Alors que l’Assemblée s’apprête à examiner, en seconde lecture, une proposition de loi visant à mieux encadrer le démarchage téléphonique, l’UFC-Que Choisir, suivie par plusieurs associations de consommateurs, appelle à « interdire purement et simplement cette pratique ». Certains députés ont d’ailleurs déposé des amendements en ce sens.
« Les pouvoirs publics doivent rompre avec la complaisance et interdire les appels non désirés ! » L’appel lancé aujourd’hui par neuf associations (parmi lesquelles Familles rurales, CLCV ou UFC-Que Choisir), au travers d’une pétition, ne doit rien au hasard. La commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale examinera en effet mercredi après-midi la proposition de loi portée par le centriste Christophe Naegelen (voir notre interview).
Ces associations estiment que le texte adopté l’année dernière par le Sénat « souffre cruellement d’ambition et risque même d’aggraver la situation » : « Au-delà de l’atteinte à la tranquillité des personnes, l’enjeu est également financier dès lors qu’il existe une liaison dangereuse entre démarchage téléphonique et litiges de consommation. En effet, les secteurs qui recourent le plus au démarchage sont ceux qui concentrent les litiges de consommation avec des montants qui peuvent être très significatifs (travaux de la maison, rénovation énergétique, fourniture d’énergie, assurances). »
Des associations qui dénoncent « l’inefficacité » de l’opt-out
« La recrudescence du démarchage téléphonique, dénoncée par les associations et les autorités (Médiateur National de l’Energie, Autorité de contrôle prudentiel) exige une action ferme des pouvoirs publics pour couper court aux pratiques toxiques », dénoncent les auteurs de la pétition, qui ont déjà obtenu le soutien de plus de 20 000 signataires.
Le principal reproche adressé à la proposition de loi portée par Christophe Naegelen ? « Le texte cautionne la logique du droit d’opposition (opt-out) de Bloctel, dont l’inefficacité est notoirement constatée par les consommateurs », font valoir les associations. À leurs yeux, « le consommateur n’a pas à être la cible de propositions commerciales qu’il n’a pas lui-même sollicitées ».
Autre problème pointé du doigt : le texte « élargit les possibilités de dérogation à l’interdiction du démarchage téléphonique pour les personnes inscrites sur Bloctel. En effet, toutes les entreprises avec lesquelles le consommateur inscrit à Bloctel a ou a eu une relation contractuelle pourraient le démarcher : « contrat un jour, démarché toujours » ! »
En réalité, les sénateurs ont simplement voté en faveur du statu quo (à savoir qu’un consommateur peut être librement démarché en cas de « relations contractuelles préexistantes », même s'il est inscrit sur Bloctel), alors que les députés souhaitaient restreindre cette dérogation aux seuls cas de « sollicitations ayant un rapport direct avec l’objet d’un contrat en cours ».
Interrogé par Next INpact la semaine dernière, le rapporteur Christophe Naegelen confiait être encore en train de « travailler » sur ces dispositions, en vue d’un compromis : « J'essaie d'expérimenter des choses, en en parlant aux différents acteurs, pour arriver à un consensus entre la position des associations [de défense des consommateurs, ndlr] et celle des entreprises. »
La majorité fermement opposée à l’opt-in
Face au « fléau » des appels commerciaux non désirés, l’ADEIC, l’AFOC, l’ALLDC, la CSF, le CNAFAL, la CLCV, Familles rurales, l’UFC-Que Choisir et l’UNAF invitent les députés « à bascul[er] vers un système d’opt-in (le consommateur doit donner son accord exprès avant d’être démarché) », à l’instar d’autres pays européens, tel le Royaume-Uni.
Différents amendements ont d’ailleurs été déposés en ce sens. Les députés du groupe LFI proposent ainsi d’interdire purement et simplement toute « prospection commerciale par téléphone auprès des particuliers ». Marc Le Fur, suivi par une vingtaine d’élus LR, plaide pour une mesure analogue, mais étendue aux professionnels et aux SMS.
D’autres députés LR, menés par Fabrice Brun, s'apprêtent à défendre un amendement visant à renverser la logique actuelle de Bloctel. Hormis en cas de « relations contractuelles préexistantes », les démarcheurs ne pourraient solliciter que des personnes préalablement inscrites sur une « liste d’acceptation au démarchage téléphonique ». La prospection serait ainsi interdite, « sauf acceptation du consommateur ».
Ces amendements n’ont toutefois guère de chance – pour ne pas dire aucune – d’être adoptés. Lors des débats en première lecture, le gouvernement a clairement fait savoir qu’il était opposé à un système d’opt-in, à l’Assemblée comme au Sénat. « Agissons avec prudence : tout démarchage n'est pas condamnable, des emplois sont en jeu » s’était ainsi justifiée la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher, en février 2019, au Palais du Luxembourg.
