L’empreinte environnementale du CERN est loin d’être négligeable : 1 251 GWh d’électricité par an, 223 800 teqCO₂, 3 477 000 m³ d’eau, rayonnements ionisants, bruit, etc. Il l'évoque dans un premier rapport permettant de se faire une idée de l'impact d'une telle mégastructure dédiée à la recherche.
L'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (ou CERN), existe depuis plus de 65 ans. Il emploie environ 3 600 personnes, « quelque 12 500 scientifiques du monde entier utilisent ses infrastructures » et comprend deux sites principaux : celui d’origine de Meyrin à cheval sur la frontière franco-suisse et de Prévessin en France.
On doit à son réseau d’accélérateurs de particules, qui est – selon ses propres termes – rien de moins que « le plus éminent laboratoire de recherche en physique des particules du monde », la découverte de nouvelles particules, dont le fameux boson de Higgs. Mais tout cela à un coût, notamment énergétique.
Ce n’est d’ailleurs pas une surprise : le Grand collisionneur de hadrons consomme à lui seul 46 % de l’électricité du CERN. On monte même à 85 % si l'on y ajoute les accélérateurs (Super) Proton Synchrotron ; sur un total de 1 251 GWh en une année ce n’est pas rien ! Malgré les travaux d’amélioration qui sont actuellement en train d’être réalisés et ceux prévus dans les prochaines années, la consommation ne devrait pas aller en diminuant.
Le CERN consomme autant que 2 % de la Suisse
Depuis plusieurs années, les politiques environnementales prennent de plus en plus d’importances dans notre société, à tel point que le CERN a décidé de faire une introspection et de mettre en ligne son premier rapport en la matière pour la période 2017–2018. Il manque encore quelques informations, mais il permet de dresser un premier état des lieux. L’Organisation veut être un « modèle » dans son domaine, et se fixe des objectifs à moyen terme.
Si vous vous demandez quelle est la puissance du CERN, il donne la réponse : « Lorsque tous les accélérateurs sont en marche, la demande de puissance maximale avoisine 180 mégawatts, soit près de la moitié de ce que fournit la centrale hydroélectrique de Génissiat, située non loin, en France ». Sa capacité est de 420 mégawatts.
Son énergie provient principalement de France, « dont 87,9 % de la capacité de production a une empreinte carbone nulle (chiffres de 2017) ». Pour rappel, plusieurs géants du Net ont d’ores et déjà annoncé qu’ils étaient – ou passeraient – à une empreinte carbone nulle, voire qu’ils élimineraient leur « héritage carbone » depuis leur création. 2030 semble être une année charnière pour plusieurs d’entre eux.
Au CERN, il n’est pas (encore ?) question d’une empreinte carbone nulle pour le moment. En période d’exploitation des accélérateurs de particules – ce n’est pas le cas actuellement car le LHC est dans son deuxième long arrêt technique – la consommation annuelle est de 1 200 GWh, « soit environ 2 % de la consommation de la Suisse ou 0,03 % de celle de l’Europe ». En dehors, elle baisse de 30 à 50 % environ.
95 % de la consommation d’énergie vient de l’électricité, mais il y a aussi du gaz naturel pour le chauffage, de l’essence pour les véhicules et du diesel pour les générateurs de secours. Ainsi, « en 2018, la consommation de combustibles fossiles était de 232 TJ (64,4 GWh) ». Tout de même !

Phase 2 : « deux fois plus de données par unité d’énergie »
Le CERN affirme par contre que l’efficacité de son principal accélérateur a été doublée : « deux fois plus de données [issues des collisions de particules, ndlr] par unité d’énergie lors de sa deuxième exploitation que lors de sa première ». Un indicateur sera d’ailleurs prochainement mis en place afin de suivre cette évolution.
Anticipant le passage au LHC à haute luminosité (HL-LHC), « le CERN entend en priorité limiter la hausse de sa consommation d'énergie à 5 % d’ici à fin 2024 ». Le HL-LHC et ses expériences seront mis en place au cours du troisième long arrêt technique entre 2025 et mi-2027. L’Organisation ne donne pas d’objectif à long terme pour l’instant, il faudra attendre les prochains rapports pour en savoir davantage.
