La Quadrature du Net dépose un nouveau recours contre les drones policiers

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Droit 9 min
La Quadrature du Net dépose un nouveau recours contre les drones policiers
Crédits : Macrovector/iStock

La Quadrature du Net repart au combat contre les drones utilisés par la Préfecture de police de Paris. Un nouveau missile sol-air a été adressé devant les juridictions administratives. Dans la lignée d’une première ordonnance, elle demande à ce que ces yeux électroniques soient suspendus, faute d’encadrement spécifique.

Dans un précédent référé, le Conseil d’État avait accueilli favorablement la demande de LQDN et de la Ligue des Droits de l’Homme. Ce 18 mai 2020, en plein confinement, la haute juridiction administrative estimait que l’usage de ces appareils par la Préfecture de Police de Paris, conformément à une note des services du 14 mai, « n’est pas de nature à porter, par lui-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ».

Toutefois, relevait-il dans sa décision, « les appareils en cause qui sont dotés d’un zoom optique et qui peuvent voler à une distance inférieure à celle fixée par la note du 14 mai 2020 sont susceptibles de collecter des données identifiantes ».

Le Conseil d’État relevait dans la foulée que les drones policiers ne disposaient ainsi d’« aucun dispositif technique de nature à éviter, dans tous les cas, que les informations collectées puissent conduire, au bénéfice d’un autre usage que celui actuellement pratiqué, à rendre les personnes auxquelles elles se rapportent identifiables ».

En tenant compte du fait que les images sont enregistrées mais également transmises au centre de contrôle, il y a bien traitement (1) de données personnelles (2).

Problème épinglé dans l’ordonnance de mai 2020, si l’article 31 de la CNIL autorise « les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et (…) qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté », c’est seulement si un texte vient encadrer ces opérations. Texte faisant alors cruellement défaut.

La décision enjoignait ainsi les autorités à soit brider les appareils pour éviter le risque de traitement de données personnelles, soit à prendre un texte spécifique après avis de la CNIL.

Cinq mois plus tard, la Quadrature a décidé une nouvelle fois d’attaquer ces flottes policières devant le tribunal administratif de Paris. Si les drones ont été priés de rester au sol, la décision était calibrée pour ne viser que la période d’état d’urgence, pas au delà : « Conformément aux motifs de la présente ordonnance, il est enjoint à l’Etat de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement ».

Le déconfinement étant depuis en vigueur, les flottes de drones sont ainsi reparties à l’assaut du ciel de Paris, conduisant à un nouveau recours annoncé ce jour par l’association.

Une lecture très restrictive de la première ordonnance

Alors que l’ordonnance de mai « aurait dû mettre fin à l’utilisation, par la préfecture de police de Paris, de drones à des fins de police administrative, des témoignages, clichés photographiques et vidéos diffusés par la presse et par des particuliers sur les réseaux sociaux, montrent que la police utilise toujours des drones à des fins de police administrative, notamment lors de manifestations sur la voie publique » écrit l’association.

Elle dénonce une « lecture particulièrement restrictive de la lettre du dispositif de l’ordonnance du 18 mai 2020, faisant radicalement fie de ses motifs et de son esprit général ».

En appui de sa procédure, elle cite plusieurs cas mis à l’index sur les réseaux sociaux. Ainsi, « le 19 juin 2020, un utilisateur du réseau social Twitter y a diffusé une image datée du 9 juin 2020, jour d’une manifestation à Paris, où une équipe de police « Moyens aériens » s’apprête à faire décoller un drone ».

Le 4 juillet 2020, « un utilisateur du réseau social Twitter a diffusé une vidéo prise lors de la manifestation pour la "marche des fiertés" à Paris où l’on aperçoit une équipe de police faire décoller un drone au-dessus des rues », etc. La Quadrature elle-même a pu le 17 octobre 2020 « constater lors de la manifestation "en solidarité avec les sans-papiers" à Paris différentes équipes de police faire décoller des drones au-dessus des rues ».

Le recours cible également le « Schéma national de maintien de l’ordre » publiée le 17 septembre 2020 par le ministère de l’Intérieur qui relève que les unités de force mobile « peuvent bénéficier de l’appui de moyens vidéo (SARISE – système autonome de retransmission d’image pour la sécurisation d’événement, CNOEIL – cellule nationale d’observation et d’exploitation de l’imagerie légale, drones, etc.) leur permettant de visualiser leur environnement et d’adapter rapidement leur manoeuvre dans le respect des instructions d’emploi dans le cadre du maintien de l’ordre ».

Pas de décision formelle, mais une urgence

Le recours de la Quadrature du Net a pu purger une première difficulté : l’absence d’acte administratif. « Si, d’une part, les requérants doivent, en principe, identifier formellement la décision qu’ils entendent attaquer et, d’autre part, produire cette dernière avec le recours qu’ils introduisent à son encontre devant le juge administratif, il est acquis qu’en l’espèce cette production est impossible, dès lors que l’acte administratif dont l’annulation est demandée est un acte dont l’existence a été révélée par son exécution » argument-t-elle, dans l’espoir que l’absence de décision formelle ne fera pas échec à cette procédure.

