Antimatière : « nous pouvons rêver à réaliser des choses encore plus folles »

Le CERN fou fou fou
Tech 7 min
Antimatière : « nous pouvons rêver à réaliser des choses encore plus folles »
Crédits : CERN

En étudiant l’antimatière, et plus particulièrement l’antihydrogène, ALPHA veut essayer d’apporter des éléments de réponse expliquant pourquoi « l’univers est uniquement constitué de matière ». Une nouvelle étape a été franchie avec le refroidissement par laser d’atomes d’antihydrogène. On vous explique en quoi c’est important.

Au CERN, le Grand collisionneur de Hadrons (LHC) se réveille doucement de son deuxième long arrêt technique… avec du retard sur le calendrier. En effet, aux dernières nouvelles la circulation des premiers faisceaux tests est prévue pour fin septembre de cette année.

Pendant ce temps, d’autres expériences se déroulent évidemment et les publications scientifiques continuent de tomber. C’est le cas de la collaboration ALPHA (Antihydrogen Laser Physics Apparatus) qui travaille depuis plus de dix ans sur des atomes d’antihydrogène, « la forme d’antimatière atomique la plus simple ». Une visite virtuelle d’ALPHA est disponible par ici.

Matière vs antimatière : fight !

L’antimatière intrigue les scientifiques depuis très longtemps et plusieurs inconnues de taille restent à expliquer. En effet, aux premiers instants de la création de notre Univers – juste après le Big Bang (il y a 13,8 milliards d’années) – la matière et l’antimatière ont été « créées en quantités parfaitement égales », rappelle le CEA. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde de matière car elle a pris le dessus sur l’antimatière. Une des questions que se posent les chercheurs est de savoir où est passée l’antimatière.

À chaque particule de matière correspond son « double » d’antimatière. Les deux particules partagent de nombreuses propriétés physiques, comme leur masse et durée de vie, mais elles diffèrent sur la charge électrique et certaines propriétés quantiques sont inversées. Lorsque de la matière rencontre son équivalent d’antimatière, les deux peuvent s'annihiler en libérant de l'énergie pure.

10 ans de « pièges » et mesures sur l’antihydrogène

En juin 2011, la collaboration ALPHA avait « réussi à piéger couramment pour une longue durée des atomes d’antihydrogène », une première étape indispensable pour étudier ces particules. Quelques mois plus tard, rebelote avec la mesure spectroscopique de l'antihydrogène, une avancée importante ouvrant « la voie à la possibilité de comparer des atomes de matière et des atomes d’antimatière ».

Pleine d’espoir, la collaboration expliquait que cela « pourrait contribuer à démêler l’un des plus grands mystères de la physique des particules et, peut-être, nous permettre de comprendre pourquoi notre Univers de matière existe ». Il restait néanmoins encore beaucoup de chemin à parcourir (spoiler alerte : c’est encore le cas aujourd’hui).

CERN Paul TRAP
Crédits : CERN

Fin 2016, la même équipe « observe pour la première fois le spectre de lumière de l’antimatière ». Mi-2017, ALPHA récidive avec « la première observation de la structure hyperfine de l’antihydrogène ». Là encore, ces découvertes ouvraient « la voie pour des analyses toujours plus détaillées de la structure de l’antihydrogène et pourraient aider à comprendre les différences qui existeraient entre matière et antimatière ».

« En exposant les antiatomes à des micro-ondes d’une fréquence précise, les scientifiques ont désormais induit des transitions hyperfines et affiné leurs mesures. L’équipe est parvenue à mesurer deux lignes spectrales de l’antihydrogène et n’a observé aucune différence en les comparant aux lignes spectrales de l’hydrogène, dans les limites de précision de l’expérience », expliquait alors ALPHA.

Les cinq derniers mots sont très importants : l’incertitude des mesures pourrait masquer une différence qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives pour la physique. On est un peu dans la même situation que pour vérifier le principe d'équivalence de la chute libre qui, pour rappel, affirme que « dans le vide, tous les corps tombent avec la même vitesse, quelle que soit leur masse ou leur composition ».