Pour rappel, la luminosité « est un indicateur important de la performance d’un accélérateur : elle est proportionnelle au nombre de collisions se produisant en un temps donné. Plus la luminosité est grande, plus les expériences récoltent de données, leur permettant d’observer des processus rares ».
La récupération d’énergie est aussi au programme et pourrait même s’étendre à l’avenir : « En 2018, le CERN a proposé d'utiliser la chaleur récupérée des systèmes de refroidissement de ses accélérateurs pour chauffer une nouvelle zone d’habitations de 8 000 habitants à Ferney-Voltaire ». Un autre projet du même acabit est actuellement étudié pour chauffer les bureaux du site de Meyrin.
Quid de la Grille de calcul ?
La consommation des centres de la Grille de calcul mondiale pour le LHC (WLCG) ne sont pour le moment pas pris en compte dans ce rapport. Il s’agit pour rappel d’une « structure distribuée dont le niveau le plus haut est réparti entre le CERN et le centre Wigner de Budapest ». Elle comprend au total plus de 170 sites dans 42 pays.
Son but est de stocker, traiter et distribuer les données des accélérateurs. Les expériences du LHC génèrent environ 90 Po par an, auxquels il faut ajouter 25 Po pour autres expériences, soit 115 Po au total ; excusez du peu. La consommation est donc loin d’être anecdotique, même si elle reste faible par rapport à celle des accélérateurs.
« En 2018, le centre de calcul du CERN a consommé 127,8 TJ (35,5 GWh) ; celui de Budapest 36,5 TJ (10,1 GWh) » précise le rapport.
Gaz à effet de serre : 223 800 teqCO₂, en légère baisse
Concernant les émissions de gaz à effet de serre (GES), le CERN annonce un total de « 192 100 tonnes d’équivalent CO₂ (teqCO₂) » en 2018, contre 193 600 en 2017, dont 78 % sont composés de gaz fluorés. 92 % des émissions sont « liées aux activités des grandes expériences LHC » et notamment à la détection de particules.
Les détecteurs sont évidemment équipés de systèmes de recirculation des gaz fluorés, mais avec un taux d’efficacité de « 90 % en raison des exigences de pureté des gaz ». Le CERN reconnait que les émissions de gaz fluorés « proviennent en majorité de petites fuites dans les détecteurs ».
Il ajoute rapidement que « la réparation des fuites des détecteurs est une priorité constante du Laboratoire ». Le CERN a ainsi pu maintenir « ses émissions au même niveau entre la première [de 2009 à 2013, ndlr] et la deuxième période d’exploitation du LHC [de 2015 à 2018, ndlr] en réparant des fuites, en améliorant les systèmes de recirculation et en installant des systèmes de récupération des gaz fluorés ».
Le but est de réduire les émissions directes de 28 % d’ici à fin 2024, ce qui donnerait près de 140 000 teqCO₂. Cela passera par l’utilisation de CO₂ à la place de gaz fluorés dans les systèmes de refroidissement des détecteurs, car il « contribue sensiblement moins au réchauffement de la planète ».
Les émissions indirectes liées à la consommation électrique atteignent « un total de 31 700 teqCO₂ » (selon les bilans d’EDF, son principal fournisseur). Sur ce chiffre, 3 489 teqCO₂ découlent d’un centre de calcul de Wigner à Budapest : « Dès 2020, le CERN n’exploitera plus d’installations de calcul à Budapest », ajoute l’Organisation.
Le transport est aussi un point important sur les émissions de gaz à effet de serre, d’autant que « près de 77 % des membres du personnel viennent chaque jour de France pour travailler, la plupart avec leur propre véhicule », la faute parait-il à « une offre limitée de transports publics ».
Dans l’ensemble, « 17 % des trajets pendulaires se font à pied ou à vélo », un chiffre bien au-delà de la moyenne suisse située à 6 %. Malgré une hausse à venir du nombre de personnels, « le CERN entend maintenir constant le trafic pendulaire individuel d’ici à 2025 ».

Moins de rayons ionisants par an que lors d’un vol Genève-New York
C’est un sujet délicat sur lequel revient ensuite le CERN : les rayonnements ionisants. En commençant par poser les bases : ils sont « tout autour de nous. Ils viennent de la Terre, de l’espace, sont présents dans notre alimentation, et nous recevons des doses contrôlées lorsque nous passons une radio. Les installations industrielles et scientifiques peuvent aussi générer des rayonnements ionisants ».
