Les travaux sur le LHC prennent du retard, mais les chercheurs commencent néanmoins à voir le bout du tunnel. La collaboration ALICE – une des expériences du LHC – annonce une « une nouvelle voie pour la physique nucléaire ». Le CERN revoit également sa politique d’open data.
Le LHC (Large Hadron Collider en anglais) est entré en service dans la fin des années 2000, avec une montée en puissance progressive depuis. Il faudra atteindre le 30 mars 2010 pour que l’accélérateur de particules établisse un premier record, avec une collision de faisceaux à une énergie de 7 TeV (Téra électron Volts).
De longs arrêts techniques pour améliorer les performances…
De fin 2012 à début 2015, il a été mis en pause de longue durée (LS1 pour Long Shutdown 1) afin de procéder, comme prévu, à d’importantes améliorations techniques. Sa puissance a été presque doublée, grimpant à 13 TeV. Durant « trois années fantastiques » (selon le CERN), des données ont été récoltées.
Fin 2018, le LHC est entré dans son deuxième long arrêt technique (LS2), il s'y trouve toujours aujourd’hui… et pour plusieurs mois encore. Cette période est consacrée à la mise en place des changements pour la troisième période d’exploitation du LHC, durant laquelle l’accélérateur « aura une luminosité intégrée (indicateur proportionnel au nombre de collisions) égale aux deux exploitations précédentes cumulées ».
Les scientifiques préparent aussi la suite avec un travail préparatoire – sur les injecteurs – pour le LHC à haute luminosité (HL-LHC), qui entrera en service fin 2027. Mais tout ne se passe pas exactement comme prévu.
… le second va durer bien plus longtemps que prévu
Fin 2019, alors que la Covid-19 n’était pas la pandémie mondiale que l’on connait – la direction du CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) annonçait un premier retard sur le planning initial.
Le redémarrage du LHC était programmé pour mai 2021 au lieu du mois de mars. La troisième période d’exploitation était au passage rallongée d’un an, jusqu’à fin 2024. Mais le planning a encore été modifié. Désormais, « le nouveau calendrier du LS2 prévoit ainsi la circulation dans le LHC des premiers faisceaux tests fin septembre 2021 », soit quatre mois de retard.
Au total, on arrive donc à six mois de retard cumulés pour le second long arrêt technique.

Ensuite, l’accélérateur de particules montera en puissance pendant quelques mois. Ce sera alors aux grandes expériences du LHC – ATLAS, CMS, ALICE et LHCb – de « mener à bien leur programme d’améliorations ». Si tout va bien, « la troisième période d’exploitation du LHC démarrera début mars 2022 », et se terminera fin 2024.
Comme pour beaucoup de secteurs, la pandémie est en cause. Les activités ont en effet été arrêtées pendant le premier confinement. Lors de la reprise, fin mai, le défi était de « mener les travaux de grande envergure du LS2 tout en respectant scrupuleusement les mesures sanitaires et de sécurité mise en place pour lutter contre le Covid-19 », explique José Miguel Jiménez (chef du département Technologie du CERN).
Le refroidissement à -271,3 °C de l’accélérateur a déjà débuté
La phase de refroidissement a débuté en octobre 2020 : « le premier des huit secteurs de l’accélérateur a atteint sa température nominale (1,9 K, soit −271,3 °C) le 15 novembre dernier », explique le CERN.
Trois autres secteurs sont en cours de refroidissement et les opérations viennent de débuter pour deux de plus. Il faut généralement presque un mois pour attendre la température souhaitée. L’organisation rappelle que « le LHC constitue le plus imposant système cryogénique du monde et représente l’un des endroits les plus froids de la Terre. La température de fonctionnement des principaux aimants du LHC, 1,9 K (-271,3°C) est inférieure à celle de l’espace intersidéral s’élevant à 2,7K (-270,5°C) ».

Il faudra ensuite attendre début 2021 pour que les deux derniers secteurs – il y en a huit en tout – soient à leur tour refroidis, « ce qui permettra à l'ensemble du LHC de fonctionner dans ses conditions cryogéniques nominales dès le printemps 2021 ».
Ce sera ensuite au tour « des tests de qualité électrique, des tests de puissance » puis d’une « longue campagne d’entraînement des aimants pour atteindre le champ magnétique nominal ». La troisième période d’exploitation démarrera alors, début 2022 pour rappel.
