Projet de loi « anti-gaspillage » : les députés rechignent à légiférer contre les publicités

Pubelle que jamais
Droit 8 min
Projet de loi « anti-gaspillage » : les députés rechignent à légiférer contre les publicités
Crédits : MarioGuti/iStock

Interdiction des publicités pour les téléphones portables, introduction d’un message « environnemental » dans certains spots publicitaires, etc. La majorité a rejeté de nombreuses propositions, dans le cadre des débats sur le projet de loi « anti-gaspillage ». Un amendement a néanmoins été adopté afin de donner toute latitude aux maires pour interdire les panneaux publicitaires numériques.

« On ne peut pas décemment, madame la secrétaire d’État, présenter un projet de loi relatif à l’économie circulaire sans s’attaquer à la publicité, qui est au cœur du système de surconsommation et de gaspillage », a lancé la députée Mathilde Panot (LFI), vendredi 13 décembre, en direction de Brune Poirson, la secrétaire d’État en charge de la Transition écologique.

Suivant l’avis du gouvernement, la majorité a cependant refusé de nombreux amendements destinés à encadrer davantage – voire interdire – certaines publicités, parfois au prix de débats houleux. L’exécutif a préféré mettre en avant la batterie de mesures destinées à augmenter la durée de vie des produits : création d’indices de « réparabilité » et de « durabilité » des produits, augmentation des durées de garantie, obligation pour les réparateurs de produits informatiques et électro-ménager de proposer des pièces d’occasion (comme pour le secteur automobile), etc.

Interdiction des publicités pour les portables, les SUV, les bouteilles d'eau en plastique...

En septembre dernier, afin de s’attaquer au volet « marketing » de l’obsolescence programmée, le Sénat avait adopté un amendement interdisant « toute publicité ou action de communication commerciale incitant à dégrader des produits en état normal de fonctionnement et à empêcher leur réemploi ou réutilisation ».

Cette mesure a été maintenue en l’état par les députés, au grand dam de Mathilde Panot, qui aurait préféré que le législateur aille plus loin. L’élue LFI plaidait en effet pour une prohibition de toutes les publicités « incitant à dégrader, abandonner ou remplacer prématurément des produits en état normal de fonctionnement ».

« Pour ne citer que quelques exemples, a détaillé la députée, l’entreprise Cdiscount a fait, en janvier 2018, une campagne ayant pour slogan : « Mon vieil ordinateur fonctionne encore. Mais un accident est si vite arrivé… » En juin 2019, une affiche publicitaire pour Leboncoin diffusait l’injonction : « Vends ta robe aussi vite que tu changes de style ». Dans le même esprit, la campagne menée en juillet 2019 par la marque Adidas pour les chaussures Supercourt avait pour slogan « Conçue avec soin, portée sans ». »

La rapporteure, Véronique Riotton (LREM), s’est opposée à cette interdiction, jugée « beaucoup trop générale ».

Le député François-Michel Lambert (Libertés et Territoires) a – vainement – rejoint Mathilde Panot, appelant à encadrer les publicités qui « créent une schizophrénie chez nos concitoyens, tiraillés entre des incitations à acheter ce dont ils n’ont pas besoin et à se séparer d’objets qui fonctionnent toujours, d’une part, et d’autre part les injonctions des politiques qui les alertent sur la nécessité de sortir de cette société de surconsommation et de gaspillage ».

Des restrictions jugées impraticables sur le plan juridique

Au nom de la protection de l’environnement, Mathilde Panot a ensuite soutenu plusieurs amendements visant à interdire purement et simplement les publicités pour certains types de produits et services. À savoir :

Mathilde Panot a notamment affirmé que 25 millions de téléphones portables étaient vendus chaque année en France, « avec des dépenses phénoménales pour la publicité » : « Apple dépense presque 2 milliards de dollars par an pour sa publicité et Samsung 9 milliards, avec une empreinte environnementale et un coût social considérables. »

« Pendant sa phase de production, en effet, un smartphone fait quatre fois le tour de la planète et requiert 70 kilos de matières premières, soit 583 fois son poids, a poursuivi l’élue LFI. Selon l’UNICEF, 40 000 enfants y travaillent. En 2010, sur les 47 millions d’iPhone vendus, seuls 10 % ont été recyclés et l’ADEME avait alors estimé que 88 % des Français et des Françaises remplaçaient leur téléphone portable alors qu’il fonctionnait encore. Pire, certains fabricants, Apple et Samsung en tête, collent ou soudent aujourd’hui les batteries à l’intérieur du téléphone pour compliquer l’entreprise, déjà ardue, du recyclage. »

La rapporteure, Véronique Riotton, a cependant objecté que l’amendement porté par Mathilde Panot « interdirait même la publicité pour des téléphones reconditionnés ou conçus pour être durables, c’est-à-dire des produits en faveur desquels nous souhaiterions plutôt faire changer les comportements ». Et pour cause, le groupe LFI réclamait l’interdiction de toutes les publicités pour les téléphones portables, quels qu’ils soient (neufs, d’occasion, « éco-conçus », etc.).

