Le délit de violations répétées du confinement attaqué de toutes parts

Mauvais bilan de santé
Droit 10 min
Le délit de violations répétées du confinement attaqué de toutes parts
Crédits : iStock

Les 12 juristes de la Conférence des avocats du Barreau de Paris ont porté une question prioritaire de constitutionnalité devant la Cour de cassation. Ils s’attaquent au délit de violation du confinement, qui s'applique lorsque plus de trois contraventions sont dressées dans le mois. En parallèle, une brèche a été identifiée dans le fichier des réitérations. Explications.

Lors du débat sur le projet de loi pour faire face à l’épidémie de covid-19, le gouvernement avait déposé un amendement visant à augmenter l’échelle des peines à l’encontre de ceux ne respectant pas le confinement, sauf motif dérogatoire solide.

Depuis, l’amende est de 135 euros la première fois, 1 500 euros en situation de récidive dans les 15 jours. Et en cas de violation plus de trois fois dans les 30 derniers jours, le tribunal correctionnel peut le condamner à 6 mois de prison et 3 750 euros d’amende. À ce dernier stade, en effet, la contravention gagne un cran et devient un délit.

Le texte n’a pas été soumis au Conseil constitutionnel. Aucun des groupes, pas plus que le premier ministre, le Président d’une des deux chambres ou le Président de la République n’ont souhaité faire examiner sa conformité au bloc de constitutionnalité. La loi du 23 mars 2020 fut dès lors publiée au Journal officiel

Dans la foulée, un décret du 28 mars 2020 a remplacé l’amende de 1 500 euros en une contravention forfaitaire de 200 euros afin d’en accélérer le traitement (paiement immédiat et limitation des contestations). Depuis, des centaines de milliers de personnes ont été verbalisées.

L’une d’elles a été renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris pour « réitération à plus de trois reprises dans un délai de trente jours de violation des interdictions ou obligations édictées dans une circonscription territoriale où l’état d’urgence sanitaire est déclaré ». Ses avocats ont profité de ce dossier pour déposer une question prioritaire de constitutionnalité, désormais entre les mains de la Cour de cassation, dernier stade avant le Conseil constitutionnel.

Ils invoquent une atteinte au droit au recours effectif, aux droits de la défense, au principe de légalité des délits et des peines et aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

Une atteinte au droit au recours effectif

L’infraction visant à sanctionner la violation à plus de trois reprises des obligations de confinement viole selon eux, le droit au recours, constitutionnellement protégé.

Selon les textes en vigueur, les délais pour contester une contravention de 135 euros sont de 90 jours durant l’état d’urgence sanitaire, contre 45 en temps normal. Seulement, ces avocats considèrent que les justiciables sont en réalité privés de ce délai puisqu’une personne peut être condamnée « avant même qu’il puisse faire usage de son droit de recours contre un ou plusieurs des avis de contravention qui fondent ce délit ».

Pour que le délit soit établi, il suffit en effet que plus de trois verbalisations aient été dressées dans le mois, et ce quand bien même le citoyen aurait finalement attaqué l’une d’elles voire obtenu gain de cause. Pire, le gouvernement a autorisé que le délit soit jugé selon la procédure des comparutions immédiates (et donc sur-le-champ), quand il a étendu dans le même temps le délai pour contester ces verbalisations (de 45 à 90 jours).

Pour les avocats du prévenu, pas de doute : « l’architecture du dispositif ne permet pas aux tribunaux de police de rendre leurs jugements antérieurement à ceux des tribunaux correctionnels, lesquels seront saisis en urgence sur le fondement des dispositions contestées ».

Mieux, « impossible d’imaginer qu’il puisse être donné droit à l’exercice d’une voie de recours tendant à contester, devant un tribunal de police, la contravention dont une personne a fait l’objet, alors même que cette verbalisation a servi de fondement à un délit pénal ainsi qu’à la condamnation de son auteur devant le tribunal correctionnel, sauf à méconnaître l’autorité de la chose jugée de son jugement ».

Une atteinte aux droits de la défense

Ce n’est pas tout. « Le terme « verbaliser » ne nécessite pas que la peine d’amende infligée soit définitive, mais simplement qu’elle ait été adressée au contrevenant » nuancent-ils. « Dès lors, les dispositions attaquées méconnaissent les droits de la défense dans la mesure où elles subordonnent la constitution du délit à l’établissement d’une simple verbalisation, dont le caractère définitif n’est pas exigé ».

S’il suffit de trois verbalisations (+ 1) pour que ce délit soit constitué, « l’appréciation du juge pénal sera ainsi nécessairement corsetée par les verbalisations déjà dressées, puisque le constat de leur existence suffit à déclencher son intervention ». Si en principe, le juge doit apprécier l’élément matériel et l'élément moral (l’intention coupable, pour faire court), il est à craindre que ce dernier volet ne disparaisse.

Par la combinaison des délais, et de l’impossibilité de contester l’élément intentionnel de l’infraction, les avocats de ce justiciable estiment constituée l’atteinte aux droits de la défense.

L’atteinte au principe de légalité des délits et des peines

De ce principe, le Conseil constitutionnel considère que le législateur doit « définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis ». Cette exigence permet d’exclure l'arbitraire, qui confère toujours une large marge de manœuvre aux autorités de police, sans prévisibilité possible pour les justiciables.

Ici, les auteurs de la QPC estiment que le législateur méconnait ce principe. Il autorise le premier ministre à « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret » et « interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ».

Des « formulations extrêmement vagues et imprécises susceptibles de permettre l’arbitraire » où le pouvoir réglementaire se doit finalement de définir la portée des infractions. C’est par ce biais qu’ont été définies les exceptions aux règles du confinement comme les déplacements liés à l’activité physique individuelle ou encore ceux justifiés par les achats de première nécessité. Exception que l’on retrouve dans le générateur officiel d’attestation en ligne ou sa version à imprimer.

