Ce que révèlent 11 milliards d’années d’expansion de l’Univers

Je sais que je ne sais (presque) rien
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Ce que révèlent 11 milliards d’années d’expansion de l’Univers
Crédits : solarseven/iStock

Des scientifiques retracent l’histoire de l’expansion de l’Univers sur 11 milliards d’années-lumière, contre 6 milliards auparavant. Ces données ont permis « de contraindre les propriétés de l’énergie noire », mais aussi de mettre en avant une « discordance » sur le taux d'expansion de l'Univers. Bref, quelques réponses, mais aussi de nouvelles questions.

Depuis plusieurs décennies, l’Univers observable est étudié de près par de nombreux télescopes, qu’ils soient sur Terre ou dans l’espace.

Récemment c’est la collaboration Sloan Digital Sky Survey (SDSS), impliquant des chercheurs du monde entier, qui a fait parler d’elle à l’occasion de la mise en ligne de la Data Release 16 (DR16). Il s’agit de la quatrième publication de données durant la quatrième phase d’exploitation (SDSS-IV) du télescope de 2,5 mètres situé à l'observatoire d'Apache Point au Nouveau-Mexique (États-Unis). 

Ces données ont permis de produire « la plus grande carte tridimensionnelle de l'Univers jamais dressée, avec une extension remarquable de 6 à 11 milliards d'années-lumière […] Elle donne accès à l'histoire de l'expansion cosmique et à des propriétés de la mystérieuse énergie noire qui lui est associée », explique le CEA.

Cartographier toujours plus loin notre Univers

La collaboration SDSS a débuté il y a plus de 20 ans. Entre 2000 et 2005, elle avait réalisé un premier relevé spectroscopique (baptisé SDSS-I) sur environ 10 % du ciel de 47 000 galaxies dites « lumineuses rouges ». SDSS-II a ensuite pris la relève entre 2005 et 2008, « rassemblant près d'un million de galaxies (et plus de 120 000 quasars) », explique le laboratoire AstroParticule et Cosmologie (APC).

De 2008 à 2014, le troisième chevron était enclenché avec SDSS-III et l'arrivée de quatre projets scientifiques, dont BOSS (Baryon Oscillation Spectroscopic Survey). L’objectif de ce dernier était déjà de « contraindre l'énergie noire via l'observation des oscillations acoustiques de baryons » (nous reviendrons sur cette technique) et de « cartographier la distribution tridimensionnelle de 1,5 million de galaxies rouges ».

Depuis 2014, SDSS est entrée dans sa quatrième phase (SDSS-V est d’ores et déjà prévue pour 2020 à 2025) avec une version revue et corrigée du programme BOSS : eBOSS (extended BOSS). Le but est d’observer « les galaxies proches, puis de plus en plus éloignées (galaxies « rouges », « bleues » et quasars extrêmement lumineux) ». Avant de continuer, quelques explications s’imposent.

Télescope SDSS
Le télescope de 2,5 mètres de la Sloan Foundation

Galaxies rouges, bleues, quasars, forêt Lyman-α : quelques explications

Les galaxies rouges sont les plus « proches » de nous et donnent donc les mesures les plus précises du catalogue de SDSS. Pour remonter plus loin dans le temps, eBOSS s’est aussi intéressé aux galaxies bleues « plus jeunes et formant des étoiles ».

Les quasars – c’est-à-dire « des galaxies lumineuses éclairées par de la matière tombant sur un trou noir central supermassif » – sont les objets les plus lumineux de l’Univers. Les scientifiques regardent également « l'absorption de la lumière des quasars par les "nuages" d'hydrogène situés le long de la ligne de visée ». 

« Du fait de l'expansion de l'Univers, les raies d'absorption (Lyman-α) de chaque nuage présentent des "décalages vers le rouge" (par effet Doppler) tous différents. L'ensemble forme donc une "forêt" touffue [on parle de forêt Lyman-α, ndlr] qui révèle la répartition unidimensionnelle des nuages d'hydrogène, et donc de la matière, à des distances comprises entre 10 et 12 milliards d'années-lumière ». De plus amples informations sont disponibles dans cet autre article du CEA.

L’ensemble de ces informations permet donc de cartographier l’Univers jusqu’à 11 milliards d’années-lumière. La Data Release 16 dont il est question aujourd’hui contient toutes les observations du SDSS jusqu’en aout 2018.  Une nouvelle publication est prévue en juillet 2021 avec l’ensemble des mesures réalisées dans le cadre du SDSS-IV.

« Avant eBOSS, on connaissait bien les 6 derniers milliards d’années de l’expansion de l’Univers […] Désormais, ce sont plus de 11 milliards d’années de l’histoire de l’expansion qui vont nous permettre d'affiner notre connaissance de l’Univers », explique Étienne Burtin du CEA. Son collègue Christophe Yèche en profite pour préciser que « les laboratoires français ont pris une part majeure à la conception et à l’analyse des différentes parties du programme eBOSS ».

Galaxie BOSS eBOSS
Crédits : CEA

Que sont les « oscillations acoustiques baryoniques » ?

En se basant sur cette nouvelle carte tridimensionnelle de l’Univers, les scientifiques ont cherché des motifs dans la distribution des galaxies, notamment à cause du phénomène d’oscillations acoustiques baryoniques (ou BAO). Mais de quoi s’agit-il exactement ? L’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers l’explique en détail :

« L’Univers primordial est composé d’un plasma de baryons, électrons, photons et neutrinos, composant la matière ordinaire, ainsi que de matière noire. Au sein de ce milieu de matière ordinaire, des ondes de pression (ondes acoustiques) se sont propagées à partir de minuscules variations de la densité correspondant aux fluctuations primordiales issues de l’inflation cosmique.

