Les temps sont durs pour les sociétés de gestion collective. 268 millions d’euros en 2016, 276 millions en 2017, 289 en 2018, les collectes de redevance pour Copie privée sont tombées à 260 millions en 2019. Soit presque le niveau de 2014. Et 2020 devrait être pire, Covid oblige. Heureusement, tout est prêt pour préserver les récoltes des intempéries actuelles.
Les tatillons qualifieraient ces fluctuations d’absolument « normales ». Et pour cause, la « rémunération » pour copie privée, comme on l’appelle en France, est tout sauf… une rémunération. Il s’agit juridiquement d’une compensation venant combler le préjudice subi par les titulaires de droit.
Quel préjudice ? Celui né de la copie d’une œuvre légalement acquise par une personne physique, mais réalisée sans l’autorisation du créateur.
Un barème est à ce titre établi dans une commission administrative où sont représentés 6 consommateurs, 6 industriels et surtout 12 ayants droit. Une découpe qui permet aux sociétés de gestion collective d’avoir la main sur ces flux qu’ils vont percevoir, via leur société civile Copie France.
L’assujettissement de chaque support (téléphone, tablette, disque dur externe, box, etc.) s’applique à chaque fois qu’un produit est importé en France. Ce flux est donc finalement tributaire des ventes. Moins de produits sont importés en France pour y être vendus, moins les sociétés de gestion collective collectent. Et inversement.
Depuis des années, les ayants droit considèrent cette manne comme un droit, une subvention qui ne dit pas son nom, dont le moindre coup de rabot est considéré comme la pire des injustices. Aujourd’hui, la crise du COVID n’est pas la seule menace pesant sur ces flux. L’an passé, 70 % des flux de redevances provenaient de l’importation de smartphone. En somme, les œufs dorés sont dans le même panier. Gare à la casse en cas de rhume sur ce créneau !
Trois autres leviers sont cependant prêts à entrer en scène et éviter la fonte des perceptions : l’assujettissement des disques durs nus et des ordinateurs, les « feature phones » ou téléphones basiques et enfin, les supports d’occasion, soit une gifle assénée à l’économie dite circulaire.
Trois sujets qui ont été à l’ordre du jour le 16 novembre dernier, en Commission Copie Privée.
Nouveau barème pour les téléphones « basiques »
Ce segment vise des téléphones achetés par des personnes âgées notamment. De grosses touches. De gros caractères. Des capacités ridicules, mais un barème commun à celui des Android ou iPhone de dernière génération.
Le barème actuellement en vigueur date d’octobre 2018. Jusqu’à 8 Go, l’importateur doit ainsi payer 4 euros par unité, que le téléphone dispose donc de 8 Go ou… de 128 Mo de stockage. La situation tranche avec l’ancien barème datant de 2012. En cette période, un appareil de 128 Mo était lesté d’à peine 0,09 euro de redevance pour copie privée. Une multiplication par plus de 50, expliquée par un changement de calcul : le passage d’un système proportionnel (0,7 €/Go autrefois) à un système aujourd’hui par tranche.
Ce changement a fait l’objet de nombreuses critiques dans le camp des industriels qui siègent au sein de la Commission copie privée. Début octobre, les ayants droit ont donc mis sur la table une proposition de correction avec un barème de 1 à 3 euros concocté spécialement pour téléphones de base :
- Jusqu’à 128 Mo : 1 euro
- Entre 128 Mo et 512 Mo : 2 euros
- Entre 512 Mo et 2 Go : 3 euros
Avant la réunion de lundi, cette proposition a été affinée avec une deuxième barème pour le moins étrange puisqu'exprimé selon une logique binaire (en Mio) et non plus seulement décimale (en Mo). Finalement, un troisième barème a été examiné lors du vote :
- Jusqu’à 135 Mo : 0,50 euro
- Supérieure à 135 Mo et inférieur ou égale à 525 Mo (ou 537 Mo, selon les versions) : 1,50 euro
- Supérieur à 525 Mo (ou 537 Mo) et inférieur ou égale à 2 Go : 2,50 euros
- Supérieur à 2 Go et inférieur ou égale à 8 Go : 4 euros
C’est ce barème, après corrections de dernière minute, qui a été adopté. Il est prêt à être publié au Journal officiel. S’il l’est avant le 1er décembre, il s’appliquera pour les produits importés à partir de cette date. Au-delà du 1er décembre, le barème de 2015 l’emportera jusqu’au 31 décembre. Soit, sous le sapin, un barème plus avantageux pour les ayants droit.
