Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, l’Assemblée nationale a rejeté, jeudi 12 juillet, un amendement visant à inscrire le « droit à la vie privée » dans la Loi fondamentale. Le gouvernement et la majorité y étaient fermement opposés, au motif que ce droit est déjà reconnu par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Face à la « toute-puissance de l’industrie du numérique » et aux multiples incidents de ces derniers mois, affaire Cambridge Analytica en tête, Jean-Félix Acquaviva proposait d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la France « respecte le droit à la vie privée de chacun ».
Dans l’hémicycle du Palais Bourbon, l’élu (non-inscrit) corse a fait valoir qu’il était « important de réaffirmer clairement ce principe essentiel aux droits fondamentaux de l’individu ». À ses yeux, le droit à la vie privée « ne figure pas assez clairement dans notre norme suprême », quand bien même « le Conseil constitutionnel le considère comme un principe à valeur constitutionnelle depuis 1977 ».
Un principe qui a déjà valeur constitutionnelle
Jean-Félix Acquaviva s’est toutefois confronté à l’opposition de la rapporteure, Yaël Braun-Pivet (LREM). « Nous ne souhaitons pas codifier dans la Constitution toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a ainsi objecté l’élue LREM. Nous considérons qu’à partir du moment où un droit est reconnu comme principe fondamental par le Conseil constitutionnel, sa protection est suffisamment assurée. »
La présidente de la commission des lois a ajouté que le droit au respect de la vie privée se déduisait du droit à la liberté, tel que protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. « Dès lors, il n’est pas nécessaire de le constitutionnaliser », a-t-elle insisté.
Sur le banc du gouvernement, la ministre de la Justice a également émis un avis défavorable. « Le principe auquel vous faites référence est un principe à valeur constitutionnelle : il a donc la même valeur constitutionnelle qu’un texte écrit. En effet, le Conseil constitutionnel a la capacité de créer des normes d’un niveau de référence équivalent à celles qui figurent dans les textes écrits de rang constitutionnel », s’est justifiée Nicole Belloubet.
La Garde des Sceaux a poursuivi son plaidoyer en rappelant que le droit à la vie privée figurait en outre dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 8). « Il s’impose donc, de ce fait, à la Cour de cassation aussi bien qu’au Conseil d’État. Dans toutes les décisions relatives au droit à la vie privée, il est fait référence à cette convention, en lien avec l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui reconnaît la liberté comme principe général : de ce principe-cadre découle la protection de la vie privée. »
L’analyse de l’actuelle ministre est plus nuancée de celle entendue lors débats autour de la loi Renseignement. En avril 2015, Bernard Cazeneuve avait décorrélé vie privée et libertés. « Il n’y a, dans ce texte de loi, aucune – je dis bien : aucune – disposition attentatoire aux libertés, qu’il s’agisse de la liberté d’aller et venir ou d’autres libertés individuelles ou collectives » affirmait le ministre de l’Intérieur, avant de préciser qu’« en revanche, il est des dispositions qui peuvent être considérées comme remettant en cause la vie privée et le droit à cette dernière ».
Une certitude : refuser d’inscrire la vie privée dans le marbre de la Constitution laisse le sujet entre les seules mains des neuf Sages de la Rue de Montpensier.
La majorité préfère faire entrer les données personnelles à l’article 34
Ces arguments ont d'ailleurs agacé Bastien Lachaud (LFI) : « Mais que vous ont donc fait les GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple – pour que vous refusiez à ce point de protéger les citoyens et la souveraineté de notre pays ? » L’élu a une nouvelle fois regretté que l’exécutif et les députés LREM s’opposent à l’ancrage constitutionnel du droit à la vie privée, qu’il souhaitait introduire au travers d’une charte des droits et libertés numériques (voir notre article).
Si l’amendement de Jean-Félix Acquaviva a sans surprise été rejeté, la majorité a annoncé la semaine dernière qu’elle entendait faire entrer la protection des données personnelles à l’article 34 de la Constitution, lequel définit les sujets relevant de la compétence du législateur.
Une telle reconnaissance risque toutefois d’être purement symbolique. Introduire explicitement la protection des données personnelles au sein de la liste des domaines relevant de la loi serait en effet « parfaitement redondant » d'après Roseline Letteron, professeure de droit public. Contactée par nos soins, la juriste expliquait la semaine dernière qu'en « termes de droit positif, on restera au même niveau de protection ».
Même Paula Forteza (LREM) a jugé que cet ajout à l'article 34 ne serait « pas suffisant ».