Intégrée dans les deux avant-projets de loi portant sur le « droit à l’erreur », la dématérialisation de la propagande électorale est finalement passée à la trappe. Le Conseil d’État avait pourtant émis un avis (très) favorable sur cette réforme.
Le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a présenté hier en Conseil des ministres son projet de loi « pour un État au service d’une société de confiance » (initialement intitulé projet de loi sur le « droit à l’erreur »). Avec ce texte, qui vient d’être déposé devant l’Assemblée nationale, le gouvernement espère notamment arriver à « une action publique modernisée, simplifiée et plus efficace ».
Comme le laissait présager un avant-projet de loi transmis le mois dernier au Conseil d’État et au Conseil économique, social et environnemental, plusieurs mesures sont prévues pour remplir l’objectif gouvernemental de 100 % des démarches administratives dématérialisées, en dehors de la première délivrance des documents d’identité, d’ici à 2022 : relance du programme « Dites-le nous une fois » pour les entreprises, expérimentation dans quelques départements de la suppression des justificatifs de domicile pour la délivrance des cartes d’identité, passeports, permis et cartes grises, etc.
Une réforme fait néanmoins figure de grande absente : la dématérialisation de la propagande électorale.
L’avis pourtant (très) favorable du Conseil d’État
Après avoir envisagé de légiférer par ordonnance, le gouvernement avait pris en compte les remarques du Conseil national d’évaluation des normes en présentant directement les dispositions législatives qu’il souhaitait prendre.
En l’occurrence, l’article 25 de son dernier avant-projet de loi mettait un terme à l’envoi postal des traditionnelles professions de foi et bulletins de vote. Élections législatives, sénatoriales, européennes, municipales, départementales, communautaires... À compter du 1er janvier 2018, il était prévu que les communes assurent l’information des citoyens pour chacun de ces scrutins « par l’impression et l’affichage à l’extérieur de la mairie du recto et du verso des circulaires de propagande de chaque candidat, de chaque binôme ou de chaque liste de candidats, et, le cas échéant, en mettant une version numérique de ces documents à la disposition du public à la mairie ».
En lieu et place, les professions de foi des candidats avaient vocation à être mises en ligne sur un site officiel. Quant aux bulletins de vote, il était malgré tout question d’en laisser à la disposition des citoyens dans les bureaux de vote.
Le Conseil d’État balaie les craintes liées à la fracture numérique
Alors que cette réforme a toujours suscité une très forte opposition du Parlement – tant à l’Assemblée qu’au Sénat d’ailleurs – le Conseil d’État avait pour l’occasion émis un avis plus que favorable sur ces dispositions.
L’institution a en effet relevé qu’il n’existait « pas d’obstacle constitutionnel à ce que la propagande soit dématérialisée ». Au regard « de l’état actuel des moyens de communication » et « du maintien d’une possibilité physique d’accéder à ces documents », la réforme envisagée « n’apparaît porter atteinte ni à l’égalité entre électeurs, ni à la sincérité des scrutins », conclut l'avis du Conseil d’État.
L’institution va même plus loin, relevant qu’au-delà de ces aspects juridiques, le dispositif envisagé était à ses yeux « de nature à rendre moins incertain l’accès à la propagande électorale (laquelle est, pour l’heure, soumise aux aléas de l’envoi postal), et à renforcer la qualité du débat démocratique, en permettant aux électeurs d’accéder, via le site Internet dédié, aux circulaires plus en amont du vote, et de lire les documents de propagande des candidats d’autres circonscriptions ». Et ce sans parler des « économies budgétaires induites par cette réforme » (qui pourraient dépasser les 400 millions d’euros sur la période 2018-2022).
Une réforme qui n’était pas dans « l’esprit du texte »
Dès lors, comment expliquer la disparition de ces dispositions ? Interrogé par Next INpact, le cabinet de Gérald Darmanin explique qu’il s’agit d’un « choix de cohérence par rapport à l'esprit du texte » porté par le ministre de l’Action et des comptes publics :
« C'est un projet de loi bâti autour du concept de bienveillance, de simplification. Et donc le choix qui a été fait, c'est de mettre des mesures de dématérialisation qui facilitent considérablement la vie des usagers. De ce point de vue, il est apparu que la mesure relative à la dématérialisation de la propagande électorale était peut-être un petit peu plus « orthogonale » par rapport à l'esprit du texte. »
En creux, l’on comprend qu'aux yeux du ministre, la dématérialisation de la propagande électorale ne serait donc pas un élément simplifiant la vie des citoyens... On devine également que cette mesure régulièrement décriée était compliquée à porter sur le plan politique.
Cette réforme n’en serait pas pour autant définitivement écartée. « C'est une disposition dont on parle depuis longtemps. Elle a une vie administrative assez longue, et peut-être se retrouvera-t-elle dans d'autres projets de loi », affirme-t-on à Bercy.
Dans une feuille de route dévoilée en septembre, le ministère de l’Intérieur indiquait qu’un projet de loi serait déposé « à l’automne » afin de mettre un terme aux plis électoraux. Pour tenir cet objectif, le gouvernement devra donc trouver un nouveau véhicule législatif dans les prochaines semaines.