Des mesures sur Terre ne permettent pas de le mettre en défaut, pas plus que le satellite Microscope qui confirme l'universalité de la chute libre avec « une précision inégalée » de 14 chiffres après la virgule.  Les chercheurs veulent aller néanmoins encore plus loin pour déceler la moindre faille.

 « Les fondements du Modèle standard » sont en jeu

Début 2020, l’étau se resserrait autour de l’antimatière, avec « les premières mesures de certains effets quantiques dans la structure énergétique de l’antihydrogène ». Ces effets quantiques sont déjà connus pour la matière, mais leur étude sur l’antimatière « pourraient révéler des différences encore non observées » entre les comportements des deux (anti)jumeaux.

L’enjeu est important pour Jeffrey Hangst, porte-parole de l’expérience ALPHA : « L’observation de toute différence entre ces deux formes de matière remettrait en cause les fondements du Modèle standard de la physique des particules », excusez du peu. Ce n’était alors pas le cas puisque les « premières mesures concord[aient] avec les prédictions théoriques de ces effets dans l’hydrogène "ordinaire" ». 

La suite des événements était déjà toute tracée indiquait le porte-parole : « Notre prochaine tâche consistera à refroidir de grands échantillons d’antihydrogène au moyen de techniques ultramodernes de refroidissement au laser. Ces techniques transformeront les études sur l’antimatière et permettront des comparaisons matière-antimatière d’une précision inégalée ».

Le refroidissement de l'antimatière par laser est une réalité…

Cette semaine, la collaboration ALPHA annonce avoir « réussi un refroidissement par laser de l'antimatière ». Cette technique n’est pas nouvelle, elle a même été démontrée il y a 40 ans sur la matière ordinaire. Encore aujourd’hui, elle est largement utilisée dans de nombreux domaines de recherche.

C’est néanmoins une première pour l’antihydrogène : « C’est absolument fabuleux. Il y a une dizaine d’années, le refroidissement par laser de l’antimatière semblait relever de la science-fiction », s’exclame le porte-parole d’ ALPHA. Ces recherches font l’objet d’une publication dans la revue Nature.

Nature ALPHA
Crédits : CERN

Un sentiment partagé par Makoto Fujiwara, présenté par le CERN comme « le premier à avoir défendu l’idée d’utiliser un laser pulsé pour refroidir l’antihydrogène piégé » : « Par le passé, les chercheurs ont eu du mal à refroidir l’hydrogène ordinaire par laser. Arriver à ce résultat avec l’antihydrogène, c’était ce dont nous rêvions depuis des années […] À présent, nous pouvons rêver à réaliser des choses encore plus folles avec l’antimatière ».

… et il améliore la précision des mesures.

Les chercheurs ont ainsi exposé pendant plusieurs heures des atomes piégés et ils ont observé « une diminution supérieure à un facteur 10 de l’énergie cinétique médiane des atomes, une grande quantité d’antiatomes atteignant des énergies inférieures à un microélectronvolt (l’équivalent en température étant environ 0,012 degré au-dessus du zéro absolu) ».

Une fois que les antiatomes étaient refroidis, les scientifiques ont cherché à mesurer l’incidence que cela implique lors d’une mesure spectroscopique. On vous passe les détails de l’expérience, qui ne sont pas nécessaires pour comprendre la conclusion : « Ils ont alors observé une raie spectrale plus étroite, à savoir quatre fois plus étroite que celle observée sans refroidissement au laser ». La précision est donc largement améliorée, ce qui était le but pour trouver d’éventuelles différences entre la matière et l’antimatière.

À la conquête de l’« asymétrie matière-antimatière »

Cette nouvelle étape de refroidissement par laser pave la voie à des « mesures bien plus précises de la structure interne de l’antihydrogène et de son comportement sous l’influence de la gravité ». Le but du jeu est toujours le même : essayer de déceler la moindre variation entre les mesures sur l’antihydrogène et les propriétés de l’hydrogène qui, elles, sont bien connues.

Si les scientifiques parvenaient à détecter la moindre différence, cela ouvrirait alors une brèche qui pourrait « nous renseigner sur la raison pour laquelle l’univers est uniquement constitué de matière – phénomène connu sous le nom d’"asymétrie matière-antimatière" ».

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