Une redevance sur le reconditionné ? Un bien « mauvais signal » selon le sénateur Patrick Chaize

Un 14 Bis B électrique
Droit 7 min
Une redevance sur le reconditionné ? Un bien « mauvais signal » selon le sénateur Patrick Chaize
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY-SA 3.0)

Le 10 juin, les députés ont adopté la proposition de loi destinée à verdir le numérique. À cette occasion, ils ont ouvert la possibilité pour les ayants droit de percevoir la redevance copie privée sur les produits reconditionnés. Interview de Patrick Chaize, qui a défendu très exactement l’inverse au Sénat.

Les produits reconditionnés ne doivent pas subir la redevance copie privée (RCP). Voilà en substance ce qu’indiquait l’article 14 Bis B de la proposition de loi adoptée par le Sénat le 12 janvier dernier. Une disposition introduite par un amendement du sénateur Patrick Chaize (LR), vice-président de la commission des affaires économiques. 

Le 25 mai, la disposition fut adoptée sans modification en commission du développement durable à l’Assemblée nationale. Le lendemain, elle adoptait un amendement du député Éric Bothorel réclamant un rapport du gouvernement sur le sujet de la redevance pour copie privée afin d’éclairer la représentation nationale sur cette institution un peu trop méconnue, et proposer des pistes de réformes.

Il n’en fallait pas moins pour soulever une vague de contestation de la part des industries culturelles. Interviews, pétition… tous se sont unis pour permettre la perception de la redevance qu’ils perçoivent sur ces biens reconditionnés, et d’abord les téléphones et les tablettes.

Une mainmise de la culture sur l’écologie préparée en amont en Commission Copie privée où déjà, le 1er juin dernier, les sociétés de perception avaient fait adopter un barème spécifique sur ces deux segments de produits.

Le 10 juin, les députés ont finalement ouvert la brèche de cette perception, sur pression du gouvernement et derrière des industries culturelles. Par le jeu de la navette, la proposition de loi est désormais de retour au Sénat. Le sénateur Patrick Chaize a bien voulu réagir dans nos colonnes.

Quel est votre sentiment sur le texte adopté par les députés ?

J’ai prévu de faire un travail d’approfondissement et de critiques objectives cette semaine, article par article, pour définir aussi la stratégie pour la continuité de la vie du texte. Sur un certain nombre de points, les députés ont compris le message, ont gardé l’esprit et ont permis aussi par leurs travaux, des améliorations.

Et il y a l’article étendant la redevance aux biens reconditionnés, renversant le cap porté au Sénat…

Je ne comprends pas. C’est mener un acte politique sans garder l’esprit du texte lui-même. On a transformé cet article 14 Bis B en un affrontement entre l’environnement et la culture, au bénéfice de la culture alors même que c’est un texte qui devait être fondamentalement environnemental, en pleine loi Climat !

J’avoue que j’ai un problème de cohérence du gouvernement en la matière. On en arrive à quelque chose d’un peu hybride, qui ne ressemble plus vraiment à grand-chose et assez fragile d’un point de vue juridique.

Dans une pétition, des acteurs de la culture se sont offusqués de votre amendement

Écoutez… prenez-en un au hasard, appelez-le et demandez-lui à quoi correspond l’amendement. C’est facile d’avoir des tribunes signées par 1 600 artistes, à partir du moment où on vous dit que ce texte va vous enlever quelque chose que vous avez dans votre poche.

Trouver des sources de revenus qui pourraient permettre au monde de la culture d’être plus à l’aise. Très bien. C’est un choix politique. Je n’ai rien contre. Moi, j’avais dit je serai beaucoup plus favorable à une hausse de la redevance copie privée sur le matériel neuf, plutôt qu’un élargissement au reconditionné.

Je vois dans cet élargissement un problème de cohérence. Une telle extension vient amoindrir l’effet du reconditionnement et affaiblir les entreprises du secteur. Certaines désormais envisagent d’arrêter ou bien déménager en Belgique ou dans un autre pays européen.

Roselyne Bachelot a dit et répété en séance, que la redevance s‘appliquait déjà sur le reconditionné

C’est complètement faux. C’est un mensonge. Il y a une volonté du fonds Copie privée à étendre cette redevance. C’est pour cela qu’il y a des contentieux en cours, basés sur absolument rien du tout. Dans un courrier que j’attends, ces bénéficiaires de la redevance disaient clairement qu'elle ne s’applique pas au matériel reconditionné. Eux-mêmes le disaient jusqu’au moment où ils ont vu qu’il y avait un potentiel d’élargir leurs recettes !

