En attendant de pouvoir récupérer des échantillons martiens, les scientifiques étudient ceux « tombés » du ciel. La météorite « Black Beauty » trouvée au Maroc a ainsi permis d’obtenir un « argument solide » pour valider l’hypothèse d’un réchauffement par effet de serre il y a plus de 4 milliards d’années, permettant à l’eau liquide de s’écouler.
Mars est une planète intéressante à plus d’un titre. Il y a évidemment l’espoir d’y trouver des traces de vie passée, mais pas seulement : « regarder Mars c'est regarder une fenêtre du passé, qui n'existe plus sur Terre à cause de l'érosion, mais qui a vu naitre la vie », expliquait l'astrophysicien et planétologue Sylvestre Maurice.
Ce dernier, notamment responsable des instruments scientifiques ChemCam et SuperCam sur les rovers Curiosity et Perseverance (Mars 2020), ajoutait lors d’une conférence : « C'est pour ça qu'on pense que la recherche de la vie est si importante sur Mars : c'est en quelque sorte chercher comment la vie est née sur une planète et comment elle est née sur Terre ». Une quête deux-en-un.
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Mais il n’y a pas que les analyses in situ pour mener des études. L’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) revient sur la publication « Early oxidation of the martian crust triggered by impacts » dans Science Advances (le 30 octobre).
Elle se base sur l’analyse d’une météorite martienne qui « révèle que l’oxydation de la croûte de Mars liée aux nombreux impacts que subissait la planète aurait pu induire, par effet de serre, un réchauffement de l’atmosphère malgré un Soleil plus faible qu’aujourd’hui ». Cela mérite quelques explications.
Mars, l’eau liquide et le « paradoxe du jeune Soleil faible »
Tout d’abord un rappel important par l’IPGP : « de nombreuses preuves géomorphologiques provenant des observations faites par des missions spatiales montrent que de l’eau liquide coulait à la surface de Mars très tôt dans l’histoire de la planète (il y a plus de 3,7 milliards d'années) ». Rien de nouveau ici, nous l’avons déjà longuement évoqué dans notre dossier sur l’exploration et l’histoire de Mars.
Cependant, cette présence d’eau liquide demeure une énigme pour les scientifiques, qui parlent du « paradoxe du jeune Soleil faible ». En effet, à cette époque lointaine « notre Soleil était 30 % plus faible en termes de production d’énergie qu'il ne l'est aujourd'hui et ne réchauffait pas suffisamment la planète rouge pour y maintenir de l'eau à l’état liquide ». Il faut en effet bien distinguer le fait – la présence d’eau liquide – de la cause, c’est-à-dire de savoir comment elle est arrivée là.
Jamais à court d’idées, les scientifiques ont proposé des modèles basés sur un réchauffement de l’atmosphère de la planète rouge, lié au dégazage de gaz à effet de serre par du magmatisme intense (la formation, migration et solidification des magmas, explique le Larousse). Comme toujours en pareille situation, une hypothèse doit être confirmée par des observations.
Problème, « la validation de ces modèles se heurte à la rareté d’échantillons martiens anciens ».
Analyser « Black Beauty » en attendant des échantillons martiens
Il y aura bien des retours d’échantillons programmés, mais il faudra encore attendre des années avant de voir ces projets se réaliser. Il est en effet prévu de collecter des échantillons avec la mission Mars 2020 (qui a décollé cet été), mais il faudra une autre sonde pour venir les chercher.
Les scientifiques impliqués dans cette mission ont déjà expliqué qu’il y avait « un petit risque » que la récupération ne se fasse jamais, car c'est « un très, très gros programme pour ramener trois ou quatre kilos ». En effet, « pour envoyer un robot d'une tonne, il faut le mettre dans une capsule qui fait environ trois tonnes et il faut cinq cents tonnes de carburant... Imaginez quand il faut repartir » soulignaient les scientifiques.
Autre solution : étudier les roches martiennes grâce aux météorites qui se baladent dans notre Système solaire. Dans le cas de la planète rouge, une météorite intéresse particulièrement les scientifiques : NWA 7533, aussi baptisée « Black Beauty ».
Elle ne pèse que 84 grammes pour 4 cm environ de longueur. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne faut pas aller bien loin pour l’étudier puisqu’elle se trouve… sur Terre. Elle a été découverte en 2011 au Maroc. Ce fragment a probablement été éjecté lors d’un important impact, puis a fait un long voyage interplanétaire avant d’arriver sur notre bonne vieille Terre.
« Parmi les quelque 300 météorites martiennes trouvées jusqu’à présent », Black Beauty est unique pour l’IPGP, qui soulève deux points importants : « sa composition chimique similaire aux roches de l’hémisphère sud de Mars, et aussi […] le fait qu’elle contienne les plus anciens fragments de la croûte de Mars connus, pouvant remonter à 4,4 milliards d'années ».

Et paf ça fait des chocapic un réchauffement climatique
Son étude a permis de trouver des « indices » – oui, les scientifiques se contentent parfois de peu – sur les mécanismes ayant permis de maintenir un climat chaud à la surface de la planète à cette époque qui remonte à plusieurs milliards d’années.
Pour arriver à ces résultats, ils ont utilisé de « nouveaux outils chimiques et isotopiques » développés à l’IPGP. Ils ont ainsi découvert que « les anciens fragments de la croûte martienne ont été formés lors de puissants impacts que la jeune planète a connus et que ces fragments ont subi une oxydation progressive au cours de leur refroidissement ».
Rappelons qu’une oxydation est une réaction chimique – souvent provoquée par l’oxygène – qui enlève des électrons à un atome ou une molécule. La réaction contraire est la « réduction ». Quel rapport avec l’atmosphère de Mars ? On y arrive :
« Parallèlement, l’analyse isotopique de l’oxygène contenu dans les différentes inclusions de la météorite montre une évolution de l’oxydation au cours du temps et confirme ainsi l’hypothèse d’une oxydation de la croûte liée à une fusion par impacts en présence d’eau, déjà présente sous forme de glace ou apportée par les impacteurs.
Cette oxydation précoce de la croûte martienne par de l'eau a entrainé la libération de dihydrogène (H2) gazeux dans l'atmosphère martienne. Une quantité élevée de H2, gaz à effet de serre, dans une atmosphère épaisse de CO2 (comme celle de Mars) a, en réaction, entrainé un réchauffement de la surface de Mars de plusieurs dizaines de degrés ».
Un « argument solide » au réchauffement par effet de serre
Le réchauffement causé par l'énergie cinétique libérée aux moments des impacts « ne dure que quelques années », pas suffisant pour être réellement significatif.
Par contre, « les effets de serre associés aux processus d'impacts peuvent induire des climats chauds, propices à la présence d’eau liquide, qui peuvent se maintenir des dizaines de millions d'années ». Voilà comment les scientifiques du CNRS, de l’IPGP, et de l’université de Paris arrivent à donner des explications au « paradoxe du jeune Soleil faible ».
« Cette étude apporte ainsi un argument solide à l’hypothèse d’une croûte martienne primitive refondue par des impacts, ainsi qu’à celle d’un réchauffement par effet de serre permettant l’écoulement d’eau liquide sur Mars il y a plus de 4 milliards d’années », ajoute l’Institut de Physique du Globe de Paris.
Les yeux sont désormais tournés vers la mission Mars 2020, qui devrait arriver dans le cratère Jezero en février 2021 si tout va bien. Les mesures pourront alors commencer. Pour rappel, l’Europe aussi se prépare avec ExoMars dont le deuxième volet a été repoussé à 2022 (il était au début question de 2018).