L’environnement MATE pour les distributions Linux a récemment été mis à jour. Ne vous fiez pas à son numéro de version (1.26), qui cache en réalité d’importantes améliorations, parmi lesquelles le très attendu support (initial) du serveur d’affichage Wayland.
MATE Desktop (prononcé « maté ») est un environnement de bureau très apprécié, utilisé dans un grand nombre de distributions. Il a été popularisé par certaines distributions comme Ubuntu MATE (créée en 2015) et Linux Mint (dès 2012), dont il est l’une des trois grandes variantes (avec Cinnamon et Xfce).
Un brin d’histoire, l’absence de Wayland
Son histoire commence peu avant la sortie de GNOME 3, dont les décisions radicales en matière d’ergonomie divisaient déjà. Le schéma s’est reproduit plus récemment avec GNOME 40, et il n’est pas rare de croiser des distributions Linux restant sur la version précédente (3.38) pour l’instant.
MATE était donc initialement un simple fork de GNOME 2.32, dont l’ergonomie classique avait les faveurs de nombreuses personnes. C’est la même philosophie qui a présidé à la création de Cinnamon, notamment pour sauvegarder le menu principal auquel beaucoup étaient habitués. Ce fork fut réalisé par un développeur d'Arch Linux, qui fut vite rejoint par d’autres, donnant naissance peu après au projet MATE Desktop.
Son ergonomie est extrêmement stable dans le temps, les nouveautés étant souvent sous le capot ou venant se greffer petit à petit à des flux de travail habituels. Avec les années, les applications ont pu changer de nom, mais l’équipe de développement progresse presque à pas de loup, comme s’il fallait déranger les utilisateurs le moins possible. Elle est dirigée par Martin Wimpress.
En dépit d’une approche traditionnelle, l’objectif du projet a toujours été d’utiliser des technologies aussi récentes que possible. Par exemple, la transition de la branche GTK+ 2 vers la 3 s’est achevée avec la version 1.1.18. La version 1.6 avait fait un peu de ménage dans les bibliothèques, passant de mate-corba (fork de Bonobo) à D-Bus. MATE 1.20 a apporté le support du HighDPI, la 1.22 a migré une grande partie des applications de Python 2 à 3, etc.
Mais de toutes les technologies importantes vues sous Linux ces dernières années, il en est une qui manquait à l’appel : Wayland. Le serveur d’affichage, remplaçant de X.org, est utilisé par défaut sous Fedora par exemple depuis sa version 25, sortie en… novembre 2016. Presque cinq ans plus tard, MATE 1.26 en propose un support initial.
Le support de Wayland commence
Le support de cette technologie est complexe et « empoisonne » la vie des développeurs depuis son arrivée. Pour comprendre le problème, il faut visualiser une pelote de laine comprenant de très nombreux fils, qu’il faut démêler avant de pouvoir introduire des changements. Mais de nombreux éléments étant faits pour cette pelote, toute modification provoque des incompatibilités. À l’introduction de Fedora 25 par exemple, les développeurs prévenaient qu’il y aurait des pots cassés, et qu’un « fallback » vers X était prévu.
C’est le problème de Wayland : la compatibilité avec tout le reste, et plus particulièrement les applications. Changer la manière dont on affiche des éléments à l’écran est loin d’être anodin, qu’il s’agisse d’une sérieuse modernisation ou pas. Aussi, le support dans MATE 1.26 ne fait que débuter. On le retrouve pour l’instant dans Atril (visionneuse de documents), System Monitor, Pluma (éditeur de texte), Terminal et d'autres composants du bureau.
L’équipe ne fournit pas de calendrier pour une prise en charge intégrale. Sachant qu’il a fallu 18 mois de travail pour que MATE 1.26 voie le jour, les progrès suivants devront attendre un peu. Cela progresse et c’est déjà plus qu’un support expérimental, mais il faudra du temps pour en voir le bout. On peut d’ailleurs voir dans la feuille de route d’Ubuntu MATE que c’est l’un des grands objectifs à atteindre... dans les années qui viennent.
Caja, Pluma et Atril : d'importantes nouveautés
Il existe bon nombre de petites nouveautés un peu partout, certaines plus importantes que d’autres. L’éditeur de texte Pluma reçoit par exemple une mise à jour majeure. On y trouve ainsi un raccourci (CTRL + Y) pour masquer ou afficher les numéros de ligne, la possibilité d’afficher une grille en vue d’une écriture au stylet ou encore une vue réduite pour garder un œil sur l’ensemble du document, comme dans Sublime Text (voir notre article).
Surtout, Pluma a désormais son propre système d’extensions (pluma-plugins
). Plusieurs sont fournies comme l’ajout des arbres de probabilité, le passage rapide en commentaire ou non, ou encore un terminal intégré. Objectif, transformer l’éditeur en un petit environnement de développement, Pluma gérant déjà de nombreux langages.

Caja, le gestionnaire de fichiers, gagne également plusieurs nouveautés bienvenues. La barre latérale embarque maintenant une vue Favoris, pour n’afficher que les dossiers déclarés comme tels.
