Ariane 6 : vers l’infini et au-delà ?

Et ça fait bim-bam-boum, ça fait pschhht...
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Ariane 6 : vers l’infini et au-delà ?
Crédits : ArianeGroup

Ariane 6 est le prochain lanceur d’Arianespace, qui doit permettre à l’Europe de (re)gagner en compétitivité face à des acteurs comme SpaceX et Blue Origin qui misent sur la réutilisation. De quoi garder une indépendance d’accès à l’espace, mais aussi baisser le tarif des lancements de manière importante. 

Le lancement inaugural d’Ariane 6 devait avoir lieu fin 2020. Si on en parle au passé c’est qu’il a plusieurs fois été décalé en l’espace de quelques mois seulement. Dès le début de l’année 2020, un tel report semblait inéluctable.

Le vol inaugural glisse de deux ans

Le couperet est finalement tombé en juin par l’intermédiaire de Daniel Neuenschwander, directeur du transport spatial à l’Agence spatiale européenne (ESA) qui disait alors avoir la certitude que « le lancement ne se fera pas en 2020 ». Il n’imaginait sans doute pas à quel point il avait raison…

Il avait par contre l’honnêteté de confirmer que la pandémie et les mesures de confinement n’étaient pas les seules responsables : « même avant la crise de la Covid-19, un certain nombre d’activités étaient déjà sur le chemin critique, ce qui remettait en question la date d’un vol inaugural ».

« Nous n’avons pas retrouvé l’efficacité de nos travaux d’avant crise […] Nos fournisseurs ont également été impactés, ce qui a ralenti leurs livraisons », ajoutait de son côté André-Hubert Roussel, CEO d’ArianeGroup, en juillet. Fin octobre, nouveau report. L’ESA publie un communiqué repoussant d’un an le lancement de la fusée européenne : » Ariane 6 sera en mesure d’effectuer son premier vol au deuxième trimestre 2022 ».

L’Agence spatiale se voulait néanmoins rassurante : « tous les éléments de propulsion ont passé leurs essais de qualification ». Ce retard ne remet donc pas en cause les fondements du projet. Les conseils des ministres européens ont ainsi largement approuvé les financements nécessaires au développement du lanceur européen. Mais le travail est loin d’être terminé. Il faut encore réaliser des tests mécaniques et électriques avant d’assembler les différentes parties. Une mise à feu statique de l’étage supérieur est prévue pour le deuxième trimestre 2021.

À la fin de l’année prochaine, des tests combinés de la fusée complète et de sa base de lancement sont programmés. Une mise à feu statique d’Ariane 6 est prévue à cette période.

Si tout se passe bien, le vol inaugural aura ensuite lieu au second trimestre 2022.

Quelles différences entre Ariane 62 et 64

Mais au fait, c’est quoi exactement Ariane 6 ? La fusée sera disponible en deux versions : Ariane 62 et Ariane 64. La première est équipée de deux boosters avec la capacité d’emporter 4,5 tonnes de charge utile sur une orbite de transfert géostationnaire (GTO), contre 7 tonnes en orbite héliosynchrone (SSO).

La seconde a quatre boosters avec une capacité presque triplée sur une orbite GTO : jusqu’à 12 tonnes. Ariane 64 se placera donc au-dessus de Falcon 9 qui peut emporter 8,3 tonnes sur une orbite géostationnaire (GEO), mais le lanceur européen restera largement en retrait de Falcon Heavy avec sa monstrueuse capacité de 26,7 tonnes.

Il a déjà effectué plusieurs vols sans encombre. Quelle que soit la version d’Ariane 6, elle est composée de « trois étages » selon son maître d’œuvre (ArianeGroup, une coentreprise d’Airbus et Safran). Mais on peut aussi dire qu’Ariane 6 ne dispose que de deux étages, cela dépend de la manière de les compter. On vous explique.

