En nouvelle lecture, les députés ont adopté mardi soir la proposition de loi contre les « infox » ou fausses informations par 45 voix contre 20. Le texte part maintenant au Sénat où il devrait être rejeté une nouvelle fois. Les députés auront en toute hypothèse le dernier mot suite à cette navette.
« Avoir une information fiable, de qualité, une information de confiance, c’est la garantie d’être libre de se forger sa propre opinion » a assuré en hémicycle la ministre de la Culture. L’adoption de ce texte, élaboré selon nos informations au sein même du ministère de la Culture, fut sans surprise puisque le groupe LREM dispose de la majorité à l’Assemblée nationale.
Les tentatives de Constance Le Grip (LR) ou de Valérie Rabault (PS) de faire adopter une motion de rejet étaient donc nécessairement vouées à l’échec. Au final, pour mieux comprendre cette proposition de loi, aujourd’hui presque au bout de la procédure parlementaire, nous vous proposons une série de questions et réponses.
Qu’est-ce qu’une fausse information selon la proposition de loi ?
Ce sont des allégations ou des imputations inexactes ou trompeuses. Pour être sanctionné, il faudra que les faits déformés soient « de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir » et qu’ils soient « diffusés de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne », et donc sur un site Internet.
Il y a donc une succession de conditions : 1) un travestissement de la réalité, 2) de nature à fausser un scrutin d’ampleur (législative, européennes, présidentielle), 3) diffusé sur un site accessible à tous, 4) en période électorale.
Ceci vérifié, un juge pourra ordonner en référé à un hébergeur comme Facebook de prendre « toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser cette diffusion ». Cela pourra être une fermeture de compte, une suppression de messages ou n’importe quelles mesures plus ambitieuses selon l’ampleur.
Il aura 48 heures pour se prononcer. Dans ce délai extrêmement court, il devra donc s’assurer que le fait n’est pas vrai et surtout qu’il est « de nature » à perturber un scrutin à venir. Un juge de la vérité, un juge de l’avenir.
Une possibilité d’appel a été introduite en dernière ligne droite. La cour devra se prononcer elle-même dans les 48 heures. En clair, en cas de campagne d’intox à quelques heures du scrutin, autant dire que les voies de recours seront ensevelies.
Quelles seront les obligations pesant sur les plateformes ?
Voté dans le sillage de l’affaire Cambridge Analytica, le texte prévoit une série d’obligations de transparence sur les épaules des intermédiaires techniques d’une certaine importance, ceux dépassant un seuil de nombre de connexions.
Ils auront à révéler plusieurs données dès lors qu’on s’approchera d’une élection d’importance. Précisément, pendant les trois mois avant le scrutin, ils auront à fournir aux utilisateurs « une information loyale, claire et transparente » sur l’identité de ceux qui ont payé pour promouvoir « des contenus d’information se rattachant à un débat d’intérêt général » sur leur service.
Cette expression a été très critiquée par les principaux acteurs concernés (l'Asic, Tech in France et Syntec Numérique) au motif qu’elle serait « très imprécise et susceptible de concerner un nombre très important de contenus ne relevant à aucun moment du débat électoral ».
Ce n’est pas tout. Les intermédiaires devront, dans un registre ouvert, révéler aux internautes l’utilisation de leurs données personnelles pour la promotion de ces informations générales.
Pas plus de détail pour l’heure puisque les modalités pratiques seront précisées dans un décret, aussi bien s’agissant du registre que du seuil de connexion (à l’image du droit de la consommation).
Des mesures plus précises sont néanmoins programmées contre les plateformes qui recourent à des algorithmes de recommandation, de classement ou de référencement sur les informations se rattachant à des débats d’intérêt général. Pour chaque contenu, devront être fournies « la part d’accès direct, sans recours aux algorithmes de recommandation, classement ou référencement », celle des accès indirects imputables au moteur de la plateforme et celle des algorithmes.
« Ces statistiques sont publiées en ligne et accessibles à tous, dans un format libre et ouvert » prévient là encore la proposition de loi.
Ces dispositions ont été enrichies suite à un amendement de Paula Forteza. Pour la députée LREM, en effet, cette transparence est nécessaire, car « les algorithmes déduiraient que les contenus les plus efficaces pour capter l’attention de l’utilisateur sont des contenus polémiques, pas nécessairement vérifiés, aux formats courts et susceptibles de véhiculer des fausses nouvelles ».
Elle cite l’exemple sur YouTube de contenus « affirmant que les Américains n’ont jamais marché sur la Lune ». De fausses informations qui seraient davantage propulsées en avant « que des documentaires sur le fonctionnement du système solaire, car l’utilisateur y passerait moins de temps ».
Une option enfin a été ouverte à l’article 9 bis selon laquelle les plateformes, les agences de presse, les éditeurs de TV et de radio, les annonceurs et les représentants de journalistes notamment, pourront signer des accords destinés à lutter contre les fausses informations. Fait notable, avec l’article 11 de la future directive européenne sur le droit d’auteur, les éditeurs toucheront davantage de droits voisins si leurs contenus sont repris en masse sur les réseaux sociaux...