« L’opt-in n’aurait pour effet que de sanctionner les entreprises vertueuses, avec de graves conséquences sur l’emploi », avait également soutenu Christophe Naegelen, en décembre 2018, lors des débats à l’Assemblée. D’après l’élu centriste, un tel système serait en outre « très difficile à mettre en œuvre ». Et « surtout, il ne résoudrait rien, car les entreprises faisant du démarchage de manière illégale continueraient à le faire » – sans parler de la vraisemblable « fuite des centres d’appel à l’étranger ».
Vers une interdiction du démarchage pour les travaux de rénovation énergétique
La majorité devrait néanmoins faire quelques concessions. Le groupe LREM s’apprête en effet à défendre un amendement interdisant la prospection pour les équipements et travaux destinés à « la réalisation d’économies d’énergie ou la production d’énergies renouvelables ». Les entreprises contrevenantes s’exposeront à des peines pouvant atteindre deux ans de prison et 300 000 euros d’amende, voire jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires annuel moyen (proportionnellement aux « avantages tirés du délit »).
« En 2019, 30 % des amendes administratives faisant suite aux contrôles effectués par la DGCCRF sur le démarchage téléphonique concernaient le secteur de la rénovation énergétique », explique le député Nicolas Démoulin, qui portera cet amendement en commission des affaires économiques. L’élu souligne que le préjudice causé par ces pratiques nuisent « à la crédibilité de la politique et des soutiens publics, d’autant que l’usurpation de l’identité de l’État ou les mensonges sur les aides disponibles accompagnent souvent la pratique de démarchage téléphonique ».
Le groupe majorité prévient malgré tout que cette interdiction n’aura « pas vocation à s’étendre à d’autres secteurs ou domaines » (assurances, abonnements Internet...). « C’est en effet la spécificité propre des travaux de rénovation énergétique qui justifie une telle disposition : recrudescence des fraudes et part essentiel du secteur dans le démarchage abusif ; fort soutien public à travers des aides et mécanismes financiers abondants, soutenant un secteur et une politique publique prioritaire pour la transition écologique ; et nombreuses possibilités pour les professionnels du secteur d’opter pour d’autres modalités commerciales. »
Le plafonnement des sanctions, introduit par le Sénat, en passe d’être supprimé
Pour mémoire, la proposition de loi prévoit également un durcissement des sanctions encourues par les professionnels qui sollicitent des personnes pourtant inscrites sur Bloctel (soit près de 4 millions d’individus, pour 8 millions de numéros de téléphone, fixe ou mobile). Une fois le texte promulgué, les entreprises s’exposeront à des amendes administratives de 375 000 euros, contre 75 000 euros aujourd’hui.
Cette augmentation prévaudra également pour les démarcheurs qui recourent à un numéro masqué, ou bien encore pour les sociétés qui vendent des fichiers contenant les numéros de personnes s’étant enregistrées sur Bloctel. Idem pour les entreprises qui prospectent par le biais d’automates (téléphoniques ou de courriers électroniques) sans consentement.
Le Sénat a toutefois introduit une restriction qui pourrait sérieusement limiter la portée de cet alourdissement des sanctions. Depuis la loi « Sapin 2 » de 2016, les amendes administratives se cumulent normalement en cas d’infractions multiples. Au nom « des principes de nécessité et de proportionnalité des peines », le rapporteur de la Haute assemblée, André Reichardt, a cependant fait adopter un amendement prévoyant que les prospecteurs soient réprimandés « dans la limite du maximum légal le plus élevé » (soit 375 000 euros, au vu des nouvelles sanctions prévues par le texte).
Un plafonnement similaire a été introduit pour les sanctions pénales : dans le cas où l’amende administrative serait « susceptible de se cumuler avec une amende pénale infligée à raison des mêmes faits à l'auteur du manquement », le texte du Sénat indique que « le montant global des amendes prononcées ne dépasse[ra] pas le maximum légal le plus élevé ».
Estimant que cette mesure est « de nature à nuire à l’efficacité de l’action publique en ne permettant pas à l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation de prononcer des amendes d’un montant adapté à la gravité des manquements constatés », le groupe LREM vient de déposer un amendement visant à faire disparaître ces limitations.
Vers des restrictions sur les jours et horaires de démarchage
Autre amendement notable du groupe LREM : la majorité fait un pas vers les sénateurs, et accepte que le gouvernement fixe par décret « les jours et horaires durant lesquels la prospection commerciale par voie téléphonique est autorisée ». Tout contrat conclu à la suite d’un démarchage téléphonique réalisé en violation de cette interdiction sera d’ailleurs automatiquement frappé de nullité.
Les discussions débuteront mercredi 22 janvier à 15h, en commission des affaires économiques. Le texte sera ensuite débattu en séance publique, jeudi 30 janvier.
Tout l'enjeu consistera à adopter un texte qui puisse être approuvé sans la moindre modification par le Sénat, faute de quoi, la navette continuera jusqu'à arriver à un « vote conforme ».