pour s’intégrer ici, cela ne signifie pas que nous abandonnons les autres, mais qu’ils auront moins de facilité et que nous devrons donc faire plus d’efforts ! » 

Et à l’avocate Mathilde Robert, qui fustigeait à travers les propos du directeur général de l’OFII, Didier Leschi une « rhétorique répugnante » entre les « bons » et les « mauvais » demandeurs d’asile, l’OFII rétorquait que les réfugiés en question « ne ressemblent pas aux migrants économiques que vous défendez chaque jour. Ne pas faire la distinction ne peut qu’aller dans le sens de ceux qui veulent remettre en cause le droit d’asile… » 

Le blocage à tour de bras de ces comptes de personnes et autres personnalités est-il légal ? Si l’OFII n’a pas fait mine d’une grande retenue sur Twitter, c’est avant tout en raison d’un jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 15 décembre 2020. 

Un blocage déjà attaqué devant le tribunal administratif

Cette affaire est née à la suite d'un recours de Gérard Sadik, à la ville coordinateur national sur les questions d’asile au sein de l'association de protection des réfugiés La Cimad.

Le 20 janvier 2019, il découvrait lui aussi avoir été bloqué par le compte officiel de l'Office Français de l’Immigration et de l’Intégration, pour déposer dans la foulée une requête au tribunal administratif destinée à renverser cette décision, non sans arguments.

Une décision signée par aucune autorité compétente, insuffisamment motivée, portant atteinte au droit d’accès aux documents et informations publics, « dès lors qu’il ne peut plus consulter les informations du compte twitter de l’OFII ni réutiliser les données publiées », avec en guise de cerise, une violation de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (« La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ») et de son article 11 sur la liberté de communication et d’opinion.

En défense, l’OFII fit valoir que cette requête ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative et que les autres moyens étaient les uns inopérants, les autres infondés.

Le tribunal administratif a balayé l’argument doutant de sa compétence. Et pour cause, un établissement public administratif « ne peut utilement faire valoir que la gestion de son compte twitter ne relève pas de ses missions de service public, dès lors que cette décision ne relève pas de la gestion de son domaine privé ».

Mais si sa compétence a été reconnue, la demande d’annulation a été sèchement rejetée.

Pas d'atteinte à la liberté d'expression 

Pourquoi ? Déjà, sur la question de la signature, le directeur général de l’OFII a revendiqué dans un courrier cité par le jugement être à l’origine de ce blocage (dans le jargon, cette « décision non formalisée »).

De même, si aux termes de l’article L. 211-2 du CREPA (ou Code des relations entre le public et l’administration) « les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent », obligeant la motivation des décisions qui « restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (…) », tel n’est pas le cas ici.

Pour le juge administratif, en effet, ce blocage « n’a pour effet que de restreindre la capacité de M. Sadik à réagir directement aux tweets publiés par l’OFII sur le fil du compte de l’établissement ». Il ne peut donc « être regardé comme ayant eu pour objet de restreindre l’exercice des libertés publiques ». Et n’a donc pas à être motivé, ce qui permet en conséquence à l’Office de bloquer sans s’embarrasser d’explication. Pratique.

Autre argument repoussé : Gérard Sadik a soutenu ne plus pouvoir consulter les informations publiées par l’OFII sur Twitter. Raté : « cet argument manque en fait, le fil Twitter de l’OFII étant accessible à toute personne disposant d’un accès à internet, sans qu’une inscription sur le réseau social soit requise ».

« En outre, à supposer même que les tweets de l’OFII constituent des documents administratifs », empêcher un internaute de retweeter les posts du compte d’un établissement public ne porte pas atteinte au « droit général de réutilisation des données publiques », puisque l’article L.321-1 du CREPA qui l’instaure « ne fixe aucune exigence s’agissant du support de publication de ces données ». Ainsi, « il n’oblige donc pas l’OFII à permettre de retweeter ses publications ».

Pas d'atteinte à la liberté d'expression ou d'opinion

Une atteinte à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen ? Certes, le blocage empêche l’internaute de contacter l’OFII sur Twitter…mais, tempère lourdement le tribunal, « il lui est toujours loisible de saisir l’OFII par courriel, ce qu’il a d’ailleurs fait afin de demander les motifs de la décision contestée ».

Le même tribunal administratif n’a pas vu davantage de violation de l’article 11 du même texte de 1789 sur la liberté d’expression ou d’opinion. « La décision de l’OFII de bloquer le compte Twitter de M. Sadik ne l’empêche ni d’accéder aux informations publiées par l’OFII, ni d’exprimer ses propres réactions et points de vue sur le réseau social », estime-t-il.

Ainsi, « si la décision litigieuse a pour conséquence d’empêcher le requérant de réagir directement sur le fil twitter de l’OFII et de toucher les abonnés au compte de l’OFII, il ressort des pièces du dossier que l’usage de ce mode de communication par l’OFII a notamment pour objectif d’assurer une information institutionnelle »

Il indique au surplus que ce blocage fait suite à un commentaire de M. Sadik en date du 19 janvier 2019 mettant en cause le temps de travail des agents de l’établissement (visiblement ce tweet). « Dès lors, eu égard à l’impact très limité de la mesure contestée sur la liberté de communication et d’expression du requérant, la décision de blocage du compte twitter de M. Sadik constitue une mesure adaptée, nécessaire et non disproportionnée aux buts poursuivis ».

Cette décision n'est qu'un jugement, il ne constitue donc en rien une jurisprudence. Selon nos informations, néanmoins, un recours est pendant devant la cour administrative d’appel de Paris.

Le précédent Donald Trump et bientôt Richard Ferrand 

Ce n’est pas la première fois que le sujet du blocage des contenus se pose à la justice. Il y a évidemment eu le précédent Donald Trump outre-Atlantique depuis jugé par la Cour suprême. En France, le sujet oppose actuellement le journaliste Guillaume Tatu et Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale.

Le journaliste a déjà remporté un appel procédural, défendu par ses avocats Me Arash Derambarsh et Me Thierry Vallat. L’instruction relancée devra déterminer l’impact que ce blocage est susceptible d’avoir sur le plaignant et ses activités économiques.

L’article 432-7 du Code pénal punit en effet jusqu’à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende les discriminations commises par une personne dépositaire de l'autorité publique, quand celle-ci entrave l'exercice normal d'une activité économique (ici le journaliste). Selon nos informations, les auditions seront organisées en septembre par la juge d’instruction.

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