Sur les bancs de la majorité, Yolaine de Courson (LREM) s'est elle aussi élevée contre l’argumentaire déployé par Mathilde Panot : « La publicité peut aussi dire de bonnes choses, par exemple que votre produit est bio et sincère. Les pratiques que vous citez sont épouvantables, j’en suis d’accord, mais vous faites, à chaque fois, un amalgame entre publicité et message publicitaire. Il ne faut pas tirer un trait sur la communication et la publicité, qui sont essentielles pour permettre aux entreprises de se différencier, en France comme à l’étranger. »

Brune Poirson a également soutenu qu’il n’était « pas possible juridiquement de procéder à des interdictions pures et simples de publicité pour certaines catégories de produits, sauf en cas de vrais problèmes de santé publique, comme c’est le cas pour le tabac ».

Ce à quoi Mathilde Panot a rétorqué, s’agissant des SUV et autres grosses cylindrées : « Vous avez une vision bien restrictive de la santé publique : ces véhicules polluent terriblement, et la pollution de l’air provoque la mort prématurée de 67 000 personnes chaque année dans notre pays. Il me semble qu’on peut parler d’un enjeu de santé publique ! »

Pas de messages sanitaires sur le modèle du « Mangez cinq fruits et légumes »

Dans un registre proche, les députés PS demandaient à ce que les publicités pour les voitures les plus polluantes soient assorties d’un « message à caractère environnemental précisant la consommation énergétique des véhicules ».

Requête similaire du côté de Matthieu Orphelin (ex-LREM) et François Michel-Lambert : introduire un « message à caractère environnemental encourageant l’allongement de la durée de vie des produits et informant de l’impact de la surconsommation sur l’environnement », sur le modèle du « Fumer tue », dans toutes les publicités pour les produits textiles d’habillement, mais aussi pour les « équipements électriques ou électroniques ».

« Je ne crois pas du tout qu’un message publicitaire puisse faire changer les comportements » a néanmoins objecté Véronique Riotton, avant de donner un avis défavorable à ces amendements. Sur le banc du gouvernement, Brune Poirson a invité les députés à attendre les conclusions de la convention citoyenne sur le climat, qui s’apprête visiblement à faire des propositions sur ce sujet.

Panneaux publicitaires numériques : adoption d'un amendement « de repli »

Dernier gros sujet évoqué : les panneaux publicitaires numériques, qui se multiplient notamment à Paris. « Ces écrans publicitaires représentent un gaspillage énorme d’électricité, ils sont à l’origine de déchets non recyclables et sont produits avec des minerais et des métaux rares. Il est temps d’interdire cet énorme gaspillage d’énergie et cette pollution lumineuse qui nuit à la faune, à la flore et aux êtres humains » a exhorté Mathilde Panot.

Delphine Batho, l’ex-ministre de l’Environnement de François Hollande, est également montée au créneau pour défendre une interdiction des écrans publicitaires numériques ou lumineux « sur les voies ouvertes à la circulation publique, dans les gares, stations et arrêts destinés aux transports publics de personnes ».

Dans les rangs de la majorité, la présidente de la commission du développement durable, Barbara Pompili, avait déposé un amendement pour autoriser uniquement les campagnes publicitaires « à des fins d’intérêt général ». « Cela nous éviterait de gaspiller de l’énergie quand nous risquons d’en avoir besoin » a fait valoir l’ancienne élue EELV.

« Nous nous sommes penchés sur la question et il est apparu – je sais que cet argument est souvent mal reçu, mais je n’y peux rien – qu’une telle interdiction générale serait censurée par le Conseil constitutionnel », a cependant défendu Brune Poirson. Poursuivant : « Interdire de façon absolue la publicité numérique irait en effet à l’encontre des principes de la liberté d’expression, de la liberté du commerce et de l’industrie et du bon exercice de l’activité des opérateurs économiques du secteur de la publicité extérieure. C’est ainsi que fonctionne notre droit. »

Delphine Batho a toutefois soutenu que « l’argument de l’inconstitutionnalité [était] parfaitement infondé. Il ne s’agit pas dans cet amendement d’interdire une activité, mais un support qui pose des problèmes spécifiques en termes de consommation des ressources et de santé publique. (...) La France est fondée, d’une part, à appliquer la charte de l’environnement en vertu de laquelle la loi peut prévenir tout impact négatif sur l’environnement, et d’autre part à prendre une mesure de santé publique pour protéger les enfants contre l’exposition aux écrans numériques dans l’espace public – même si cette seule mesure ne sera pas suffisante. »

Malgré l’avis défavorable du gouvernement et de la rapporteure, les députés ont finalement adopté un amendement « de repli » de Delphine Batho, donnant la possibilité aux maires d’interdire « toute publicité numérique ou toute publicité lumineuse sur les voies ouvertes à la circulation publique, dans les gares, stations et arrêts destinés aux transports publics de personnes », et qui se situent bien entendu sur leur commune.

Brune Poirson a néanmoins laissé entendre que ces dispositions étaient inutiles, la publicité numérique étant en principe « déjà soumise à autorisation préalable, ce qui permet à l’autorité compétente, donc au maire, dans les communes couvertes par un règlement local de publicité, de veiller à ce que le dispositif respecte les règles qui lui sont propres ».

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Crédits : Assemblée nationale

Le gouvernement ayant enclenché la procédure accélérée sur le projet de loi « anti-gaspillage », il n’y aura pas de seconde lecture. Députés et sénateurs se réuniront prochainement au sein d’une commission mixte paritaire, à l’issue de cette première lecture, en vue de trouver un compromis. Faute de quoi, le dernier mot sera donné à l’Assemblée nationale.

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