Dans l'espace, le satellite Microscope confirme la théorie de la relativité générale d'Einstein avec une précision de 14 chiffres après la virgule. Pas de révolution donc pour le moment, mais les analyses continuent afin d'aller encore plus loin et, peut-être, ouvrir la voie à une théorie du tout.
En avril 2016, après plusieurs années de retard, le satellite Microscope (MICROSatellite à traînée Compensée pour l'Observation du Principe d'Équivalence) décollait à bord d'une fusée Soyouz depuis la Guyane pour une mission de deux ans.
Direction l'espace à une altitude de 710 km environ afin de tester l'universalité de la chute libre. Ce principe est simple, bien qu'un peu déroutant au premier abord : « dans le vide, tous les corps tombent avec la même vitesse, quelle que soit leur masse ou leur composition » explique le CNES.
En filigrane, rien de moins que confirmer ou mettre en défaut la Relativité générale proposée par Albert Einstein il y a plus d’un siècle, excusez du peu... « Du principe d’équivalence découlera la théorie de la relativité générale selon laquelle la gravitation n’est plus une force qui s’exerce depuis un objet vers un autre, mais une déformation de la structure même de l’espace-temps », complète Thibault Damour de l'institut des Hautes Études Scientifiques de l'université de Paris-Saclay.
Les enjeux sont donc importants et les scientifiques étudient ce principe depuis des centaines d'années (bien avant qu'Einstein n'en fasse l'un des piliers de la Relativité générale). Les premiers résultats de Microscope sont tombés aujourd'hui même : ils confirment pour le moment cette hypothèse « avec une précision inégalée ». Ils font l'objet d'une publication dans Physical Review Letters.
Les physiciens à la recherche du Graal : une théorie universelle
Prenons deux minutes pour revenir sur la théorie de la Relativité générale d'Albert Einstein. Elle part du principe que « l'espace et le temps sont liés dans un espace-temps à quatre dimensions et la gravitation résulte d’une courbure de cet espace-temps déformé par la matière ». Elle a notamment été vérifiée par l'observation des ondes gravitationnelles.
Problème, la Relativité générale semble « inconciliable » avec la théorie quantique des champs décrivant de manière extrêmement fidèle le monde des particules et de l’infiniment petit. Les physiciens sont donc à la recherche du Graal : une théorie universelle combinant les deux mondes, mais sans succès pour le moment.
« Si la théorie de la relativité générale est parfaite pour décrire l’interaction gravitationnelle, elle ne l’est pas pour les trois autres interactions régissant la physique des particules gouvernées par la mécanique quantique et unifiées dans le fameux "modèle standard". Or les théories actuellement développées pour tenter d’unifier ces quatre interactions – telle la théorie des cordes – prévoient toutes la violation du principe d’équivalence à un moment donné » explique le CNRS.
Afin de valider ces théories, les physiciens sont donc à la recherche de la moindre brèche dans le principe d'équivalence, aussi infime soit-elle. C'est notamment le but de la mission Microscope afin de repousser toujours un peu plus loin la précision de la mesure. Le principe est toujours le même : comparer la chute libre de deux objets dans le vide.
Une course à la précision depuis plus de 400 ans
Microscope n'est que la dernière d'une longue série d'expériences visant à vérifier avec une précision toujours plus élevée le principe d'équivalence. Au début des années 1600, Galilée s'est penché sur la question et a mené de nombreuses expériences avec des boules de différentes matières (les masses n'étaient donc pas les mêmes), avec toute l'incertitude que l'on peut imaginer à l'époque. Si la légende parle d'un lâcher d'objets du haut de la tour de Pise, ce n'était très probablement pas le cas : il ne s'agissait que d'une expérience de la pensée.
En 1687, c'est ensuite au tour de Newton de se pencher sur la question à l'aide de plusieurs pendules de même longueur, mais de masses différentes. Il valide le principe d'équivalence avec une précision de l'ordre de 10^-3 selon Philippe Berio et Gilles Métris de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA). C'est ensuite au tour de Laplace (aux environs de 1800) d'améliorer la précision de l'expérience imaginée par Newton, en poussant les calculs jusqu'à 10^-7. Tel un village gaulois, l'hypothèse selon laquelle « dans le vide, tous les corps tombent avec la même vitesse, quelle que soit leur masse ou leur composition » résiste encore et toujours.
En 1971, David Scott est le septième homme à poser le pied sur la Lune. Il en profite pour réaliser une expérience sur place : lâcher un marteau et une plume dans le vide afin d'observer leur chute. Le film de l'époque permet de constater que les deux arrivent à peu près en même temps sur le sol. Il ne s'agit d'ailleurs que d'illustrer un propos, pas de mener une véritable expérience scientifique.
La précision augmente depuis les années 70
La précision grimpe encore dans les années 70 grâce à une nouvelle méthode expérimentale : mesurer la distance entre la Terre et Lune. En effet, « la Lune et la Terre étant de composition différente, une violation du principe d'équivalence devrait se traduire sur la manière dont le Soleil attire ces deux astres, donc sur l'orbite de la Lune autour de la Terre » explique le CNES. En mesurant avec une précision de 2 cm l'éloignement de notre satellite naturel, le principe d'équivalence est cette fois-ci vérifié avec une précision de 10^-12 à 10^-13.
