La CNIL étrille la proposition de loi sur la Sécurité Globale

Coucou les députés LREM
Droit 8 min
La CNIL étrille la proposition de loi sur la Sécurité Globale
Crédits : Marc Rees

Saisie par la commission des lois du Sénat, la CNIL rend public son avis sur la proposition de loi relative à la sécurité globale. Autant dire que les critiques de l’autorité indépendante sont multiples à l’égard du texte porté par la majorité LREM.

La CNIL avait été délaissée jusqu’à présent, les députés ayant adopté la proposition de loi sur la sécurité globale, sans s’enquérir de son avis. Et pourtant, la loi de 1978 modifiée permet déjà au président de l'Assemblée nationale ou des commissions compétentes de la saisir « sur toute proposition de loi relative à la protection des données à caractère personnel ou au traitement de telles données ».

Au Sénat, autre lieu, autre ambiance : François-Noël Buffet (LR), président de la commission des lois, a corrigé le tir. Un choix bienvenu selon Marie Laure Denis, qui « témoigne de la volonté de prendre en compte les enjeux significatifs sur certaines dispositions de la proposition de loi, en particulier en matière de vidéo ». Message transmis aux députés.

Aujourd’hui, l’autorité indépendante vient de rendre cet avis sur le texte LREM, défendu mordicus par Gérarld Darmanin au gouvernement. Et pour cause, plusieurs de ses dispositions centrales orchestrent des traitements de données à caractère personnel à des fins sécuritaires.

Des outils de surveillance de plus en plus performants

Dès l’introduction, le ton est donné : la PPL s’inscrit dans un mouvement appuyé sur « des technologies de surveillance de plus en plus performantes ». Et la présidente de la commission de regretter l’absence d’évaluation globale sur « l’efficacité de ces systèmes » au regard des risques d’atteintes aux libertés individuelles. Un peu plus loin dans son avis, elle évoque même un « changement d’échelle ».

La proposition de loi sur la sécurité globale ? « Une nouvelle étape, majeure de ce mouvement » écrit Marie-Laure Denis. Les outils qu’elle draine induisent « des choix de société auxquels il convient que le Parlement soit particulièrement attentif », et dont les conséquences à moyen terme « ne sont pas (…) parfaitement identifiées ».

D’autant plus que le texte ne permet pas d’aboutir à un encadrement juridique « cohérent, complet et suffisamment protecteur des droits des personnes en matière de vidéoprotection », estime-t-elle. La faute à de nombreuses dispositions du Code de la sécurité intérieure jugées « obsolètes ».

Plusieurs articles sont passés au crible.

Les drones équipés de caméras, un « changement de paradigme »

Si tous les yeux se sont tournés sur l’article 24 relatif aux photos du visage des policiers, la CNIL débute son examen par l’article 22 relatif aux caméras dites aéroportées.

Cette disposition avait été appelée par le Conseil d’État, alors que la Préfecture de Police de Paris a multiplié ces vols, sans l’ombre d’un texte encadrant les traitements de données personnelles qu’ils induisent. Une cavalerie aérienne dégommée par un missile sol-air lancé par la CNIL à l’égard du ministère de l’intérieur.

Avec la PPL, drones, avions et hélicoptères pourront donc être utilisés dans des « missions de prévention des atteintes à la sûreté de l’État, la défense ou la sécurité publique » mais aussi « de prévention, de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ».

Contrairement aux caméras au sol, voilà des dispositifs « mobiles, discrets par nature et dont la position en hauteur leur permet de filmer des lieux jusqu’ici difficiles d’accès voire interdits aux caméras classiques », relève la CNIL. Ces caméras permettent même le suivi individualisé des déplacements d’une personne, à son insu « et sur une durée qui peut être longue ».

Un changement de « paradigme » pour la Commission, qui évoque la question de la société dite « de surveillance ». Pour éviter le pire, la CNIL recommande aux parlementaires de conditionner ces outils à une expérimentation préalable, suivie d’un bilan transmis à l’autorité, aux députés et aux sénateurs. Des phases non prévues par le texte actuel, qui autorise le déploiement de ces flottes aériennes dès publication au Journal officiel.

La commission rappelle sans mal que ces yeux électroniques devront respecter les textes européens et français en la matière, puisqu’ils opèrent un traitement de données à caractère personnel. Or, « les personnes filmées peuvent être aisément identifiées », des techniques d’analyse d’images permettent de restaurer une image proche de celle d’origine » outre que des données sensibles (convictions religieuses, etc.) seront possiblement aspirées.

