En Europe, pas moins de neuf projets sont en cours sur la 6G sous la houlette de la 5G PPP. But avoué : « ne pas se laisser devancer par la Chine ». Le CEA, coordinateur de l’un d’entre eux, dévoile des détails techniques et présente ses travaux, notamment sur une « antenne orientable électroniquement ».
La 5G est désormais disponible un peu partout dans le monde, y compris en France depuis quelques mois. Il s'agit encore bien souvent de 5G NSA (Non Stand Alone), qui repose sur un cœur de réseau 4G, la 5G SA (StandAlone) n'étant attendue que dans un second temps, notamment dans l’Hexagone.
L'étape d'après est déjà connue : le passage à la 6G. Ces standards étant établis pour une dizaine d'années, les travaux de recherche et de prospective sur les usages commencent bien en amont. Nous en sommes encore à ce stade pour le prochain standard (Release 21) qui n'est pas attendu avant 2030.

Les annonces se succèdent, l’Europe a neuf projets sur le feu…
Les choses se précisent peu à peu. LG était l’un des premiers à évoquer le sujet de la 6G dès le début de l’année 2019, suivi quelques mois plus tard par Huawei ; mais sans entrer dans les détails à chaque fois. Mi-2020, Samsung passait la seconde avec un livre blanc et des détails techniques sur sa vision et ses travaux autour de la 6G.
L’Europe aussi se mobilise : fin 2020, Nokia et Ericsson prenaient la tête de Hexa-X, un projet de recherche sur la prochaine génération de téléphonie mobile. La 5G Infrastructure Public Private Partnership (alias 5G PPP) – initiative commune entre la Commission européenne et l’European Information and Communication Technologies (ICT) – référence pas moins de neuf autres projets sur son site, dont la durée varie entre 30 et 42 mois.
RISE-6G, coordonné par le CEA
La France est impliquée dans les deux tiers d'entre eux. Le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) participe aux initiatives Hexa-X et Dedicat-G. Il est également le coordinateur de RISE-6G (Reconfigurable Intelligent Sustainable Environments for 6G Wireless Networks).
D’autres acteurs, comme Orange, sont partie prenante de plusieurs projets (MARSAL, Hexa-X, Dedicat-6G et Rise-6G). L'opérateur agit également au sein des différents groupes de travail visant à définir le standard.