Pour certains, les deux ou quatre boosters constituent « l’étage d’accélération à poudre latérale ». Ils sont assemblés sur l’étage principal (parfois appelé second étage), qui est surmonté d’un étage supérieur (parfois identifié comme le troisième étage). Pour éviter les confusions, nous parlerons des étages « principal » et « supérieur » d’Ariane 6. Chaque partie dispose de son propre moteur qui a évidemment un rôle précis.  Les (deux ou quatre) booster sont équipés de P120C qui « assurent l’essentiel de la poussée au décollage ».

Ariane 6

LEO, MEO, GSO, HEO… késako ?

Il s’agit du nom des différentes orbites spatiales. La première – LEO – est l’orbite terrestre basse qui monte jusqu’à 2 000 km d’altitude (à titre d’exemple, la Station spatiale internationale est à 400 km environ).

Elle est donc située entre l’atmosphère et la ceinture de Van Allen. L’orbite terrestre moyenne – MEO – se trouve pour sa part entre 2 000 et un peu moins de 36 000 km. Les satellites de géolocalisation tels que GPS, Glonass et Galileo se trouvent aux alentours des 20 000 km par exemple.

À 36 000 km (35 786 km très précisément) se trouve l’orbite géosynchrone – GSO. On connaît plus particulièrement l’orbite géostationnaire - GEO - qui est une GSO située dans le plan de l’équateur. Dans ce cas, le satellite est un point fixe dans le ciel. Au-dessus de 36 000 km, on parle d’orbite terrestre haute – HEO.

Un autre placement intéressant est l’orbite polaire de basse altitude. Elle est largement utilisée pour l’observation terrestre, car « elle survole chaque jour la surface complète de la terre, celle-ci tournant autour du pôle sous le satellite. Typiquement, un tel satellite se déplace sur un cercle proche de la Terre - à environ 1 000 kilomètres […] et chaque orbite est parcourue en environ 100 minutes », explique la NASA.

Les orbites polaires peuvent être héliosynchrones. Ainsi, les satellites « observent toujours chaque région du globe à la même heure locale solaire. Pour une latitude donnée, la position du Soleil dans le ciel au moment où le satellite survole une certaine région au cours d’une saison donnée sera donc toujours la même », explique le Canada.

Chacun choisit en fonction des besoins de la mission. Sur les orbites LEO et MEO, le lanceur place directement les satellites au bon endroit. Par contre, dans le cas des GEO, il » les place sur une orbite dite de transfert, dont le périgée (point le plus proche de la Terre) est situé entre 180 et 250 km, et l’apogée (point le plus éloigné) à 36 000 km. Dans ce cas, le satellite doit procéder à une manœuvre dite de circularisation, pour passer de l’orbite de transfert à l’orbite géostationnaire. Il est équipé pour cela de ses propres moyens de propulsion », rappelle le CNES.

Sur les orbites basses les satellites en fin de vie sont brûlés en rentrant dans l’atmosphère, tandis que les géostationnaires sont placés sur une orbite cimetière, plus haute.

La triade européenne : P120C, Vulcain 2.1 et Vinci

Éric Robert, Technical Officer du P120C, revient sur son histoire : c’est un « moteur à propergol solide qui au départ faisait 120 tonnes et qui a l’acronyme C pour “Common” car il se trouve à la fois sur les boosters d’Ariane 6 et sur le premier étage du lanceur léger Vega-C. C’est le plus gros moteur monolithique du monde », ajoute-t-il.

Son diamètre est de 3,40 mètres pour 13,50 mètres de hauteur. Il emporte désormais 142 tonnes de propergol pour une masse inerte de 11 tonnes, mais garde son nom de P120C. Sa poussée au décollage peut atteindre plus de 400 tonnes. Les deux ou quatre boosters (suivant la configuration d’Ariane 6), fonctionnent durant 130 secondes avant de se séparer de l’étage principal et de retomber dans l’océan.