La loi en gestation a fixé plusieurs finalités pour justifier ces drones aéroportés :

  • La prévention d’actes de terrorisme
  • Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves
  • La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords
  • La protection des intérêts de la défense nationale et des établissements, installations et ouvrages d’importance vitale
  • La régulation des flux de transport
  • La surveillance des rodéos routiers
  • La surveillance des littoraux et des zones frontalières
  • Le secours aux personnes

Ces images pourront en outre être diffusées en temps réel au poste de commandement, même en l’absence de menace sur les biens ou les personnes.

Des finalités jugées « très larges, diverses et d’importance inégale » qui peuvent conduire à une banalisation de l’usage des drones, en contrariété avec le principe de limitation ou de proportionnalité. Or, cet usage doit normalement « être limité à certaines finalités et missions précisément définies par la loi, pour lesquelles des dispositifs moins intrusifs se sont révélés insuffisants ».

Une certitude : « le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves » ne peut être autorisé selon la CNIL. Elle demande que le législateur définisse précisément les infractions graves, qui seules seront susceptibles de nécessiter l’envol de ces drones.

Même remarque pour la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords ou le secours aux personnes. Là encore, il faudrait réserver ces usages aux situations les plus épineuses. Dans tous les cas, il faudra s’assurer que « les circonstances précises des missions menées justifient l’emploi de ces dispositifs, et ce pour une durée adaptée à ces circonstances ». Elle suggère des précisions législatives, outre la mise en place de lignes directrices pour permettre de jauger la proportionnalité.

Le texte interdit certes de filmer l’intérieur des domiciles ou de leurs entrées, mais la CNIL doute de l’effectivité de cette garantie. Faute de mieux, elle recommande des solutions destinées à « bloquer la retransmission des images selon certaines caractéristiques de vol », comme l’altitude, le niveau de zoom ou la zone survolée. Autre piste : rendre anonymes les données collectées pour la finalité liée à la régulation des flux de transport (on pense ici aux plaques d’immatriculation).

Derniers missiles sol-air, dans le silence des textes, considère la Commission, l’usage de micros couplés à ces drones sera interdit, tout comme le recours à la reconnaissance faciale ou à l’interconnexion de fichiers. Des amendements avaient été déposés pour matérialiser cette interdiction, ils furent tous rejetés par le groupe LREM. La précision apportée par la CNIL est donc riche de conséquences.

Les caméras un peu trop individuelles

La proposition de loi, portée par les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, ouvre la possibilité pour les forces de l’ordre de déporter les images captées par les caméras mobiles à un centre de commandement, en temps réel. Ce, dès lors que « la sécurité des agents de la police nationale ou des militaires de la gendarmerie nationale ou la sécurité des biens et des personnes est menacée ».

Les autorités pourront se servir de ces enregistrements pour combattre les faits jugés « alternatifs » et diffusés en boucle sur les réseaux sociaux, afin d’informer le public sur les circonstances de l’intervention. La CNIL réclame de solides garanties pour « préserver les libertés individuelles et publiques attachées à l’anonymat dans l’espace public en recourant par exemple à des solutions techniques de floutage ».

L’agent pourra aussi consulter ces images « dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une intervention ». La mesure est considérée comme légitime par la CNIL, mais celle-ci réclame que les textes d’application décrivent « précisément les missions et circonstances justifiant cet accès ». Et elle annonce déjà qu’elle lancera des contrôles pour s’assurer que l’intégrité des enregistrements est bien assurée en pratique.

L’usage malveillant des images des policiers, déjà sanctionné

Au détour de son avis de 12 pages, elle revient sur l’article 20 bis de la proposition de loi. Aujourd’hui, sur décision de la majorité des copropriétaires, les images des caméras installées dans les parties communes des immeubles d'habitation peuvent être transmises aux policiers et gendarmes. Cet accès est possible seulement « lors de circonstances faisant redouter la commission imminente d'une atteinte grave aux biens ou aux personnes ».

Suite à un amendement porté par Alice Thourot (LREM), la diffusion pourra se faire « en cas d’occupation par des personnes qui entravent l’accès et la libre circulation des locataires ou empêchent le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté ou nuisent à la tranquillité des lieux ». Ces critères d’accès sont jugés très, pour ne pas dire trop, larges. La CNIL demande que la formulation soit « resserrée ».

La Commission n’a pas fait l’économie d’un examen de l’article 24 sur le visage des policiers, celui sur lequel se sont concentrées de nombreuses critiques, de la presse et dans des manifestations. Le texte punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, dans le but manifeste de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique, l’image du visage d’un policier ou d’un gendarme, ou de n’importe quel autre élément d’identification.

Elle rappelle utilement que ces utilisations d’images constituent des traitements de données à caractère personnels. Or un usage à des fins malveillantes n’est pas une finalité légitime au regard de la loi de 1978. Conclusion : il est déjà possible de les réprimer.

La proposition de loi sera prochainement examinée en commission des lois, avant son examen en séance au Sénat.

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