Comment seront détectées les fausses informations ?
Les plateformes concernées devront mettre en œuvre des mesures pro actives pour lutter contre la diffusion des fausses informations, non seulement pour préserver la sincérité d’un scrutin, mais également l’ordre public. Ce devoir de coopération n’est pas figé aux seules périodes électorales.
De leur côté, les utilisateurs pourront utiliser un dispositif « facilement accessible et visible » pour leur signaler ces fausses informations. Un dispositif qui sera donc installé par chaque intermédiaire.
Des mesures supplémentaires devront être mises en œuvre pour assurer cette lutte. Le choix est laissé à chaque acteur, mais la proposition de loi déposée par Richard Ferrand suggère plusieurs pistes dont « la lutte contre les comptes propageant massivement de fausses informations », « l’éducation aux médias et à l’information » ou « la promotion des contenus issus d’entreprises et d’agences de presse et de services de communication audiovisuelle ».
Ce dernier point est intéressant, puisque la chaîne russe RT se présente justement comme une entreprise de presse, et est en tout cas un « service de communication audiovisuelle ». En clair, un réseau social qui promouvra cette chaine, accusée régulièrement de tous les maux, répondra aux objectifs assignés par le législateur.
Ces diverses mesures seront enfin rendues publiques. Un inventaire sera adressé chaque année au CSA.
Quels sont les nouveaux pouvoirs du Conseil supérieur de l’audiovisuel ?
Déjà, la proposition de loi vient modifier plusieurs dispositions de la loi de 1986 sur l’audiovisuel, ici mises à jour pour lutter contre les « infox ».
D’abord, le CSA pourra refuser de conclure une convention avec une radio ou une télévision si la diffusion « comporte un risque grave d’atteinte à la dignité de la personne humaine, à la liberté et à la propriété d’autrui, au caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion », à la protection des mineurs, à la sauvegarde de l’ordre public, aux besoins de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la Nation.
Plus largement, ce refus pourra être opposé quand cette diffusion, de par la nature du service, constituerait une violation des lois en vigueur. Sans être discrétionnaires, les pouvoirs du CSA seront donc très vastes, d’autant que l’autorité pourra tenir compte des publications en ligne effectuées dans l’entourage de la radio ou de la TV (filiale, société mère, etc.) si elle est contrôlée par un État étranger ou placé sous son influence.
Ensuite, pendant les trois mois précédents le premier jour des élections présidentielles, parlementaires, européennes... le même CSA pourra ordonner la suspension d’une diffusion. Il lui suffira de constater la présence de fausses informations, du moins celles de nature à altérer la sincérité d’un scrutin concernant un service là encore contrôlé ou sous influence d’un État étranger.
Lorsque le même flux porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, « dont le fonctionnement régulier de ses institutions », alors l’autorité pourra décider de résilier la convention de diffusion. Des critères qu’on retrouve dans la loi Renseignement.
Quid des pouvoirs du CSA sur Internet ?
Le CSA va pouvoir adresser aux opérateurs de plateformes des recommandations visant à améliorer la lutte contre la diffusion des fausses informations. Il sera chargé du suivi des mesures complémentaires appelées par la proposition de loi. Un bilan périodique sera publié par la même autorité.
Un travail de collaboration est attendu des plateformes. D’ailleurs l’article 9 bis A les oblige à désigner un représentant légal en France.
Cette personne sera l’interlocutrice référent aussi bien pour l’application de ces nouvelles obligations que pour la lutte contre les différentes infractions listées à l’article 6-I-7° de la loi sur la confiance dans l’économie numérique (répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, des actes de terrorisme et de leur apologie, de l'incitation à la haine raciale, à la haine à l'égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ou encore de la pornographie enfantine).
Qu'en est-il de l’éducation des jeunes ?
L’article L312-15 du Code de l’éducation est revu et corrigé afin que les élèves soient informés des moyens destinés à vérifier la fiabilité d’une information. Ils bénéficieront également d’un enseignement moral et civique visant à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi « y compris dans leur usage de l’internet et des services de communication au public en ligne ».
Dans les collèges, l’éducation aux médias comprendra « une formation à l’analyse critique de l’information disponible ». Des mesures similaires sont prévues dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, où sont formés les enseignants.
Que va-t-il se passer ensuite ?
Après une première adoption à l’Assemblée nationale, le Sénat avait rejeté la proposition de loi. Chargée d’établir une version de compromis, la commission mixte paritaire fut très logiquement non conclusive.
Le texte est donc revenu devant les députés en nouvelle lecture. Il repart au Sénat où il devrait connaître le même funeste sort qu’au premier tour. En dernière ligne droite, les députés auront finalement le dernier mot. Le texte sera prêt pour être diffusé au Journal officiel, sauf si le Conseil constitutionnel est saisi pour contrôler sa conformité.