Des « caméras-piétons » pour les surveillants pénitentiaires

Images d'évasion
Droit 8 min
Des « caméras-piétons » pour les surveillants pénitentiaires
Crédits : MivPiv/iStock

Après quasiment un an et demi d’attente, le gouvernement a finalement publié, mardi 24 décembre, le décret autorisant les surveillants de prison à expérimenter des « caméras-piétons » (à l’instar de celles utilisées notamment par les policiers). Plus de 600 appareils devraient prochainement être achetés par l’administration pénitentiaire.

Policiers, gendarmes, pompiers, agents SNCF... et maintenant surveillants de prison.

Jusqu’au 5 février 2022, certains agents de l’administration pénitentiaire pourront être dotés de caméras embarquées, en principe portées au niveau du torse. Et ce dans un cadre toutefois limité à leurs « missions présentant, à raison de leur nature ou du niveau de dangerosité des personnes détenues concernées, un risque particulier d'incident ou d'évasion ».

Une expérimentation votée à la hâte, début 2018

Programmée par la loi du 3 août 2018, après des débats parlementaires menés au pas de course, cette expérimentation se fera dans un cadre calqué sur celui applicable depuis 2016 aux policiers et gendarmes. À savoir :

  • Possibilité de filmer une intervention en tous lieux (y compris les cellules, donc). Aucune image ne pourra cependant être capturée durant les fouilles, pour des raisons de respect de la vie privée des détenus.
  • L’enregistrement ne devra pas être permanent, mais soumis à l’activation de la caméra par l’agent « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées ».
  • Un « signal visuel spécifique » devra indiquer que la caméra enregistre.
  • L'activation de la caméra devra faire l'objet d'une information des personnes filmées, « sauf si les circonstances l'interdisent ».
  • L'agent ne pourra pas avoir d’accès direct aux enregistrements auxquels il a procédé.
  • Effacement des images au bout de six mois (hors utilisation dans un cadre judiciaire, administratif ou disciplinaire).

Le décret d’application de cette expérimentation précise que seuls certains agents seront habilités à utiliser des caméras individuelles, sur décision de « leur autorité hiérarchique directe » (en principe le chef d'établissement). La Chancellerie a d’autre part confié à la CNIL que ces appareils seraient utilisés pour les missions suivantes :

  • Les « opérations extérieures (extractions judiciaires, extractions médicales, autorisations de sorties sous escorte, transferts administratifs, translations judiciaires et remises des personnes détenues aux autorités étrangères lorsqu'elles se déroulent sur le sol national, mission de sécurisation périmétrique des établissements pénitentiaires) ».
  • Les interventions au sein des établissements pénitentiaires ou des unités hospitalières « en vue de la maîtrise d'une personne détenue ou du maintien ou du rétablissement de l'ordre ».
  • La « surveillance des personnes détenues, qui en raison de leur comportement ou de leurs antécédents, sont susceptibles de présenter un risque important pour la sécurité des personnes et de l'établissement ou un risque élevé d'évasion ».

Les pouvoirs publics misent sur l'effet dissuasif des caméras

D’un point de vue plus pratique, le décret ne fait pas référence au type de matériel qui sera utilisé. Il est néanmoins précisé qu’aucun « système de transmission permettant de visionner les images à distance en temps réel » ne pourra être mis en œuvre.

Au retour de leurs interventions, les agents devront transférer leurs enregistrements « sur un support informatique sécurisé ». Seront alors consignés, pour chaque vidéo :

  • Le jour et les plages horaires d'enregistrement
  • L'identification de l'agent porteur de la caméra
  • Le lieu d’enregistrement

« Les enregistrements ne peuvent être consultés qu'à l'issue de la mission et après leur transfert sur un support informatique sécurisé » insiste le décret signé par Nicole Belloubet, la Garde des Sceaux.

Théoriquement, les caméras-piétons sont avant tout utilisées pour apaiser les relations avec les autorités. Se sachant filmés, les individus auraient tendance à éviter les mauvais comportements, écarts de langage, etc. En pratique, néanmoins, les images réalisées par les surveillants de prison pourront aussi bien servir de preuve en cas d’infraction – d’un surveillant comme d’un détenu. Autre finalité possible d’exploitation des vidéos : « la formation et la pédagogie des agents pénitentiaires ».

Des images conservées pendant six mois

Une fois transférées, les vidéos ne pourront être consultées, extraites ou effacées qu’au prix « d'un enregistrement dans le traitement ou, à défaut, d'une consignation dans un registre spécialement ouvert à cet effet ». Ce qui devrait permettre de retracer qui a fait quoi, à quel moment et à quelles fins. La « date et l'heure » de chaque opération devra d’ailleurs être notée, de même que le service destinataire, « ainsi que le motif judiciaire, administratif, disciplinaire ou pédagogique ». Cet historique sera conservé durant trois ans.

Les agents ayant réalisé les images n’étant pas autorisés à visionner leurs enregistrements, seuls certains personnels de l’administration pénitentiaire, dûment habilités, auront la main sur les serveurs de stockage, « dans la limite de leurs attributions respectives et de leur besoin d'en connaitre ». Dans certains cas de figure, l’inspection générale de la justice pourra elle aussi être destinataire « de tout ou partie des données et informations enregistrées dans le traitement ».