Le moteur Vulcain 2.1 – une évolution du Vulcain 2 d’Ariane 5 – se trouve en bas de l’étage principal – dans la Baie arrière LLPM (VuAB) – et « procure à ce dernier une forte accélération au cours des huit premières minutes de vol jusqu’à une altitude d’environ 160 km ». Il est « alimenté par 154 tonnes d’ergols liquides pressurisés dans deux réservoirs, l’un à hydrogène (LH2), l’autre à oxygène (LOX), positionnés au-dessus du moteur », détaille le CNES.

Parmi les nouveautés de cette version : « un générateur de gaz réalisé par impression 3D, un divergent simplifié, une nouvelle vanne gaz chaud électrique etc. ». Sa poussée est de 135 tonnes dans le vide.

Comme sur Ariane 5, « le moteur Vulcain 2.1 est allumé au sol, et l’ordinateur de bord contrôle son bon fonctionnement avant d’autoriser le lancement. Il assure une poussée de 140 tonnes soit une partie de la propulsion au décollage, et la totalité de la poussée lorsque les ESR [les deux ou quatre boosters, ndlr] ont été largués. Normalement, le lanceur est sorti de l’atmosphère à ce moment-là ».

Pour ArianeGroup, « il contribue ainsi à l’atteinte des objectifs de coûts du lanceur Ariane 6, tout en conservant l’efficacité et la fiabilité démontrées sur Ariane 5 ». Le lanceur européen jouit en effet d’une solide réputation de fiabilité, sur laquelle Ariane 6 pourra s’appuyer à ses débuts.

Enfin, l’étage supérieur apporte le « complément de vitesse nécessaire pour placer sur orbite les satellites ». Il est équipé d’un moteur Vinci qui « représente la dernière génération de moteurs d’étage supérieur cryogéniques. Il est conçu pour être simple à construire et à utiliser ».

Sa principale nouveauté est sa capacité à se rallumer jusqu’à trois fois, pratique pour des missions multiples avec différentes orbites pour les satellites ; il dispose de 30 tonnes d’ergols liquides (hydrogène et oxygène). Il s’agit pour Ariane de rattraper son retard sur ce point.

L’écologie et l’encombrement spatial sont pris en compte dès le départ pour le futur lanceur. Marie Sauzay, Ariane 6 Flight Control, expliquait il y a quelque temps : « Nous assurons de désorbiter l’ [étage supérieur], de sorte à ne laisser aucun déchet dans l’espace ». C’est notamment possible grâce aux allumages multiples de Vinci.

Ariane 6

Parle-t-on de lanceur ou de fusée ?

Guillaume Collange, en charge de l’amélioration d’Ariane 6 répondait à cette question : « Pour Ariane 6 on peut dire les deux. Lanceur est un terme un peu plus précis : “Ça veut dire un véhicule qui lance des satellites en orbite” ». Même son de cloche au CNES pour qui les lanceurs sont des « fusées pour mettre des satellites en orbite ». Bref, les lanceurs sont des fusées, mais l'inverse n’est pas forcément vrai.

Petite digression au passage sur le vocabulaire des humains dans l’espace. Le terme le plus couramment utilisé est « astronaute », expliquait il y a quelques années François Spiero, responsable des vols habités du CNES. En France on a tenté le « spationaute », mais ce terme est désormais « très peu utilisé ».

Les Russes, qui étaient les premiers à envoyer un homme dans l’espace, utilisent pour leur part le nom « cosmonaute ». Signalons enfin le « taïkonaute » chinois et le « vyomanaute » indien.

Comment se déroulent l’assemblage et le lancement ?

Arianespace explique que, « si la conception et la fabrication d’Ariane 6 ont lieu en Europe, c’est à Kourou, au Centre spatial guyanais, que se dérouleront les dernières étapes avant le lancement : production des boosters, assemblage du corps central et assemblage final du lanceur ».

Ainsi, « en provenance d’Europe, les morceaux du lanceur arrivent dans la zone de lancement Ariane 6 (ELA4), les deux modules cryotechniques seront assemblés pour constituer le corps central. Celui-ci sera ensuite acheminé jusqu’au portique mobile, une immense structure métallique spécialement conçue pour Ariane 6, où il sera remis à la verticale. C’est également là que les boosters seront assemblés et les derniers contrôles effectués. Enfin, le portique pourra être retiré quelques heures avant le lancement ».

