Le député Sylvain Waserman vient de dévoiler un « pré-rapport » détaillant 25 propositions « pour un lobbying plus responsable et transparent ». Le président de la délégation de l’Assemblée chargée des représentants d’intérêts préconise par exemple de publier sur une plateforme officielle tous les amendements proposés aux parlementaires.
Trois ans après l’entrée en vigueur de la loi « Sapin 2 », qui a notamment instauré un registre numérique de représentants d’intérêts (entreprises, associations, syndicats, etc.), Sylvain Waserman en appelle ses collègues à « franchir une étape supplémentaire » en matière d’encadrement du lobbying.
Après de nombreux mois d’auditions, le député Modem estime en effet que le texte voté sous la précédente majorité montre « ses insuffisances », la défiance des citoyens envers leurs représentants étant à ses yeux « toujours aussi forte ».
Pas question pour autant de renoncer à tout lien avec les représentants d’intérêts : « Les écouter et les rencontrer permet au décideur public de se forger, à son tour, sa propre conviction et porter ainsi, dans le cadre de son mandat, ses propres idées et contributions au débat public. » Pour Sylvain Waserman, les lobbyistes, « quels qu’ils soient, participent de la réflexion collective et constituent des relais d’opinion que les responsables publics doivent écouter pour construire une décision de manière éclairée ».
Le président de la délégation en charge des représentants d’intérêts a ainsi présenté plusieurs propositions pour « poursuivre la tendance de fond » initiée par la loi Sapin 2, et par exemple permettre aux citoyens d’avoir accès « à l’impact réel des lobbies sur l’élaboration de la décision publique » (ce qu’on appelle « l’empreinte normative »).
Rendre publiques, en Open Data, les rencontres avec les lobbyistes
Sylvain Waserman entend tout d’abord inciter les parlementaires à ouvrir leurs agendas, et plus précisément à rendre publique « toute réunion ou rencontre avec un représentant d’intérêts ». Plusieurs députés se plient déjà à cette pratique, à l’instar de Paula Forteza, qui diffuse ces informations en Open Data.
Le pré-rapport (PDF) souligne que de tels efforts permettent de « donner une véritable visibilité au citoyen sur le travail parlementaire ». Surtout, cela serait de nature à « remédier, pour partie, aux insuffisances du registre [numérique de lobbyistes] concernant la restitution de l’empreinte normative ».
Pour des raisons d’ordre juridique, Sylvain Waserman estime cependant que cette transparence ne peut relever que d’une démarche « volontaire et non obligatoire ».
Seule exception : pour les députés rapporteurs, qui sont « en prise directe avec les principales parties prenantes » du texte en question, et au cours duquel ils disposent « d’un fort pouvoir d’influence », explique le rapport. Sylvain Waserman invite ainsi à rendre obligatoire la publication, en open data, de « la liste de l’ensemble des personnes et organisations consultées, à la fois dans le cadre de la rédaction du rapport ou de la préparation du texte et tout au long de l’examen de ces derniers ».
Vers une plateforme des amendements proposés par les lobbies ?
Dans un registre proche, Sylvain Waserman plaide en faveur du « sourcing » des amendements – consistant à préciser dans l’exposé des motifs que celui-ci a été proposé par un lobby et/ou élaboré avec lui.
À plus long terme, il envisage surtout de rendre obligatoire « le dépôt des propositions d’amendements des lobbies sur une plateforme ouverte, en open data, sur le site de l’Assemblée ». Chacun pourrait ainsi accéder aux suggestions d’amendements transmises aux députés.
Le pré-rapport va même plus loin : cette plateforme serait ouverte à « tout citoyen qui souhaite déposer un amendement en lien avec un texte ». Une extension qui n’interviendrait « qu’une fois le dispositif prévu pour les lobbies pleinement mis en œuvre et efficace », prévient toutefois Sylvain Waserman. Ce dernier se montre quoi qu’il en soit convaincu qu’il s’agirait d’une « avancée parlementaire majeure en matière d’implication des citoyens dans le processus législatif ».
Combler les (nombreuses) lacunes du registre numérique de lobbyistes
Pointé du doigt tant par les associations que la HATVP elle-même, le décret relatif au registre numérique de lobbyistes devrait être modifié aux yeux de Sylvain Waserman. « Les obligations déclaratives des représentants d’intérêts concernant leurs activités, prévues par le décret d’application de la loi [Sapin 2], sont loin de permettre une pleine visibilité de l’impact des lobbies sur telle ou telle décision. En particulier, la granularité des informations à communiquer est trop faible pour que le dispositif soit pleinement opérant », reconnait le parlementaire (pour en savoir plus, voir notre article).
Le pré-rapport préconise de ce fait un « renforcement substantiel » des informations à transmettre par les représentants d’intérêts « avec, en particulier, la mention obligatoire des décisions publiques sur lesquelles ont porté les actions de lobbying et de la fonction exercée par les responsables publics avec lesquels les lobbies sont entrés en contact tout en préservant leur anonymat ». Une transmission trimestrielle est également recommandée (alors qu’elle est aujourd’hui annuelle).
Sylvain Waserman invite en revanche le législateur à revenir sur l’extension du registre à la sphère locale (dont l’entrée en vigueur a été reportée il y a peu à 2021). Une telle réforme « poserait des problématiques opérationnelles majeures » tant pour les acteurs locaux que pour la HATVP, soutient l’élu Modem, qui craint que les moyens et l’attention de la Haute Autorité se retrouvent ainsi détournés de son objectif premier – à savoir mieux restituer l’empreinte normative.
Le pré-rapport plaide au passage pour un renforcement du pouvoir de sanction de la HATVP en cas de manquement des représentants d’intérêts à leurs obligations déclaratives et déontologiques. Le législateur pourrait ainsi passer « d’un régime unique de sanctions pénales à une solution graduelle avec un régime de sanctions administratives, puis pénales », imagine Sylvain Waserman.
Autre proposition : « consacrer la pratique du « name and shame » en cas de manquements des lobbies et de sanctions prononcées par la Haute Autorité ou le Président de l’Assemblée avec la publication systématique de ces manquements et sanctions ».
Un outil contre les fake news
Afin de faciliter le travail des parlementaires et de leurs collaborateurs, Sylvain Waserman estime qu’il faudrait doter les députés d’outils permettant de vérifier les informations et leurs sources :
« Cet instrument de contrôle des sources d’informations faciliterait l’accès des députés à l’information et leur offrirait la possibilité de mieux retrouver tout document dans tout média, écrit ou vidéo. Ainsi, cet outil permettrait aux députés de réaliser une veille et un bilan pour analyser les retombées médiatiques d’un évènement, mais surtout de tracer la source et la chronologie d’une information et d’obtenir une couverture comparée d’un évènement afin de garantir in fine un jugement libre et non faussé. Ils pourraient alors vérifier la fiabilité des informations communiquées par les lobbies ou toutes informations, notamment d’un réseau social, dont ils souhaitent évaluer la fiabilité. »
Avec ce « pré-rapport », Sylvain Waserman entend soumettre ses propositions au public, dans l’espoir que les débats se poursuivront utilement. Si certaines mesures relèvent du niveau législatif, et devront donc passer par un texte de loi, d’autres, relevant de l’Assemblée ou du gouvernement, pourraient être entérinées plus rapidement.
Didier Migaud, qui s’apprête à prendre la tête de la HATVP, a justement plaidé ces derniers jours en faveur d’une révision du décret de 2017 relatif au registre numérique de lobbyistes. Devant les députés, le président de la Cour des comptes a tout particulièrement milité pour la publication d’informations « plus détaillées, notamment sur la décision publique visée ».