[Document] Décret « Biens reconditionnés » : les observations adressées par la Commission européenne

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[Document] Décret « Biens reconditionnés » : les observations adressées par la Commission européenne
Crédits : ADragan/iStock

En janvier dernier, Paris notifiait à la Commission européenne son projet de décret apportant une définition officielle de l’expression « produit reconditionné ». Un texte pris en application de la loi du 10 février 2020 sur l’économie circulaire. Bruxelles a adressé des « observations » en réponse, que révèlent Next INPact.

Son importance dépasse le cadre purement symbolique, puisque le texte en gestation vient définir les cas où les termes « reconditionné » ou « produit reconditionné » peuvent être juridiquement apposés par les vendeurs, y compris en ligne.

Dit autrement, à partir de quand un produit d’occasion devient-il reconditionné ? Le projet de décret réserve l’expression au respect de deux points cumulatifs.

D’une part, le produit ou la pièce détachée d’occasion doit avoir « subi des tests portant sur toutes ses fonctionnalités afin d’établir qu’il ou elle répond aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre, ainsi que, s’il y a lieu, une ou plusieurs interventions afin de lui restituer ses fonctionnalités »

D'autre part, les supports de stockage devront avoir fait l’objet d’une « suppression de toutes les données à caractère personnel enregistrées ou conservées en lien avec un précédent usage ou un précédent utilisateur ». Mieux, il reviendra au vendeur de démontrer le respect de ces conditions, non à la partie adverse de prouver que ces opérations n’ont pas été réalisées. Le projet de décret interdit par ailleurs les expressions « état neuf », « comme neuf », « à neuf » ou autres mentions jugées équivalentes, pour proposer à la vente un produit qualifié de « reconditionné ».

Seulement, on devine aisément les contraintes nées d’un tel dispositif s’appliquant à l’ensemble des vendeurs notamment européens. Ceux-ci doivent finalement, au titre de l’information précontractuelle, d’un, savoir quelles opérations ont été menées sur les produits qu’ils proposent, de deux, individualiser cette information puisque tel produit reconditionné n’a pas forcément subi les mêmes opérations qu’un autre, pourtant de même gamme.

Les « observations » de la Commission européenne

Il a expliqué à la Commission européenne que « cette disposition a été introduite (…) afin de protéger le consommateur des opérateurs qui proposent des produits reconditionnés sans avoir fait les tests nécessaires pour vérifier que le produit est en état de fonctionner et ne présente pas de problèmes de sécurité ».

Aujourd’hui, insiste-t-il, « cette protection du consommateur est d’autant plus nécessaire que le marché des produits reconditionnés se développe fortement, compte tenu du fait que ces produits sont moins chers que des produits neufs ».

Si la Commission a été notifiée de ce texte, c’est parce que celui-ci vient apporter une restriction à la sacrosainte liberté du commerce dans le marché unique. Et pour le coup, celle-ci vient d’adresser des observations à l’égard de la France, observations dont nous avons pu obtenir copie suite à une procédure « CADA » européenne.

Quelles sont les remarques adressées par Bruxelles à Paris ?

Une initiative franco-française

La Commission a souhaité d'abord « rappeler aux autorités françaises qu’une initiative relative aux produits durables est en cours de préparation au niveau européen ».

Dans ce cadre, « la révision de la directive sur l’écoconception est prévue afin d’élargir son champ d’application à de nouvelles catégories de produits, telles qu’identifiées dans le plan d’action sur l’économie circulaire, et afin d’améliorer la prise en compte de la circularité et la durabilité des produits tout au long de leur durée de vie ».

Et ce futur texte européen « comportera l’introduction de nouvelles mesures visant, entre autres, la réutilisation et le reconditionnement des produits ». Sa présentation est prévue pour fin 2021, « et est actuellement soumise à une consultation publique ouverte jusqu’au 9 juin 2021 », prévient la Direction générale du marché intérieur, de l'industrie, de l'entrepreneuriat et des PME.

Le document alerte aussi qu’« un nouveau règlement écoconception prévu pour le début de l’année 2022 et prévoyant des exigences spécifiques pour les tablettes et les téléphones mobiles est en cours de préparation ». Elles concerneront « entre autres, la réutilisation et la réparabilité de ces produits ».

La Commission oscille entre la caresse et le bâton. Si elle félicite « les efforts des autorités françaises visant à anticiper le calendrier européen en la matière et à protéger de manière durable l’environnement en favorisant l’économie circulaire », elle n’en relève pas moins que ces initiatives nationales doivent toujours « respecter le droit de l’Union, et en particulier les règles applicables en matière de libre circulation des marchandises ».

On devine pourquoi : si chaque pays développe sa propre définition du bien reconditionné, appliquant cette obligation à l'ensemble des biens, même ceux venant de pays européens, l’Union risque de se transformer en véritable patchwork.

Une barrière à l'entrée des frontières françaises

Or, pour le cas présent, l’obligation d’informations précontractuelles envisagée par la France « pourrait constituer un obstacle à la commercialisation, sur le marché français, des produits reconditionnés importés, qui serait contraire au principe fondamental de la libre circulation des marchandises, tel que défini à l’article 34 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), visant à éliminer toute restriction quantitative à l’importation ainsi que toute mesure d’effet équivalent entre les États membres ».

La Commission devine l’usine à gaz, à savoir une obligation qui « pourrait affecter les chaînes de production et d’approvisionnement, et générer des coûts supplémentaires pour les opérateurs étrangers et les produits importés, dans la mesure où elle imposerait à ces opérateurs d’indiquer parmi les informations accompagnant le produit les interventions dont celui-ci a fait l’objet, et ceci uniquement pour les produits destinés au marché français ».

Et celle-ci de craindre que ce texte ne rende la commercialisation des produits venus d’Europe « plus contraignante et, dès lors, pourrait avoir comme effet de restreindre leur accès au marché français ».

Certes, ces restrictions peuvent être justifiées par l’effet du droit européen ou la jurisprudence de la CJUE, mais encore faut-il que la mesure envisagée « soit nécessaire pour garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et que l’objectif ne puisse pas être atteint par des prohibitions ou des restrictions moins étendues, ou par des prohibitions ou des restrictions restreignant d’une manière moindre les échanges intracommunautaires ».

En d’autres termes, expose encore la Commission, « les moyens choisis par les États membres doivent être limités à ce qui est effectivement nécessaire pour assurer la réalisation de l’objectif poursuivi, et ils doivent être proportionnels à cet objectif ».

La Commission demande donc aux autorités françaises de bien vérifier que l’obligation d’information précontractuelle « soit réalisée de la manière la moins restrictive possible en termes d’effet sur le commerce, afin de respecter le principe de proportionnalité ».

Elle leur suggère déjà une piste : « l’utilisation de tout moyen d’information digital, par exemple, pourrait être envisagée afin de permettre une information juste pour le consommateur, tout en préservant l’accès au marché français des produits reconditionnés importés ».

Relevons au final que si l'expression bien reconditionnés se retrouvait in fine mise en cause, cela sera un coup dur pour les ayants droit, lesquels ont voulu profiter de l’individualisation de ce concept pour tenter de butiner la redevance copie privée sur les smartphones et tablettes de seconde vie.

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