En raison de son expansion, l’Univers se refroidit au fil du temps et, à l’âge de 380 000 ans, sa température chute en dessous du seuil minimal pour le maintenir à l’état de plasma ionisé : les électrons s’associent aux protons pour former des atomes d’hydrogène, et le plasma initial se mue brutalement en un milieu neutre. La propagation de ces ondes acoustiques s’arrête alors, après avoir parcouru une distance correspondant à 150 mégaparsecs [environ 489 millions d‘années-lumière, ndlr] aujourd’hui.

L'Univers porte ainsi l'empreinte de ces "oscillations acoustiques baryoniques". La distribution spatiale des galaxies qui se sont formées à partir de ces fluctuations primordiales n’est alors plus aléatoire et il existe une distance privilégiée entre les concentrations de matière. La mesure de cette échelle caractéristique à différentes époques de l’évolution de l’Univers est aujourd’hui un moyen de caractériser l’accélération de l’expansion de l’Univers. »

Le CEA ajoute que « les signatures de ces motifs à différentes époques de l’histoire de l’Univers permettent de mesurer plusieurs paramètres clés de l’Univers avec une précision meilleure qu’un pour cent ». L’intérêt de la carte du SDSS, qui s’étend sur une période de 11 milliards d’années, prend donc tout son sens.

Constante de Hubble : « Accordons-nous sur un désaccord »

Concrètement, que nous permet d’apprendre cette carte tridimensionnelle de l'Univers ? Le CEA donne des éléments de réponse : « La structure cosmique révélée sur la carte issue de ces résultats montre qu'il y a environ six milliards d'années, l'expansion de l'Univers a entamé une accélération qui, depuis, perdure. Cette expansion accélérée semble être due à une mystérieuse composante invisible de l'Univers appelée "énergie noire", compatible avec la théorie de la relativité générale d'Einstein mais extrêmement difficile à concilier avec notre compréhension actuelle de la physique des particules ».

L’équipe eBOSS s’est appuyée sur les données de SDSS pour mesurer le taux d'expansion actuel de l'Univers, alias la « constante de Hubble » : elle est « inférieure d’environ 10 % à la valeur trouvée à partir des distances aux galaxies proches ». Les scientifiques écartent d’un revers de la main d’éventuelles erreurs liées à des incertitudes expérimentales : « vu la grande précision des données d’eBOSS, il est très peu probable que cette différence soit due au hasard, d’autant que la riche variété des objets astrophysiques mesurés par eBOSS donne de multiples moyens indépendants de tirer la même conclusion ».

Ces résultats « renforcent le désaccord avec la valeur de la constante de Hubble mesurée dans l’Univers proche », explique Vanina Ruhlmann-Kleider du CEA. Le Commissariat ajoute qu’il « n'y a pas d'explication largement acceptée pour cette différence entre les mesures du taux d'expansion, mais une possibilité intéressante est qu'une forme de matière ou d'énergie inconnue jusqu'alors, provenant de l'Univers primitif, ait pu laisser une trace dans son histoire ultérieure ».

« Un Univers sans courbure et une énergie noire de densité constante »

« Les données d’eBOSS sont si précises et couvrent un si grand intervalle de temps cosmique qu'elles sont un ingrédient incontournable pour mesurer de nombreuses propriétés fondamentales de l’Univers, comme sa courbure géométrique ou les propriétés de l’énergie noire. En les combinant avec les données du fond diffus cosmologique et des supernovae, ces données indiquent un Univers sans courbure et une énergie noire de densité constante », ajoute le Commissariat.

Au total, l’équipe eBOSS annonce la publication de pas moins d’une vingtaine d’articles scientifiques pour un total de plus de 500 pages. C’est ainsi « l'achèvement des principaux objectifs du programme de recherche entrepris il y a une dizaine d’années » (BOSS a été lancé en 2008 pour rappel).

De nouvelles questions soulevées… sans réponse

Les scientifiques n’apportent par contre aucune réponse à l’écart entre les différentes mesures du taux d’expansion de l’Univers et l’énigme de l’énergie noire. Ils laissent ces questions « en héritage aux projets futurs ».

Dans la prochaine décennie, plusieurs programmes d’observation seront lancés, notamment DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument), en Arizona. Les travaux sont bien avancés puisque, fin 2019, l’instrument a activé pour la première fois « son réseau de 5000 "yeux" à fibres optiques pour capturer sa "première lumière" ». Lui aussi permettra de cartographier des galaxies et quasars jusqu’à 11 milliards d’années-lumière.

Quelques années plus tard, arrivera le télescope spatial Euclid de l'Agence spatiale européenne. Son lancement est prévu en 2022. Au même moment, le Large Synoptic Survey Telescope (LSST) devrait être mis en service au Chili. Il disposera d’un réseau de capteurs (dont la construction est terminée) affichant une définition totale de 3,2 Gpixels (via 200 capteurs de 16 Mpixels regroupés en 21 modules).

La France est à chaque fois « fortement engagée » dans ces projets affirme le CEA… qui ajoute en guise de conclusion qu’ils « pourraient résoudre l'énigme, ou peut-être révéler d'autres surprises ».

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