Trois opérateurs, le britannique BT, l'américain Verizon et SFR ont saisi le tribunal de commerce de Paris, et poursuivent Orange pour abus de position dominante. Leur plainte se fonde sur l'enquête bouclée en décembre 2015 par l'Autorité de la concurrence, qui soutient l'Arcep dans son offensive face à l'opérateur historique.
Après avoir bataillé pour faire valoir sa position face à l'Autorité de la concurrence, Orange fait maintenant face aux tirs croisés de trois de ses concurrents sur l'accès Internet et la téléphonie mobile pour entreprises. À eux trois, ils réclament la bagatelle de 2,76 milliards d'euros de dommages, en guise de réparation pour les multiples infractions commises par l'opérateur historique.
Le marché entreprises, sous l'œil du régulateur
En effet, Orange avait déjà été condamnée fin 2015 par l'Autorité de la concurrence à une amende, alors record, de 350 millions d'euros, punissant un large éventail de pratiques jugées anticoncurrentielles. Une procédure qui avait été démarrée en 2008 par Bouygues Telecom, avant d'être rejoint par SFR en 2010. La filiale du groupe Bouygues avait toutefois fini par retirer sa plainte en échange d'un versement de 300 millions d'euros par l'opérateur historique, SFR n'en ayant pas fait autant, la procédure a suivi son cours jusqu'au bout.
L'autorité avait retenu quatre points problématiques dans les pratiques d'Orange :
- La discrimination dans l'accès aux informations relatives à la boucle locale cuivre
- Des remises sur le renouvellement de mobile, menant à la vente à perte des terminaux, souvent « ciblées et intensifiées en fonction du contexte concurrentiel »
- Un foisonnement de remises engageantes (remises de parc, remises « privilège »...) brouillant la date de fin d'engagement du client
- Des remises d'exclusivité en cas d'utilisation du VPN de l'opérateur, jugée « restrictive de concurrence, tant au vu de sa capacité à lier les clients qu'au vu de sa capacité à évincer les concurrents ».
La sanction s'accompagnait de plusieurs injonctions de la part de l'autorité. Sous 18 mois, Orange était tenu de fournir les mêmes données sur son réseau cuivre à ses concurrents qu'à sa branche de détail (FAI). L'opérateur historique devait également mettre fin à certaines pratiques concernant ses remises, notamment celle d'exclusivité pour ses services VPN.
Tirs croisés
Le britannique BT, SFR et l'américain Verizon estiment avoir subi de plein fouet ces pratiques anticoncurrentielles d'Orange, étendues sur plusieurs années. Selon L'Expansion, Le premier estime son préjudice à 150 millions d'euros, Verizon penche de son côté vers 215 millions d'euros.
Il reste SFR, qui fait largement gonfler la note. Initialement, l'opérateur au carré rouge estimait son préjudice à 512 millions d'euros, avant de finalement s'arrêter sur un chiffre bien plus élevé : 2,4 milliards d'euros. Une somme élevée, qui tient compte d'une part de la situation particulière du marché, occupé à plus des deux tiers par Orange, quand SFR doit se contenter de 20 % et les autres des miettes. D'autre part, ces pratiques se sont étendues sur plusieurs années. Pour rappel, le marché des télécoms pour entreprise en France pesait 9,7 milliards d'euros en 2015.
Contactés, aucun des opérateurs concernés n'a donné suite à nos demandes de précisions sur la procédure. Tout au plus, SFR nous a invité à nous référer à la décision de décembre 2015 de l'Autorité de la concurrence, estimée « très complète ».
L'Autorité de la concurrence en remet une couche
Hasard du calendrier, c'est également aujourd'hui que l'Autorité de la concurrence a rendu à l'Arcep son avis dans le cadre de son analyse des marchés fixes. Les deux gendarmes partagent la même opinion : il est nécessaire de « favoriser la dynamique concurrentielle sur le marché entreprise ».
L'AdlC estime en effet que « le marché entreprise est caractérisé, aujourd'hui, par une faible animation concurrentielle ». Orange y déployant l'essentiel du réseau, l'autorité pense que les opérateurs de gros alternatifs ne sont pas en mesure de répliquer le réseau de l'opérateur historique. Justement ceux-là aimeraient pouvoir s'y greffer et l'Arcep envisage d'accéder à ces demandes, en imposant à Orange de « faire droit aux demandes raisonnables d'accès à son réseau formulées par d'autres opérateurs de gros ».
Le nœud du problème concerne les appels d'offre pour les entreprises cherchant des accès multi-sites, où seuls les opérateurs disposant d'une infrastructure sur chacun des sites du client peut espérer remporter le morceau. Avec à sa disposition la quasi-totalité de la boucle locale cuivre et un réseau fibre parmi les plus étendus du pays, l'opérateur historique est nécessairement en position de force, et ses concurrents peuvent rarement répliquer.
La question du réseau « vertical »
Dans son avis, l'Autorité de la concurrence évoque aussi le marché des particuliers. Elle estime qu'il est nécessaire de garantir l'absence de discrimination à l'accès du réseau vertical (celui déployé dans les immeubles), normalement prévue par la loi. Or là aussi Orange, le principal opérateur à avoir déployé ces réseaux verticaux, est dans le collimateur des deux régulateurs.
L'AdlC estime qu'il existe un risque qu'Orange tire parti de sa position dominante pour entraver l'utilisation de ce réseau en disposant des processus opérationnels et techniques différents de ceux proposés aux opérateurs concurrents. L'autorité précise cependant qu'il appartient à l'Arcep de déterminer quelles options sont à envisager pour servir ces objectifs. Les risques soulevés ne se limitent pas à l'opérateur historique et les mesures prises devraient être « examinées pour tous les opérateurs d'immeuble, et plus particulièrement pour ceux appartenant à un groupe verticalement intégré ». Entendre SFR.
Un soutien et un appel à une action rapide
Si l'Autorité de la concurrence soutient les propositions formulées par l'Arcep, la Rue de l'Échelle appelle sa consœur « à la vigilance concernant l'absence d'alternative à court terme, et la nécessité relevée par certains acteurs de pouvoir bénéficier, sans attendre l'émergence d'intermédiaires sur le marché de gros, d'un accès au réseau d'Orange dans le cas spécifique d'appels d'offres passés par les entreprises multi-sites, qui imposent une présence sur la totalité des lieux d'implantation de l'entreprise cliente ».
En d'autres termes, il est urgent que l'Arcep trouve un moyen de permettre aux petits opérateurs d'accéder au réseau d'Orange. Possiblement via des offres dites « actives », où l'opérateur client ne doit déployer qu'un minimum de matériel, en opposition aux offres « passives » où Orange ne met à disposition que sa fibre. Un point sur lequel les FAI alternatifs veulent se regrouper sous une bannière commune pour faire entendre leur voix, pour le moment via deux lobbies.