Pour justifier l’urgence de sa procédure, elle met en exergue le caractère massif des traitements mis en œuvre qui concerne en outre des données sensibles lors des manifestations (données biométriques et des données révélant les appartenances syndicales, les opinions politiques, philosophiques, religieuses, etc.). Elle ajoute l’absence de texte d’encadrement face à une application opérationnelle « solidement établie puisqu’il existe déjà des unités spécifiques dédiées au déploiement de drones dans le cadre de la surveillance des manifestations ».

Atteintes à la vie privée, à la liberté de manifester, aux données personnelles...

Faute de marché public, elle considère que les drones utilisés restent les mêmes, à savoir des DJI type Mavic Enterprise « équipés d’un zoom optique X3 ».

Elle réitère donc ses critiques : traitements de données à caractère personnel illicites, de multiples atteintes à la vie privée, à la liberté individuelle ou encore à la liberté d’aller et venir et bien évidemment à la liberté d’expression et de manifester. « En particulier, la surveillance permise par drones est susceptible de dissuader la participation à des manifestations, notamment dans la mesure où leur usage est très fréquent et tend ces derniers temps à devenir systématique ».

Elle épingle également l’absence d’analyse d’impact, pourtant commandée par la directive Police Justice alors qu’on se retrouve face à une « surveillance générale et systématique des personnes, à grande échelle et dans une zone accessible au public » par le biais d’une nouvelle technologie.

Est encore en doute la proportionnalité de cette flotte. Alors que la directive Police Justice autorise ces traitements de données « en cas de nécessité absolue, sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de la personne concernée », le ministre de l’Intérieur a reconnu dans son Schéma national de maintien de l’ordre que ces appareils étaient simplement « utiles ».

Suspension de cette flotte en attendant la décision au fond

« Dans l’hypothèse où sa finalité serait d’assurer la surveillance des manifestations dans le cadre d’une mission de police administrative, il faut souligner que la préfecture de police de Paris n’a justifié ni de la nécessité, ni de l’adéquation, ni de la proportionnalité du dispositif par aucune étude, statistique et autre élément matériel. Il est impossible d’évaluer les critères qui déterminent les parcours de chaque drone, leur nombre, leurs caractéristiques techniques précises ou leurs horaires de vol ». On ne sait davantage quel est le sort des données, en particulier la durée d’enregistrement.

Après une pluie d’argumentations, la Quadrature réclame la suspension de ces drones, en attendant la décision au fond. Elle demande qu’il soit enjoint au préfet de police de Paris « de cesser immédiatement, à compter du prononcé de l’ordonnance à intervenir, de capter des images par drones, de les enregistrer, de les transmettre ou de les exploiter, puis de détruire toute image déjà captée dans ce contexte, sous astreinte de 1 024 euros par jour de retard ». Et enfin que l’État soit condamné à 4 096 euros pour couvrir les frais.

Les drones dans la proposition de loi pour la sécurité globale

Selon le dernier décompte, la gendarmerie nationale possède 300 drones (nanodrones et microdrones) et la police, un parc de 262 drones « répartis sur l’ensemble du territoire national (outre-mer inclus) » détaille un récent rapport parlementaire (notre actualité).

Et cette procédure est lancée alors dans la proposition de loi relative à la sécurité globale, déposée par les députés LREM et Agir ensemble, vise justement à apporter l’encadrement de ces drones. Dans le texte dévoilé dans nos colonnes, il est prévu que les drones policiers pourront être déployés pour de larges finalités :

  • La sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, lorsque les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public, ainsi que l’appui des personnels au sol en vue de maintenir ou de rétablir l’ordre public
  • La prévention d’actes de terrorisme
  • Le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves
  • La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords
  • La sauvegarde des installations utiles à la défense nationale
  • La régulation des flux de transport
  • La surveillance des littoraux et des zones frontalières
  • Le secours aux personnes
  • La formation et la pédagogie des agents

Et la loi en gestation interdit à ces yeux aériens mis en œuvre sur la voie publique, de visualiser « les images de l’intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées ». Les enregistrements sont détenus durant 30 jours, sauf procédures utilisant ces images.

Le texte prévoit en outre que l’autorité responsable tienne un registre des traitements « précisant la finalité poursuivie, la durée des enregistrements réalisés ainsi les personnes ayant accès aux images, y compris le cas échéant au moyen d’un dispositif de renvoi en temps réel ».

Autant de garanties inconnues dans le dispositif actuel, si tant est qu’un traitement de données à caractère personnel puisse être encore une fois constaté par la juridiction administrative.

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