L’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN) rappelle que « les rayonnements provoquent des effets différents sur l’organisme en fonction du type de rayonnement et de la dose reçue », ce dernier point étant aussi important que le premier. Le CERN précise que le Conseil européen a fixé la dose annuelle maximale d’exposition du public à 1 millisievert (mSv), mais le centre de recherche s’engage « à ne pas dépasser 0,3 mSv par an ».
Dans la pratique, « la dose que reçoit en réalité la population résidant à proximité du CERN du fait de ses activités est bien plus faible : inférieure à 0,02 mSv par an ». Si vous avez du mal à vous rendre compte de cette échelle, c’est « moins que la dose reçue lors d’un vol Genève-New York du fait des rayonnements cosmiques ».
L’IRSN indique de son côté qu’un « Français reçoit au total une dose annuelle moyenne de l’ordre de 4,5 mSv » : près de 2/3 de sources naturelles et quasiment 1/3 d’examens médicaux. Dans tous les cas, le CERN réalise « des milliers d’analyses de l’air, du sol, de la végétation et de l’eau, et utilise[r] plus de 100 stations de surveillance de pointe pour vérifier que les rayonnements ionisants émis restent inférieurs de 3 % à ceux émis par des sources naturelles ».

Un bruit « important » à prendre en compte pour les habitations
C’est un facteur pas toujours pris en compte, alors qu’il peut être une véritable source de gêne au quotidien : le bruit. La topologie a bien changé en l’espace de 20 ans. Si dans le passé la plupart des installations étaient en zones rurales, des logements ont depuis été construits près de certains sites.
Une vaste campagne de mesures a été menée en 2014, avec comme conséquences « l’acquisition ciblée de barrières antibruit et d’équipements à faible bruit » afin de limiter les nuisances. Selon le rapport, l’Organisation « parvient ainsi à limiter le bruit à ses abords aux niveaux prévus par les normes françaises : 70 dB(A) en journée, soit le niveau sonore d’une douche [sans plus de précision, ndlr], et 60 dB(A) la nuit, équivalant à une conversation ».
Si l’Association JNA (journée Nationale de l’Audition) donne aussi l’équivalence d’une conversation (ou d’une fenêtre sur rue) pour 60 dB(A), elle n’est pas du même avis concernant 70 dB(A) qui serait plus du niveau d’un aspirateur, d’une tondeuse ou d’un souffleur, que d’une douche. À 70 dB(A) on change de catégorie avec un niveau de bruit classé comme « fatigant/pénible » par la JNA.
Pour éviter les problèmes, le CERN préférerait que des constructions soient désormais faites à distance de ses installations. Elle a remis aux autorités locales des cartes de niveaux sonores – consultables en mairie, a priori – « afin qu’elles prévoient les futures constructions à l’écart du bruit ». Le CERN « recommande d’éviter les zones à 40 dB(A), soit le bruit qu’émet un PC ».
José Miguel Jiménez, responsable de la politique relative à l’empreinte sonore et de sa stratégie de mise en œuvre au CERN, veut non seulement informer « les entités souhaitant construire près des zones à 40 dB(A) » mais aussi et surtout « les dissuader de bâtir à l’intérieur de ces zones ».
On s’était dit rendez-vous dans 20 ans…
Plus de 7 000 tonnes de déchets par an, 19 % sont « dangereux »
En 2018, la quantité totale des déchets conventionnels non dangereux éliminés s’élevait à 5 808 tonnes. Pêle-mêle on retrouve du matériel électrique et électronique, de l’aluminium, du verre et du PET, du papier, du carton, du biodégradable, des capsules de café… Le CERN affirme avoir « recyclé 56 % de ses déchets non dangereux ».
Il en reste donc plus de 2 500 tonnes. À côté de cela il y a les 1 358 tonnes classées comme déchets dangereux soit les produits radioactifs et chimiques (ainsi que leurs contenants), les matériaux contaminés par des substances dangereuses, les cartouches d’encre et les ampoules. La production totale de déchets est donc de 7 166 tonnes.