Un tel résultat est également obtenu en 2008 : « en raffinant le principe du pendule de torsion avec du béryllium et du titane [NDLR : le premier est bien plus léger que le second avec respectivement 1,848 et 4,51 g par cm^3], le groupe de physiciens américains Eöt-Wash est parvenu à une précision de 13 chiffres après la virgule, le record actuel », indique Gilles Métris... du moins jusqu'à aujourd'hui.
Il y a quelques années, Brian Cox et la BBC ont mis en ligne un reportage dans la Space Power Facility de la NASA permettant notamment d'effectuer des tests sous vide. À plusieurs mètres d'altitude, une boule de bowling et une plume sont lâchées simultanément une première fois avec de l'air ambiant, une seconde fois dans le vide. Dans ce dernier cas, elles arrivent en même temps au sol.
En 2017, Microscope améliore la précision d'un facteur 10
Dans un communiqué commun, le CNRS, le CNES et l'ONERA annoncent aujourd'hui avoir vérifiés le principe d'équivalence avec une précision de 2x10^-14 (14 chiffres après la virgule) : « Après avoir analysé seulement 10% des données acquises, l’équipe qui analyse les données de Microscope, améliore la précision du test du Principe d’Équivalence d’un facteur 10 ! ». La marge d'erreur est donc « aussi faible que le poids d'une mouche domestique comparé à celui d'un supertanker » explique le CNES.
Pour rappel, Microscope est un microsatellite de la filière Myriade du CNES de 300 kg, contre généralement 100 à 150 kg pour ce genre d'engin. Il ne comprend qu'un seul instrument scientifique : un double accéléromètre baptisé T-SAGE (Twin Space Accelerometre for Space Gravity Experiment).
« L'accéléromètre (ou Sensor Unit - SU) dédié au test du principe d'équivalence ou SU-PE comprend une grosse masse en Titane et une petite masse en Platine-Rhodié (PtRh10 : 10% de Rhodium). L'autre SU, appelé SU-REF, est totalement identique au SU-PE (géométrie, composition, méthode de réalisation et d'intégration) à la seule exception de la grosse masse qui est en Platine-Rhodié. On attend donc pour cet accéléromètre aucun signal de violation, mais une signature de référence pour les perturbations et une estimation de la précision de traitement des données » explique l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA), le concepteur des instruments. Tous les détails techniques se trouvent par ici.
Dans l'espace, les masses cylindriques sont minutieusement contrôlées afin de rester immobiles par rapport au satellite. SU-REF permet d'étalonner l'instrument et de vérifier les mesures, tandis que SU-PE vérifie le principe d'équivalence : « les 2 masses subiront la même accélération de contrôle. Si des accélérations différentes doivent être appliquées, cela mettra en évidence une violation du principe d'équivalence, ce qui constituerait alors un événement majeur pour la physique »... ce qui n'est donc pas le cas aujourd'hui.
But de la mission : pousser jusqu'à 10^-15... et après ?
« La phase des mesures scientifiques a débuté en décembre 2016 et permis la collecte de 1 900 orbites utiles à la mesure du Principe d’équivalence. C’est l’équivalent d’une chute de 85 millions de km, la moitié de la distance Terre-Soleil ». Plus de 1 900 orbites supplémentaires sont d'ores et déjà disponibles, permettant probablement d'améliorer encore la précision à l'avenir (ou de violer le principe d'équivalence suivant le cas). Le but étant de se rapprocher de l'objectif de 10^-15. À titre d'exemple, cela reviendrait à comparer le poids d'une mouche à celui de la pyramide de Khéops.
Si le principe d'équivalence devait être mis en défaut, « cela renforcerait la théorie des cordes selon laquelle l’Univers possède des dimensions d’espace supplémentaires » explique Thibault Damour. Il ajoute que « cela implique en effet l’existence d’autres champs que celui de la gravitation, capables de faire varier les constantes de la physique dans le temps et l’espace, constantes qu’on ne sait absolument pas expliquer aujourd’hui », mais nous n'en sommes pas encore là.
Au contraire, si Microscope confirmant la théorie de l'équivalence avec une précision accrue, les scientifiques ne comptent pas en rester là car d'autres projets sont dans les cartons, mais laissés de côté pour le moment. L'Agence spatiale européenne dispose par exemple de Stequest (Space-Time Explorer and Quantum Equivalence Principle Space Test) dont le but est de mettre en chute libre dans l’espace des atomes de nature différente.
Aux États-Unis, Step (Satellite Test of the Equivalence Principle) était aussi envisagé pendant un temps avec trois paires de matériaux différents à une température cryogénique. La précision annoncée était de 18 chiffres après la virgule ! Bref, si Microscope ne trouve pas de faille, d'autres projets pourraient revenir à la charge afin d'augmenter la précision des mesures.
Dans tous les cas, les scientifiques n'ont pas fini de plancher sur le principe d'équivalence pendant encore de longues années.