À défaut d’être exploitées dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les vidéos seront « effacées automatiquement » au bout de six mois (à compter du « jour de leur enregistrement »). Un délai censé notamment permettre à d’éventuelles victimes de lancer des poursuites.

Le décret interdit expressément à l’administration pénitentiaire de « sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules données ».

En cas d’utilisation à des fins pédagogiques et de formation, les vidéos devront en outre être « anonymisées ». Ces opérations de retraitement porteront « sur les éléments visuels (« floutage » des visages et des caractéristiques physiques) et sur les noms des agents, des détenus ou des tiers (apposition d'un « bip » au prononcé du nom d'une personne) », apprend-t-on en parcourant l’avis de la CNIL sur ce décret.

Il est enfin prévu qu’une « information générale du public » sur l’emploi des caméras-piétons soit diffusée « sur le site Internet du ministère de la justice et par affichage au sein des établissements pénitentiaires participant à l'expérimentation ». La CNIL aurait toutefois apprécié que le gouvernement précise dans le décret que ces éléments seront fournis « dans les sas, les lieux de passage des personnes détenues, à l'abri familles, à la porte d'entrée principale et dans les locaux du personnel », comme la Chancellerie lui l’a indiqué.

Dans tous les cas, la gardienne des données personnelles a invité l’exécutif à présenter « le fonctionnement concret des dispositifs mis en œuvre, notamment s'agissant des modalités précises de déclenchement de la captation et d'enregistrement des images ».

Les mises en garde de la CNIL

La CNIL a globalement donné son feu vert à cette expérimentation, estimant qu’elle présentait suffisamment de « garanties ». L’autorité indépendante considère tout particulièrement « qu'il ne pourra pas être procédé à un enregistrement à l'insu » d’un détenu.

L’administration pénitentiaire a néanmoins été mise en garde : « Si certaines circonstances interdisent d'informer immédiatement les personnes concernées du déclenchement de l'enregistrement, les agents [ne sont pas dispensés] de délivrer cette information de manière différée, dès que ces circonstances ont cessé et, au plus tard, au terme de l'intervention. » La Commission rappelle au passage que les personnes filmées devront être informées de leurs droits.

À cet égard, il s’avère que les détenus ne pourront directement accéder aux images les concernant, afin « notamment de garantir la sécurité des établissements pénitentiaires, de ne pas révéler des informations confidentielles sur les méthodes d'intervention de certaines équipes de sécurité pénitentiaire ou encore de garantir la sécurité des détenus impliqués dans un incident », explique la CNIL. Cette dernière pourra néanmoins les consulter, sur demande des détenus (dans le cadre du droit d’accès dit indirect).

La CNIL a enfin émis des réserves sur le plan de la sécurisation du dispositif. « Si la Commission observe qu'un cloisonnement total au niveau réseau des terminaux dédiés à la lecture et à l'extraction des données est prévu, elle estime que des mesures devraient être prévues pour maintenir cet état de fait (par exemple : le blocage de ports réseau, la déconnexion physique des cartes réseau, des sessions régulières de sensibilisation des agents, etc.) », note par exemple l’institution.

Des caméras déjà expérimentées... sans cadre légal

Les pouvoirs publics songent en tout cas déjà à la pérennisation du dispositif. Au plus tard six mois avant la fin de l’expérimentation, le ministère de la Justice devra présenter un rapport évaluant « l'effet de l'emploi des caméras individuelles notamment sur le déroulement des interventions, sur la sécurisation physique des personnels pénitentiaires dans l'exercice de leurs missions et sur le fonctionnement général des établissements pénitentiaires ».

Le nombre de procédures judiciaires, administratives et disciplinaires menées sur le fondement des images prises par les surveillants devra dans ce cadre être détaillé. Au vu de ces éléments, la Chancellerie pourra proposer « de généraliser tout ou partie de l'expérimentation, de la prolonger ou d'y mettre fin », précise le décret.

Cette expérience ne sera pas pour autant totalement nouvelle... Loin de là, même. En mars dernier, Le Monde expliquait que neuf centres pénitentiaires, dont la maison centrale d’Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne), avaient « discrètement testé des caméras piétons (des caméras embarquées) dans le cadre de leurs missions quotidiennes au cours du premier semestre de 2018 ».

« L’administration pénitentiaire n’en est pas à son coup d’essai, même si elle s’est bien gardée de le faire savoir », poursuivait le quotidien. « En effet, dès 2007, certaines équipes régionales d’intervention et de sécurité ont pu utiliser des caméscopes à l’occasion d’entraînements et durant leurs interventions, avant de manier des caméras individuelles de type GoPro à partir de 2016. »

« Il s’agissait de quelques essais techniques, pour vérifier qu’une expérimentation à large échelle était possible », a récemment déclaré l’administration pénitentiaire auprès de La Croix. Selon nos confrères, 640 caméras devraient être commandées dans le courant du premier semestre 2020.

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