Dans une lettre rendue publique ce matin, le Conseil national du numérique dresse une sorte d’inventaire de ses inquiétudes quant aux différentes propositions portées en ce début de quinquennat.
S’il ne s’était pas privé de faire des commentaires publics, le CNNum n’avait pas été particulièrement bruyant ces dernières semaines. L’accélération des propositions sécuritaires, consacrée par le camp d’Emmanuel Macron, le contraint de s’armer d’un porte-voix plus volumineux. À l’attention de Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, cette commission consultative adresse une lettre ouverte pour « proposer une collaboration utile sur la question du délicat équilibre entre libertés et sécurité ». Une manière feutrée de dire que cette main tendue est d’une nécessité absolue.
La question du chiffrement dans le plan franco-britannique
Dans ce courrier, il met en exergue plusieurs sujets d’inquiétudes. Le chiffrement d’abord et avant tout. Le plan May-Macron plébiscite, on le sait, un accès aux contenus chiffrés « dans des conditions qui préservent la confidentialité des correspondances, afin que [les] messageries ne puissent pas être l’outil des terroristes ou des criminels ».
Le CNNum annonce d’ailleurs qu’il rendra un avis plus circonstancié sur le sujet, mais déjà, il accable : « toute tentative visant à limiter l’accès [au chiffrement] pour le grand public reviendrait à en accorder le monopole aux organisations criminelles qui sauront en abuser ». Et pour cause : « Une limitation du chiffrement aboutirait à un affaiblissement dommageable de la sécurité sur l’ensemble des réseaux. Par ailleurs, de telles mesures auraient une efficacité toute relative sur l’infime minorité d’utilisateurs ciblés ».
Le numérique, un coupable trop idéal selon le CNNum
Plus globalement, le CNNum se dit préoccupé de la trajectoire sécuritaire constatée ces dernières années. « Dans le discours politique [le numérique et les réseaux d’échange] apparaissent bien souvent comme des « coupables idéaux ». Ainsi servent-ils généralement de terrain d’expérimentation pour le déploiement dans le droit commun des instruments sécuritaires, l’opinion publique s’accommodant plus facilement d’une surveillance en ligne globalement considérée comme moins intrusive ». De son point de vue, la responsabilité du numérique est au contraire « beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît et le contact humain reste un déclencheur majeur du processus de radicalisation ».
Dans une sorte de panorama, il épingle comme plusieurs organisations de la société civile dont le Syndicat de la magistature, la mise à l’écart du juge judiciaire et l’avènement d’une ère du soupçon dans le projet de loi sur la sécurité publique. Autre mise à l’index, le sempiternel fichier biométrique sur les titres électroniques sécurisés (TES) unifiant en une base, l’ensemble des cartes nationales d’identité et des passeports. « Les conclusions de l’audit mené par l’ANSSI et la DINSIC nous apparaissent en outre incompatibles avec une généralisation à la hâte du système TES, compte tenu des réserves importantes exprimées par la mission ».
Si les choses sont dites, les propos du CNNum ont presque l’épaisseur d’une feuille de papier-bible tant l’Intérieur a décidé d’avancer au bulldozer sur le sujet… Mais peu importe, dans son rôle, le Conseil suggère d’ « ouvrir une réflexion publique et globale sur l’identité à l’heure du numérique » notamment quant aux « impacts profonds sur notre société d’une généralisation des procédures d’authentification pour accéder à tout service - public ou privé, en France ou à l’étranger ».