Facebook recentre ses tendances vers les sujets les plus couverts, et non les plus cliqués. Dans le même temps, Le Monde lance Decodex pour identifier 600 sites peu fiables, quand Google démarre en trombe sa lutte contre les publicités pour les contenus « bidons ».
Depuis l'élection de Donald Trump à la tête des États-Unis en novembre, les articles « bidons » (fake news) sont au centre des préoccupations des médias et des réseaux sociaux. Si le phénomène n'est pas totalement nouveau et que son rôle concret reste encore à clarifier, Facebook a sûrement été l'acteur le plus critiqué à ce sujet. Depuis, l'entreprise a multiplié les ponts vers les médias, dernièrement avec son Journalism Project, censé apaiser leur ire (voir notre actualité).
Des sujets « tendance » plus consensuels sur Facebook
Il y a quelques jours, la société a aussi annoncé une modification de ses tendances (Trending), fonction disponible en Australie, au Canada, aux États-Unis et en Inde. Il s'agit d'un encart affichant les actualités les plus populaires, séparé du flux d'actualité principal. L'objectif affiché est, sans surprise, d'y fournir les mêmes actualités à tous, pour briser la « bulle de filtre » dans laquelle l'outil nous enfermerait ; quand bien même la validité de ce concept n'est pas certaine (voir notre analyse).
Premier changement : l'encart affiche un titre d'article sous le nom du sujet, sélectionné selon l'engagement des internautes et les citations par d'autres articles. Le deuxième concerne la sélection des sujets. Ne sont plus affichés ceux avec un article très populaire (potentiellement mensonger), mais ceux sur lesquels beaucoup de médias écrivent. Alors que les articles « bidons » sont des contenus très partagés, mais relativement isolés sur chaque sujet, cette modification devrait mécaniquement favoriser les sources plus classiques, qui ont tendance à écrire massivement sur les mêmes sujets.
Enfin, tout le monde dans la même région verra la même chose, et il n'y aura plus de personnalisation selon les goûts de chaque utilisateur. Il s'agit du premier changement depuis août, quelques mois après que Gizmodo affirme que Facebook opérait une sélection manuelle des sujets, notamment pour supprimer les actualités les plus conservatrices.
Avec Decodex, Le Monde signale 600 sites peu fiables
En parallèle, Le Monde prend une autre approche face aux articles « bidons ». Dans les premiers jours de février, le service de vérification de faits Les Décodeurs fournira Decodex, une initiative en partie soutenue par le fonds DNI de Google.
Il s'agit d'un outil permettant de contrôler la fiabilité de 600 sources compilées sur l'année 2016. La base sera accessible sur le site du journal ou via une extension pour Chrome et Firefox. Ces dernières afficheront notamment un message à côté des actualités estimées non-fiables, affirme le média à Digiday. Un programme qui en rappelle d'autres, comme l'extension Chrome This Is Fake de Slate.
Quelques mots sur #decodex : l'idée est d'offrir un guide et un compagnon pour identifier les sites pas fiables à mesure que l'on navigue
— Samuel Laurent (@samuellaurent) 25 janvier 2017
Les médias non-fiables sont classés en trois catégories : ceux entièrement fictionnels, ceux incluant un noyau de vérité entouré de mensonges et les articles partisans. La liste inclut aussi des sites satiriques pouvant prêter à confusion, selon l'équipe des Décodeurs, quand les sites collectifs (comme Wikipédia) sont marqués comme tels.
Dans l'autre sens, des sites d'extrême-droite (comme Fdesouche) agrègent des actualités d'autres sites qui donnent une vision déformée de la vie des musulmans en France. Parmi les sites les plus en vue, figure Breitbart, qui a annoncé sa volonté de s'étendre en Allemagne et en France.
Fer de lance de la droite conservatrice outre-Atlantique, il aurait joué un rôle central dans la construction idéologique de la campagne de Donald Trump, son président Steve Bannon étant désormais son conseiller, après avoir été son directeur de campagne. « Vous pouvez être d'extrême-droite si vous voulez, tant que vous ne cherchez pas à manipuler les faits » déclare Samuel Laurent à Digiday, disant ne pas vouloir politiser cet outil.
Les médias classiques ont aussi leur lot de « fake »
Il reste que, par ce biais, Le Monde fournit un classement entre les bonnes et les mauvaises sources... Quand bien même les médias les plus établis peuvent eux-mêmes diffuser de fausses actualités. Des affaires comme la fausse mort de Martin Bouygues annoncée par l'AFP, le « tigre du 77 » inexistant ou encore la fausse cité maya découverte par un adolescent rappellent les couacs réguliers des médias habituellement considérés comme fiables.
Comme l'avait démontré Yann Guégan, nombre de médias établis diffusent des actualités sans les vérifier, et surtout sans forcément les corriger par la suite.
La ligne peut aussi être plus ténue, notamment sur des interprétations faussées. En 2011 par exemple, une dépêche Reuters reprise par Le Monde lui-même annonçait la présentation de « puces anti piratage » par Intel. Comme nous l'expliquions à l'époque, il s'agissait en fait de processeurs Sandy Bridge, loin de « puces » dédiées à la lutte contre le piratage. Une mésaventure aussi rencontrée par le Mali V-500 quelques années plus tard.
Au-delà de la base et des extensions pour navigateurs, Le Monde doit compléter son initiative par un bot sur Facebook Messenger, entièrement tourné vers la vérification des faits. Le code de l'ensemble des outils doit être libéré. « Ce n'est pas un combat entre nous et d'autres médias. Nous le faisons par démocratie, parce que nous sommes très inquiets. Le but est de partager les outils » rassure Samuel Laurent.
Google traque les mauvaises publicités
Dans le même temps, Google a publié son rapport sur la suppression des mauvaises publicités en 2016. Le but, bien entendu, est d'afficher son activisme sur un sujet devenu particulièrement sensible ces derniers mois. Pour mémoire, Facebook et Google ont annoncé en novembre s'attaquer aux publicités pour les contenus bidons. Les deux mastodontes de la réclame en ligne ont été publiquement épinglées par les médias établis pour leur soutien financier aux fermes d'articles bidons, via la publicité.
Sur 2016, Google dit avoir supprimé 1,7 milliard de publicités l'an dernier, contre 780 millions en 2015. Dans le même temps, la société a renforcé leurs règles en matière de publicités trompeuses, par exemple sur le prêt sur salaire. Elle dit avoir supprimé cinq millions de publicités amenant à télécharger des versions infectées de logiciels communs, en s'incrustant en tête de page de recherche, avant les résultats naturels.
Google a également supprimé de son réseau 80 millions de publicités avec de fausses promesses médicales, notamment sur la perte de poids ou les maladies de peau. Ont aussi été visés des sites attirant les internautes via de faux titres d'articles, pour les rediriger vers des pages de produits médicaux, par exemple de perte de poids.
Bien entendu, le groupe de Mountain View n'oublie pas les articles « bidons ». « De novembre à décembre, nous avons passé en revue 550 sites suspectés de tromper les internautes sur leur contenu, notamment en usurpant l'identité de médias. Nous avons agi contre 340 d'entre eux, pour tromperie et d'autres offenses, et près de 200 éditeurs ont été bannis de manière permanente de notre réseau » détaille-t-il. Gageons que le rythme accélère cette année, alors qu'il s'agissait de deux mois de mises en place de ces outils.