Les disques durs nus, les ordinateurs fixes et portables
En Commission Copie privée, le thème de l’assujettissement de cette gamme de produits n’est pas encore acté officiellement. « Il n’est pas encore certain que les ordinateurs soient soumis à la RCP », indiquait en juin 2020 l’un des représentants de Copie France, siégeant en Commission copie privée.
En coulisse, les troupes sont en ordre de bataille. Le ministère de la Culture a lancé un marché portant « réalisation d'une étude des pratiques de copies privées sur les familles de supports suivantes : - supports de stockage intégrés à des PC portables - supports de stockage intégrés à des PC de bureau - supports de stockage interne d'ordinateurs vendus nus ».
Sans vouloir « spoiler », les étapes suivantes peuvent facilement être prophétisées : alors que quatre entreprises se sont déjà portées candidates pour répondre à ce marché, l’idée sera de jauger des pratiques de copies d’œuvres auprès d’un panel d’utilisateurs.
Si des copies sont effectivement déclarées par ces sondés, alors la Commission sera en capacité juridique de discuter d’un barème. Et puisque les 12 ayants droit sont en position de force et qu’ils perçoivent le fruit des tarifs qu’ils votent, autant dire qu’ils auront tort de se priver d’un vote favorable en cette période de vaches maigres.
Lundi dernier une visioconférence a déjà été organisée avec les quatre soumissionnaires. Viendra bientôt le moment du choix du vainqueur. Puis la poursuite de ce plan aux petits oignons consacrant la renaissance de la taxe Tasca.
L’assujettissement des supports d’occasion
Durant cette dernière réunion, un autre sujet d'ampleur est arrivé sur la table de la Commission copie privée. Officiellement, son inscription à l’ordre du jour n’émane pas des collèges de la commission, mais directement du président Jean Musitelli.
L’idée ? Envisager l’application de la redevance pour copie privée non plus seulement sur les produits neufs, mais également sur les produits d’occasion, et donc le marché du reconditionné.
Le sujet tombe au plus mal pour Cédric O. Le secrétaire au numérique a vanté pas plus tard que le 8 octobre dernier les actions du Gouvernement « dans le cadre de la Loi Anti-Gaspillage et Economie circulaire ».
Il a dévoilé surtout, aux côtés de la ministre de la Transition Écologique Barbara Pompili, sa feuille de route en la matière, un programme qui « intègre des actions pour produire moins et mieux : réparabilité, reconditionnement et réemploi, écoconception ».
Et Cédric O de vouloir « inciter beaucoup plus largement au réemploi des millions voire des plus de 100 millions de smartphones qui dorment dans les tiroirs des Français ». Ainsi, « nous allons lancer d'ici la fin de l'année avec les opérateurs Telecom une opération de communication et de récupération systématique des téléphones usagés, au bénéfice de leur réemploi et de leur reconditionnement ».
Selon nos informations, le sujet n’a pas échappé à la Rue de Valois, qui voit dans ces ventes autant de possibles redevances s’envoler. Après intervention du ministère de la Culture et arbitrages gouvernementaux, finalement, la question de la redevance sur ces produits d’occasion a été poussée sur la scène de de la Commission Copie privée, sous l’intitulé : « Examen de la question des supports reconditionnés ».
Ainsi, alors que Cédric O met le cap sur l’économie circulaire et le réemploi, les ayants droit s’apprêtent à installer leur aspirateur à redevances.
Aucune surprise finalement. Le sujet a d’ailleurs déjà été anticipé par ces bénéficiaires puisque, comme révélé par Next INpact le 26 mai dernier, la société des organismes de gestion collective a assigné plusieurs acteurs du marché du produit de seconde main. Dans son dernier rapport annuel, Copie France révèle avoir « engagé une réflexion et a pris position officiellement quant à l’assujettissement des appareils reconditionnés - comme les smartphones et les tablettes », considérant qu'ils « offrent à un nouvel utilisateur la possibilité de bénéficier de fonctions identiques de copie privée ».
« Si on assujettit les produits reconditionnés, le consommateur va payer deux fois cette redevance. Une fois sur le produit neuf. Une fois sur le produit d’occasion », regrettait pour sa part Jean-Lionel Laccourreye, président du SIRRMIET, le Syndicat Interprofessionnel du Reconditionnement et de la Régénération des Matériels Informatiques, Électroniques et Télécoms.