Le projet de loi audiovisuel est examiné cette semaine en commission de la Culture, celle saisie au fond à l’Assemblée nationale. Le texte vient en particulier transposer en France l’article 17 de la directive sur le droit d’auteur, fameuse disposition relative au filtrage. Plusieurs amendements ont été adoptés à l’occasion.
L’article 17 de la directive sur le droit d’auteur est l’une des pierres angulaires de la directive publiée au Journal officiel de l’UE en mai dernier. Elle avait fait l’objet d’un fort lobbying des sociétés de gestion collective. Et pour cause, après bientôt 20 années de pressions, elle est venue ouvrir une brèche dans la responsabilité dite des hébergeurs, jusqu’alors encadrée par une autre directive, celle de 2000 sur le commerce électronique.
Avec ce texte précédent, un hébergeur comme YouTube, Facebook, Twitter, Instagram, etc. n’était responsable des contenus illicites mis en ligne par les internautes que si alerté dans les formes, il choisissait de maintenir ledit contenu et que l’illicéité était évidente, flagrante.
Pour les sociétés chargées de la défense des contenus culturels, c’était alors une plaie : elles étaient obligées de notifier chaque contenu et espérer que son versant « pirate » soit suffisamment fort pour que la plateforme décide de le retirer. Sinon ? La case justice était inévitable.
Un régime de responsabilité plus direct
L’article 17 (ex-article 13) change la donne. Il organise une responsabilité directe des plateformes, celles dont l’activité est de mettre à disposition un grand nombre d’œuvres, organisées et promues à des fins lucratives. Et cette fois, tout change : elles sont par principe responsables dès le premier octet illicite mis en ligne par l’un de leurs abonnés.
Cette politique du bâton n’est pas inévitable. La directive prévoit en effet que ces intermédiaires peuvent échapper à ce régime invivable soit par la signature d’accords de licence avec les sociétés de gestion collective, soit, s’ils n’en disposent pas, en respectant une série de conditions :
- Avoir fait les meilleurs efforts pour obtenir une telle licence avec tous les titulaires de droits et les sociétés de gestion collective
- Retirer rapidement les contenus notifiés et justifier de ce retrait.
- Filtrer les contenus uploadés à partir des informations pertinentes et nécessaires fournies par les ayants droit, obligation visant les plateformes de plus de trois ans ou dont le chiffre d’affaires annuel dépasse 10 millions d’euros
- Empêcher les remises en ligne des contenus déjà dénoncées par ces ayants droit, obligation concernant ces plateformes et celles de plus de 5 millions de visiteurs uniques par mois.
Une obligation de filtrage
Cette série d’obligations avait été résumée sans nuances par le gouvernement français en mai 2019 : « Les plateformes de diffusion en ligne devront filtrer les publications mises en ligne pour s’assurer qu’elles ne contiennent pas des œuvres protégées ». Empêcher les mises en ligne ou interdire les remises en ligne suppose en effet la tenue d'une liste noire et d'une comparaison à la volée des contenus proposés par les internautes sur ces sites.
Les États membres ont désormais l’obligation de transposer cette directive dans leur droit interne. C’est l’objet du projet de loi audiovisuel. Ses articles 16 et 17 se chargent de cette transposition, l’un pour les droits d’auteurs, l’autre pour les droits voisins.
On retrouve peu ou prou la prose de la directive européenne, avec notamment l’exclusion de ce régime, des encyclopédies en ligne à un but non lucratif, des plateformes de développement et de partage des logiciels libres, des places de marché ou encore des services en nuage qui permettent aux utilisateurs « de téléverser des contenus pour leur usage strictement personnel ».
En commission de la Culture, ces dispositions ont fait l’objet de plusieurs dizaines d’amendements, mais rares sont ceux ayant été adoptés.
Les plateformes « pirates » privées de ce régime d’exception
Dans l’amendement AC1266, Sophie Mette (MoDem) et Aurore Bergé (LREM), rapporteures du texte, ont souhaité que « les plateformes ayant pour objet principal le piratage » ne puissent bénéficier des exemptions de responsabilités ouvertes par la directive sur le droit d’auteur.
Leur amendement a évidemment été adopté hier, signifiant que les éditeurs de ces sites seront responsables immédiatement des contenus illicites qu’ils proposent.
Dans l’amendement AC997, lui aussi adopté, il est proposé que la fourniture des empreintes pour aiguiser le filtrage puisse se faire de manière directe ou indirecte et donc en faisant intervenir des sociétés tierces. « L’objectif est de prévoir expressément la possibilité pour les ayants droit de passer par des fournisseurs de technologie spécialisés dans l’identification des contenus audio ou vidéo pour centraliser leurs empreintes et les communiquer aux plateformes » écrit Éric Bothorel, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires économiques.
Les amendements rejetés
La France Insoumise, inspirée par la Quadrature du Net, a vainement réclamé la suppression pure et simple de l'article au motif qu’avec lui, « la France consacre donc la puissance illicite des géants du web, au lieu de nous protéger de leur modèle de surveillance ». Bien entendu, notre pays ne dispose pas d’une telle liberté. Il doit transposer.
La future loi contre la haine a inspiré Valérie Bazin-Malgras ou encore Brigitte Kuster. Elles proposaient que l’obligation de prompt retrait soit quantifiée, obligeant les intermédiaires à retirer les contenus dans les 24 heures après réception de la notification adressée par les ayants droit. L’amendement n’a pas été adopté.
De même, dans la directive européenne, il est précisé que « l'application du présent article [17] ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance ». En France, le projet de loi ne rappelle pas cette évidence issue de l’article 15 de la directive sur le commerce électronique.
La France Insoumise avait donc souhaité préciser que lorsqu’une plateforme fait ses meilleurs efforts pour empêcher la remise en ligne d’un contenu déjà retiré, « ces efforts n’impliquent [pas] de surveiller l’ensemble des contenus qu’il stocke ». Selon LFI, le projet de loi doit en effet « transposer entièrement la directive européenne afin de ne pas contraindre les plateformes de partage de contenu en ligne à mettre en place une surveillance automatique et généralisée ». L’amendement n’a pas passé le cap de la commission, pas plus que celui où LFI réclamait une vérification humaine avant tout blocage.
Une fois l'examen en commission achevé, le texte sera examiné en séance. Après son adoption, l'Assemblée nationale passera la main au Sénat.