Troisième long arrêt technique programmé pour 2025 à 2027
La suite est déjà connue. Ce sera au tour du LHC à haute luminosité d’être mis en place durant le troisième long arrêt technique (LS3) qui se déroulera entre début 2025 et mi-2027.
Sa mise en service est toujours prévue pour fin 2027 (comme annoncé fin 2019). C’est par contre en retard par rapport au calendrier initial qui tablait sur mi-2026. À ce moment-là, le collisionneur générera dix fois plus de collisions et « cela permettra aux physiciens d'étudier les mécanismes connus, comme celui de Brout-Englert-Higgs, en détail, et d'observer d’éventuels nouveaux phénomènes très rares ».
De quoi ouvrir un « potentiel de découverte considérable » selon le CERN.
Une publication d’ALICE autour de l’interaction forte…
En attendant, les scientifiques ne restent pas les bras croisés. Une annonce importante vient d’être faite par la collaboration ALICE, une des principales expériences du LHC.
À travers une publication dans Nature, elle « montre comment les collisions proton-proton auprès du Grand collisionneur de hadrons peuvent révéler l’interaction forte entre les particules composites appelées "hadrons" ». Cela mérite un petit rappel.
Car dans l’Univers, toute la matière n’est composée que de douze particules (six quarks et six leptons) et quatre interactions fondamentales. Nous avons déjà détaillé ces quatre dernières : force gravitationnelle, interaction (ou force) électromagnétique, faible et forte. Cette dernière agit « à courte portée au sein du proton et du neutron ».
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… qui ouvre « une nouvelle voie pour la physique nucléaire »
Dans le cas présent, ALICE s’intéresse aux hadrons, des particules « composites constitués de deux ou trois quarks liés par l’interaction forte, portée par les gluons ». Cette interaction forte « agit également entre les hadrons, en liant les nucléons (protons et neutrons) à l’intérieur des noyaux atomiques ». Et « un des plus grands défis en physique nucléaire est de comprendre l’interaction forte entre hadrons […] en étudiant cette interaction s’exerçant sur les éléments constitutifs des hadrons, à savoir les quarks et les gluons ».
Il existe déjà des méthodes – les calculs de chromodynamique quantique (CDQ) sur réseau par exemple – pour déterminer cette interaction forte, mais elle ne fonctionne que pour certains types de hadrons (avec des quarks lourds et étranges). Les scientifiques aimeraient faire de même sur l’ensemble des hadrons.
L’étude de la collaboration ALICE explique « comment une technique [la femtoscopie, ndlr] fondée sur la mesure de la différence d’impulsion entre hadrons produits lors de collisions proton-proton auprès du LHC peut être utilisée pour révéler la dynamique de l’interaction forte entre hypérons et nucléons, potentiellement pour n’importe quelle paire d’hadrons ».
Pour Luciano Musa, porte-parole d’ALICE, enfonce le clou : « les données issues des prochaines campagnes du LHC devraient nous fournir des éléments sur n’importe quelle paire de hadrons », et c’est bien cela qui intéresse les scientifiques. Cela permettra d’avancer dans nos connaissances théoriques et d’ouvrir « une nouvelle voie pour la physique nucléaire auprès du LHC ».
Le CERN se renforce sur la science ouverte
Dernier point et non des moindres : le CERN « annonce une nouvelle politique de données ouvertes à l'appui de la science ouverte ». Approuvée à l’unanimité par les quatre grandes collaborations du LHC (Alice, Atlas, CMS et LHCb), elle veut rendre la recherche scientifique « plus reproductible, plus accessible et plus collaborative ».
« Cette politique consiste en un engagement de publier, parmi les données recueillies aux expériences du LHC, les données scientifiques dites de niveau 3, c'est-à-dire celles qui sont requises pour produire les études scientifiques. Les données commenceront à être publiées cinq ans environ après l'acquisition, le but étant que l'ensemble complet de données soit public au moment de la clôture de l'expérience concernée.
[Elles] peuvent contribuer à la recherche scientifique en physique des particules, ainsi qu'à la recherche dans le domaine du calcul scientifique, par exemple pour améliorer les méthodes de reconstitution ou d'analyse fondées sur les techniques d'apprentissage automatique, approche qui requiert des ensembles de données volumineux pour l'entraînement et la validation ».
Les logiciels et la documentation permettant de les exploiter pleinement, seront aussi mis en ligne. Les données de niveau 1 – les éléments à l'appui des résultats publiés dans des articles scientifiques – et les ensembles de données conçus à des fins pédagogiques et de vulgarisation (niveau 2) seront aussi proposées en open data.