En 2017, 524 tonnes de déchets radioactifs ont été produites, contre 327 tonnes en 2018. Aucune n’était « de haute activité ». « La plupart des déchets radioactifs produits sont faiblement radioactifs », ajoute le CERN. Dans tous les cas, ils sont « stockés temporairement dans une zone sécurisée spécifique ».
49 tonnes de déchets dangereux ont été enfouies en 2017, mais aucun enfouissement n’est répertorié en 2018. Le site de stockage (Andra ou Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) était par contre davantage mis à contribution : 438 tonnes de déchets ont été classées comme n’étant plus radioactifs et ont pu être libérés en Suisse en 2017, contre 148 tonnes en 2018.
Il est précisé que « ce rapport ne tient compte ni des déchets générés et éliminés par les entreprises contractantes travaillant sur le domaine du CERN, ni des équipements en fin de vie repris par le fournisseur ». Ils seront détaillés dans un prochain document, dommage de ne pas avoir tout intégré en une seule fois.

Une consommation en eau divisée par cinq en 20 ans
En 2018, le CERN a utilisé pas moins de 3 477 mégalitres d’eau dans ses installations, dont 99 % proviennent du lac Léman et 1 % du Pays de Gex (en France). 80 % de cette eau est utilisée pour des activités industrielles, notamment le refroidissement des accélérateurs, les 20 % pour des usages sanitaires. De l’eau est ensuite relâchée dans pas moins de neuf cours, dont le Nant d’Avril et l’Allondon qui reçoivent à eux seuls 83 % du volume.
C’est largement moins qu’en 2000 où il est question de pas moins de… 15 000 mégalitres. La baisse a été très rapide au début – moins de 10 000 mégalitres dès 2001 – puis beaucoup plus calme par la suite. On remarque des baisses notables lors des différentes pauses techniques qui peuvent durer plusieurs mois.
L’Organisation a remplacé les « circuits hydrauliques ouverts de ses tours de refroidissement par des circuits semi-ouverts ou fermés ». Comme pour l’énergie, un engagement est pris afin de « limiter à 5 % la hausse de [la] consommation d’eau d’ici à fin 2024, malgré un besoin croissant pour refroidir [les] installations améliorées ».

« Aucun incident passible d'une sanction »
Bien évidemment, la qualité des cours d’eau est régulièrement inspectée, aussi bien par le CERN que les autorités locales. L’Organisation annonce fièrement n’avoir « connu aucun incident passible d'une sanction, financière ou
autre, durant la période couverte par ce rapport ».
Des incidents non passibles de sanction sont-ils à déplorer ? Mystère et boule de gomme… Pour rappel, le CERN était à l’origine d’une pollution aux hydrocarbures dans la rivière le Lion en 2014. Elle avait présenté ses excuses, corrigé le problème, pris des mesures, s'engageant « à réparer, autant que faire se peut, les dommages causés ».
Enfin le rapport se termine par un point sur la biodiversité – qui repose sur un entretien minimaliste avec peu d’arrosage, fauches tardives, peu ou pas d’engrais et de produits chimiques. Le CERN semble aussi très fier de ses orchidées : « Les pelouses sèches du CERN arborent avec fierté 15 espèces d’orchidées, soit la plus grande variété du bassin genevois. Dix d’entre elles figurent sur la liste de conservation helvétique ».
L’Organisation affirme aussi n’avoir « jamais connu d'accident environnemental lié à la radioactivité », heureusement serions-nous tentés de dire. Sur la gestion des substances dangereuses, ses équipes ont « réduit de 66 % le nombre de cas de risque élevé grâce à diverses mesures d’atténuation. La consolidation des cas restants est en cours. Le remplacement des transformateurs à huile par des transformateurs secs et la consolidation de l’infrastructure correspondante seront une priorité à compter de 2022 ».
Enfin, le CERN précise que ses travaux ont « des applications concrètes dans sept domaines », dont les technologies médicales, l’industrie 4.0 et l’environnement. Parmi les projets, on trouve un système qui « décompose les polluants grâce à un accélérateur à faisceau d’électrons puis les élimine en toute sécurité, tandis qu’un autre « développe une solution intelligente d’économie d’eau pour l’agriculture ».
L'Organisation compte publier un rapport sur l’environnement tous les deux ans. Afin de rattraper le retard, le prochain portera sur la période 2019-2020 et sera disponible durant le deuxième semestre 2021.