Ils ont pris une décision voilà quelques semaines pour établir une redevance décotée de 35 et 40 %. C’est bien preuve qu’ils ne sont pas à l’aise et que la question n’est pas tranchée. La ministre a promis d’aider à régler les contentieux en cours… C’est bien là encore que personne n’est à l’aise sur le sujet.

Et si les contentieux vont jusqu’au bout, je suis quasi sûr que Copie France va perdre. C’est pour cela qu’ils voulaient se dépêcher à mettre un cadre législatif et réglementaire !

Aujourd’hui, ils n’ont pas les éléments factuels pour pouvoir le faire !

Le cadre réglementaire on l’a : c’est le barème du 1er juin adopté par la Commission copie privée. Le problème, c’est donc le cadre législatif...

Le règlementaire doit s’appliquer sur du législatif, sinon tout le monde peut décider tout et n’importe quoi. Il faut que cela soit fondé. Aujourd’hui, ce n’est pas fondé. Je ne vois pas comment un tribunal pourrait donner raison au fonds Copie privée.

Vous évoquiez une solution alternative, l’augmentation des barèmes sur le neuf plutôt qu’une extension sur le reconditionné. Mais est-ce tenable quand la France est déjà au sommet des perceptions dans le monde ?

C’est pour cela que je plaide aussi sur avoir une vision transparente de la gestion de ce fonds Copie privée. Je n’ai pas dit qu’il fallait le faire, mais que j’étais plus favorable à cette piste. Dans beaucoup de pays, les biens reconditionnés ne sont pas soumis à cette redevance. C’est une réalité.

La PPL est de retour en seconde lecture au Sénat. Quel est désormais son avenir ?

Je ne suis pas président du Sénat, je ne peux pas parler au nom de l’ensemble de mes collègues, mais ma volonté est que ce texte aboutisse, car je pense qu’il fait avancer un certain nombre de sujets. Si aujourd’hui on s’en prive, cela sera dommageable.

À titre personnel, je le sais, il y a dans ce gouvernement une certaine arrogance qui ne voudra jamais revenir sur sa position. Je fais simplement remarquer que pour venir défendre cet article, c’est quand même la ministre de la Culture qui est venue au banc alors que ce n’est pas un sujet culture. Cela veut bien dire ce que cela veut dire : au sein du gouvernement il n’y a pas d’unité sur le sujet.

Si au Sénat, on revient sur l’article 14 Bis B. Que va-t-il se passer ? Il ne sera jamais réinscrit à l’Assemblée nationale. Cela veut dire qu’on fait de la prise d’otage démocratique. C’est ça qu’il faut mesurer. C’est pour cela que cette semaine je vais passer du temps sur le sujet, regarder les plus et moins, et trouver la bonne solution pour pouvoir faire avancer ou pas le texte. On est dans cet esprit-là. Je suis incapable de vous dire son avenir.

Seriez-vous prêt à « fermer les yeux » sur le 14 Bis B pour sauver le reste du bateau ?

Ce n’est pas fermer les yeux. Je suis démocrate. Je crois au bicamérisme, au travail parlementaire. On peut se faire plaisir au Sénat, revenir sur l’article, mais quand il va repasser à l’Assemblée nationale, s’il y repasse, ou en commission mixte paritaire, on va revenir à la position des députés.

Très franchement, on se sera fait plaisir intellectuellement, mais on n’aura pas avancé d’un iota et crispé tout le monde. Aujourd’hui, il n’y a plus de possibilité de compromis : on est face au principe d’exclure le reconditionné de la copie privée, ou pas. Du côté du Sénat, on était pour le principe d’exclusion lors de la première lecture.

Je ne sais pas ce qu’il se passera en deuxième lecture, alors que globalement les députés ont réduit le montant de la redevance et exclu l’économie sociale et solidaire.

Mais pas les TPE ou les PME du secteur...

Cela aurait été très logique, mais franchement, cela ne ressemble plus à rien. On réduit de 35 ou 40 %, on exclut l’économie sociale et solidaire… ce sont des positions idéologiques…

Avez-vous subi, à l’instar d’Éric Bothorel, des menaces ?

Pour être tout à fait honnête, non. À mon sens pour une raison simple : dans le débat au Sénat, les gens de la culture n’étaient peut-être pas suffisamment vigilants. Et pour rien vous cacher, je ne suis pas très influençable, ni dans les cercles divers et variés, ni assez important pour cela.

Éric Bothorel a tenu bon…

Oui. Je l’ai félicité pour cela. Sa position était courageuse, mais logique. Pour avoir échangé avec lui, il est profondément convaincu comme moi que c’est une ânerie. On va mettre en difficulté une filière en train de se monter, qui est dans l’air du temps. On donne un mauvais signal…

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