RISE-6G a officiellement été lancé le 1er janvier 2021. Il comprend des industriels (NEC, Orange, Telecom Italia), des universités (Göteborg, Aalborg, Athènes et Notthinham), des centres de recherches (CEA, CNRS, Consorzion Nazionale Interuniversitario Italiano) et d’autres partenaires comme la SNCF et le Centro Ricerche Fiat.
« Pour l'Europe, il s'agit de rester dans la course et de ne pas se laisser devancer par la Chine dans le développement de ce nouveau standard », explique le CEA.
Débit multiplié par 1 000, latence divisée par 10
Dans une vidéo récemment mise en ligne, le Laboratoire d'électronique et de technologie de l'information (Leti) donne de plus amples détails. Notez qu’il est parfois question de B5G dans les documents, une référence à « Beyond 5G », et donc ce qui arrivera après la 5G (la 6G, CQFD).
Pour commencer, le CEA rappelle que, « globalement, la 6G se situera dans la continuité naturelle de la 5G », qui est elle-même dans la continuité de la 4G, etc. Il s'agit en effet de révisions successives d'un même standard.
De nouvelles bandes de fréquences sont évidemment à l’étude afin de faire transiter toujours plus de données, toujours plus vite. La 6G proposera ainsi « un débit environ 1 000 fois plus élevé pour supporter l'augmentation exponentielle de la quantité d'informations circulantes. La réalité augmentée, les lunettes connectées et les hologrammes en seraient les principales sources, sans parler des voitures, drones, robots… », explique le CEA.
Deuxième point crucial dans une connexion à Internet, la latence : « déjà diminuée avec la 5G, elle devrait être encore fortement réduite pour descendre sous une milliseconde. Cette réduction de latence sera par exemple fondamentale dans l'industrie 4.0 ou la réalité augmentée interactive ».
De 1 ms en 5G, les chercheurs espèrent arriver à 0,1 ms en 6G. Pour rappel, Samsung évoquait la même chose dans son livre blanc : « les objectifs de performance [en 6G] ciblent une latence inférieure à 0,1 ms et une latence de bout en bout (E2E) inférieure à 1 ms » expliquait alors le constructeur.
La 6G jusqu’à 1 000 km/h, de nouvelles bandes sub-térahertziennes
Enfin, la 6G compte se déployer à une bien plus grande échelle que les technologies précédentes : elle « permettra d'assurer des communications dans l'espace, dans les airs, sur terre et en mer, à des vitesses allant jusqu'à 1000 km/heure ». Là encore, le CEA rejoint (dans les grandes lignes) les propos de Samsung.
« La bande millimétrique de la 5G sera complétée par les ondes sub-térahertziennes et la vitesse de transmission des données sera 100 fois plus rapide qu'avec la 5G ». Dans ce document, il est question des ondes dans les 140 GHz, une fréquence millimétrique proche des ondes térahertz.
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Pour rappel, plus la fréquence est élevée, plus la portée est courte. Comme avec les 26 GHz, il faudra avoir la cible dans sa ligne de mire pour transférer des données dans le sub-térahertz. Le CEA rappelle que ces ondes peuvent être « bloquées ou fortement atténuées par des murs, des arbres ou même des fenêtres ». « Même avec un chemin de propagation dégagé, des antennes à gain élevé sont nécessaires », ajoute-t-il.
Ces fréquences ont par contre l’avantage de disposer de larges bandes disponibles, permettant de faire transiter de grosses quantités de données : il est bien plus facile de trouver des milliers de MHz de disponible dans les 140 GHz qu’en dessous de 10 GHz… et c’est peu de le dire !

Le CEA développe des « surfaces réfléchissantes intelligentes »
Afin d’exploiter aux mieux ces fréquences, le Commissariat est en train de concevoir « des technologies au-delà de l'état de l'art avec une haute directivité et une antenne orientable électroniquement », ainsi que des « surfaces réfléchissantes intelligentes ».
« Ces réflecteurs focaliseront l’énergie de rayonnement et diminueront fortement la consommation et l’exposition aux ondes. Ils s’inscrivent dans une vision européenne de la 6G qui priorise la réduction des impacts et l’augmentation du niveau de sûreté. Les acteurs asiatiques, pour leur part, privilégient à ce jour le gain de performance », explique le CEA.
Dans ce document, le CEA rappelle les grandes lignes directrices et objectifs de RISE-6G :
- « définir de nouvelles architectures de réseau et stratégies d'exploitation intégrant de multiples surfaces intelligentes reconfigurables,
- caractériser les limites fondamentales du nouveau système en s’appuyant sur les modèles réalistes et validés de propagation des ondes radio,
- concevoir des solutions afin de trouver le juste milieu entre connectivités haute capacité, efficacité énergétique, exposition aux champs électromagnétiques et précision de localisation […] tout en tenant compte des exigences législatives et réglementaires spécifiques sur l’utilisation du spectre, la protection des données et l’émission de champs électromagnétiques
- proposer un prototype/benchmark de ces innovations via deux essais complémentaires (site de production Fiat Industry 4.0 et gare SNCF) ».
Patience est le maitre mot… la 6G prévue pour 2030
« La 6G sera naturellement exploitée pour l'Internet des objets, dans l'industrie 4.0, la conduite autonome, les usines intelligentes et de nombreux autres domaines. Mais pour en bénéficier, il faudra patienter une bonne dizaine d'années ! », ajoute le CEA.
Cette nouvelle génération est en effet prévue qu’à l’horizon 2030. Des étapes intermédiaires sont évidemment en place pour encadrer ce chantier. Les grandes tendances et les technologies clés devraient être définies aux alentours de mi-2022, tandis que la standardisation technique ne devrait pas arriver avant cinq ans.