On peut également formater des disques ou partitions via un clic droit sur l’icône correspondante dans la barre latérale. Cliquer avec la molette sur le bouton Rafraîchir crée une copie de l’onglet actif, tandis que l’on peut enfin glisser/déposer une page web depuis un navigateur vers un dossier dans Caja pour créer un lien.
L’extension Caja Actions est en outre intégrée directement dans MATE Desktop. Elle permet l’ajout d’actions spécifiques au menu contextuel quand on se sert du gestionnaire de fichiers. Par exemple, lancer un programme arbitraire sur un certain type de fichiers.
Les autres améliorations se trouvent un peu partout. Engrampa (gestionnaire d’archives) supporte maintenant les fichiers ARC et EPUB, ainsi que les RAR chiffrés. La visionneuse de documents Atril a été optimisé : sa consommation de mémoire est largement réduite et le défilement des gros documents est plus fluide.
Autre évolution notable, la calculatrice dispose enfin d’un historique des opérations et sa taille peut être modifiée. Des opérations comme la factorisation des entiers ou l’évaluation arithmétique modulaire sont plus rapides.

On pourrait également citer le panneau de gestion de l’énergie, qui présente une nouvelle option pour atténuer la lumière des claviers rétroéclairés. Les notifications du système peuvent présenter des URL, les miniatures de fenêtres sont beaucoup plus nettes grâce au rendu en tant que surfaces Cairo, la restauration des fenêtres minimisées se fait bien aux positions d’origine et toutes les traductions ont été mises à jour. Enfin, la plupart des fenêtres « À propos » ont été enrichies et de très nombreux bugs ont été corrigés.
La liste n’est pas gigantesque, certains s’inquiètent même d’un rythme lent. Nous y reviendrons.
Mettre à jour vers MATE 1.26 sur Ubuntu MATE
Si vous ne voyez pas MATE 1.26 dans les mises à jour disponibles, c’est normal. Dans la plupart des cas, les nouvelles versions des environnements ne sont offertes qu’avec les nouvelles versions des distributions qui les utilisent. C’est vrai en tout cas pour le modèle classique utilisé par Debian, Ubuntu, Linux Mint et autres.
Dans le cas d’une rolling release (Arch Linux, Manjaro, OpenSuse Tumbleweed…), vous devriez obtenir cette mouture sans problème (c’est même sans doute déjà fait). Il est cependant simple de remédier à la situation si vous ne souhaitez pas attendre, tout du moins sur Ubuntu MATE, que vous soyez sur la version 20.04 LTS ou la 21.04.
Pour la première, MATE 1.26 aura d'ailleurs l'avantage de lui apporter les thèmes Yaru-MATE-light et dark. Il suffit d’ajouter le dépôt (PPA) fresh-mate avec la commande suivante :
sudo add-apt-repository ppa:ubuntu-mate-dev/fresh-mate
Après quoi, il faudra lancer une mise à jour générale du système :
sudo apt update && sudo apt upgrade
S’agissant d’une nouvelle mouture de l’environnement, il est plus que probable qu’Ubuntu MATE 21.10 embarquera cette version 1.26, de même que Linux Mint 20.3, qui devrait être disponible vers la fin de l’année.
Aucune bêta du système n’est pour l’instant disponible.
Des inquiétudes sur l’avenir de MATE
Comme dit précédemment, certains s’inquiètent actuellement du rythme de progression de MATE. L’environnement a beau être très apprécié pour son ergonomie et ses performances, son évolution est lente.
C’est d’autant plus flagrant avec une mouture 1.26 comportant peu de grosses nouveautés visibles, la plupart des améliorations étant sous le capot ou dans de petits apports un peu partout. En avril dernier, Frédéric Bezies jetait par exemple un oeil critique sur le code en gestation et pointait un manque de nouveautés visibles : « on a l’impression d’avoir une version qui va permettre d’enlever encore du code mort », en référence à un travail déjà effectué dans ce domaine avec la mouture 1.24.
Son avis n’était guère brillant quand la version 1.26 finale est sortie il y a une dizaine de jours. Le nettoyage du code reste une opération cruciale, mais l’environnement peut donner l’impression de ne plus guère évoluer.
MATE Desktop n’est cependant pas conçu pour « épater la galerie » à chaque version. Le travail a pris un peu de retard, mais l’environnement se destine avant tout aux machines un peu anciennes et aux personnes souhaitant garder une ergonomie stable dans le temps. Espérons simplement que la version 1.28 arrivera plus vite et avec des outils attendus depuis longtemps, notamment une fonction de renommage en masse.
Il ne s’agit pas d’une course entre environnements. MATE n’a ni la prétention ni l’envie de se mesurer aux mastodontes que sont GNOME et KDE. C’est d’ailleurs tout l’avantage du logiciel libre : chacun trouve son bonheur parmi la diversité des projets disponibles. Mais l'équipe de développement ne doit pas oublier la promesse initiale : proposer une ergonomie très classique tout en gardant une base moderne.