Seulement, la plume n’est pas assez précise, et des forces de l’ordre ont pu imposer leur largesse d’interprétation. « Alors même que le décret ne prévoit pas de telles interdictions, certains individus ont ainsi été verbalisés pour avoir écrit une date sur l’attestation dérogatoire prévue par le décret au crayon de papier, pour être sorti dans un rayon de 500 mètres autour de chez soi, ou de 200 mètres ».

De même, « une femme a été verbalisée pour avoir acheté des serviettes hygiéniques, tandis qu’un homme était sanctionné d’une amende de 135 euros pour s’être rendu dans une boulangerie, deux achats n’ayant été observés comme "de première nécessité", selon les agents verbalisateurs ».

Ajoutons pour notre cas l’exemple cité par le député André Chassaigne qui rapporte qu’un retraité, ayant acheté un sandwich, des yaourts, du sopalin et deux boites de conserve s’est vu infliger 135 euros d’amende. L’agent a jugé que ces achats étaient en effet « insuffisants » à la suite du contrôle de son caddie sur le parking du supermarché. 

Autre cas, la pratique du vélo. Le décret autorise les pratiques sportives individuelles, mais le ministère de l’Intérieur n’autorise le vélo que comme moyen de locomotion (pour aller travailler) non comme une pratique sportive (voir le compte Twitter du ministère). L’intérieur interdit pareillement les sorties en famille (deux parents et des enfants). Lors d’une telle sortie, seul un parent est donc autorisé, alors que le décret ne prévoit pas d’interdiction à sortir en famille.

« Toutes ces règles, insistent les 12 avocats, dont l’application variable porte indiscutablement atteinte à l’unité de la définition légale ne sont en aucun cas prévues par le décret du 23 mars 2020. Pourtant, leur inobservation peut servir de fondement à une verbalisation puis, in fine¸ au-delà de trois verbalisations, à la constitution du délit pénal créé par les dispositions litigieuses et réprimé par six mois d’emprisonnement. »

L’atteinte au principe de nécessité et de proportionnalité des peines

Le législateur ne doit pas prévoir de peine manifestement disproportionnée entre l’infraction et la peine. De même, pose le Conseil constitutionnel, « lorsque plusieurs sanctions prononcées pour un même fait sont susceptibles de se cumuler, le principe de proportionnalité implique, qu’en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues ».

Ici, la simple constatation d’un élément matériel (la succession de plus de trois verbalisations dans les 30 jours) transforme une contravention en délit automatique. La peine de 6 mois de prison serait en outre disproportionnée puisqu’en contradiction avec la volonté actuelle d’alléger la population carcérale. « Les dispositions litigieuses font ainsi naître le risque que des personnes potentiellement infectées au virus dont elles cherchent à éviter la propagation le transmettent dans un espace clos, la prison, où le respect des règles sanitaires les plus élémentaires, telles que le confinement, est impossible ».

Enfin, dans la mécanique prévue par l’état d’urgence sanitaire, un justiciable va être puni d’amendes contraventionnelles et d’une amende délictuelle… pour un même fait (ne pas avoir plusieurs fois respecté le confinement). Et le législateur s’est bien gardé de demander au juge de prendre en compte les peines déjà prononcées.

Le 10 avril, le tribunal judiciaire de Paris a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation. Celle-ci va maintenant jauger notamment son caractère « sérieux » avant de la transmettre le cas échéant au Conseil constitutionnel. Dans un tweet, la Conférence du Barreau de Paris invite les autres avocats « à solliciter le sursis à statuer dans ce type de dossier ». 

Une faille dans le fichier des récidives

Les difficultés ne s’arrêtent pas là pour le gouvernement. Dans le même temps, le tribunal de Rennes a relaxé un prévenu multirécidivistes, verbalisé quatre fois faute de détenir un motif dérogatoire valide (voir cet article de France Inter).

Comme l’a relevé victorieusement Me Rémi Cassette, son avocat, le fichier prévu pour suivre ces infractions n’a pas été mis à jour. ADOC (ou Accès aux DOssiers des Contraventions) est encadré par l’arrêté du 13 octobre 2004 « portant création du système de contrôle automatisé ». Or, en l’état, il est concentré sur les infractions au Code de la route notamment celles constatées par radar, pas les violations aux règles du confinement.

« Un tel fichier ne peut pas être utilisé en dehors des fonctions qui lui sont confiées et déclarées à la CNIL. C’est pourquoi le premier article de l’arrêté énumère limitativement les finalités du traitement des données personnelles. Or, si cet article prévoit bien l’enregistrement et la conservation de données recueillies par les agents verbalisateurs, ce n’est expressément que dans le cadre de contraventions et de délits routiers » explique l’avocat dans les colonnes d’alter1fo.com.

« Dans ces conditions, la procédure diligentée contre mon client est fondée sur des constatations qui ont été faites à l’aide d’un fichier qui a été détourné de ses finalités légales. » Une fragilité juridique également exposée sur le site de la Conférence des Avocats du Barreau de Paris. Dans des conclusions de nullité et aux fins de relaxe disponibles en ligne, est souligné « que l’établissement d’une violation répétée des obligations actuelles de confinement ne figure pas au nombre des finalités assignées au fichier ADOC. Et si cet article prévoit bien l’enregistrement et la conservation de données recueillies par les agents verbalisateurs, ce n’est qu’à l'occasion de la constatation des contraventions et délits relatifs à la circulation routière ».

Ainsi, « son utilisation dans le cadre de la présente procédure est donc manifestement illégale et représente un détournement des fins du fichier litigieux qui entraine de facto la nullité de l’intégralité des poursuites ».

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