Ariane 6 pourra envoyer des charges multiples grâce à un module MLS (Microsat LaunchShare) pouvant être ajouté dans la coiffe du lanceur, « pensé par rapport à un passager principal classique, un satellite d’un poids important, qui serait complété par des passagers auxiliaires, quelques petits satellites et des micros, des nano-satellites en conteneur […] L’idée serait d’avoir jusqu’à six positions occupées soit par des petits satellites jusqu’à 250 kg, soit par des conteneurs permettant de déployer plusieurs cubesats », explique Stéphane Israël, CEO d’Arianespace.

Intégration à l’horizontale… pour réduire la climatisation

Un nouveau centre de lancement est donc en train d’être construit au centre spatial guyanais : ELA4 (Ensemble de Lancement Ariane n°4). Comme beaucoup de chantiers, il a pris du retard à cause de la pandémie de Covid-19.

La Cité des sciences et de l’industrie ainsi que le CNES expliquent qu’il « va permettre de répondre aux exigences de réductions des coûts, la principale raison d’être du nouveau lanceur européen. Le CNES s’est donné comme objectif, pour ce nouveau pas de tir, simplification et modularité ».

Philippe Pascal, chef de projet Ariane 6, donne des détails supplémentaires : « On a conçu des choses avec une intégration à l’horizontal du corps central et non plus à la verticale. Ce faisant, ça permet d’avoir des bâtiments qui sont beaucoup moins hauts ». L’air de rien ce changement est source d’économie : « Cela permet de réduire de façon significative le coût de la climatisation des bâtiments, qui est le poste numéro 1 des dépenses en Guyane ».

Pour Ariane 6, l’ensemble de lancement ne dispose plus que de deux bâtiments principaux, contre trois pour Ariane 5. « Ces innovations permettront le lancement en seulement cinq jours, un gain considérable par rapport à ce qui se fait aujourd’hui », explique le CNES.

Les commandes sont prises… y’a plus qu’à !

Si le lancement inaugural d’Ariane 6 – qui est sous la responsabilité de l’ESA – a du retard, les premières commandes sont déjà passées : « La mobilisation des États membres de l’Agence spatiale européenne (ESA) entre le Conseil d’avril et la réunion au niveau ministériel Space19+ de novembre a permis la commande à ArianeGroup des quatorze premières Ariane 6 », explique Arianespace.

Sur les futurs lancements, Eutelsat était le « premier client commercial à s’engager en septembre 2018 ». Les deux premières missions commerciales devaient être OneWeb (Ariane 62) et Viasat (Ariane 64). Mais outre les retards, d’autres évènements peuvent avoir une influence.

OneWeb, a par exemple été placée en faillite en mars 2020, avant d’être rachetée en juillet pour un milliard de dollars par le Royaume-Uni et l’indien Bharti Global et renaît de ses cendres en novembre 2020, prévoyant de reprendre les lancements de ses satellites devant fournir un accès Internet dès le mois suivant et ce jusqu’en 2022.

En janvier, Arianespace annonçait « la signature de la mission scientifique Euclid conçue par l’ESA pour améliorer notre compréhension de la matière noire. Euclid sera compatible Ariane 6 et Soyouz », comme « la mission JUICE d’exploration des lunes joviennes ».

L’ESA sera évidemment un bon client d’Ariane 6. Elle souhaite d’ailleurs, avec l’appui de plusieurs pays dont la France, mettre en place un « Buy European Act » pour les lancements institutionnels des pays membres.

Cet article a initialement été publié dans le magazine #2 de Next INpact distribué en janvier. Il est pour le moment réservé à nos abonnés et sera ensuite accessible à tous, comme l'ensemble de nos contenus. Nos magazines sont disponibles à la vente au sein de notre boutique en ligne.

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