Quelques jours après l'annonce d'une nouvelle régulation de la fibre, Orange et l'autorité des télécoms se livrent à une joute publique. L'un regrette qu'on attaque ses investissements, quand l'autre affirme vouloir ouvrir le marché aux concurrents. Ces derniers s'affichent plutôt satisfaits des annonces, qui suivent un long lobbying.
Les querelles des télécoms s'affichent une nouvelle fois au grand jour. En début de semaine, l'Arcep a publié ses orientations pour réguler spécifiquement la fibre (voir notre actualité). La plupart des mesures consistent en de nouvelles contraintes pour Orange, qui domine les déploiements et les recrutements depuis des années (voir notre analyse). L'opérateur bénéficie de ses investissements, des errements stratégiques ou techniques de la concurrence, mais pas seulement, estime l'autorité.
Pour l'institution, il reste des derniers bastions du monopole de France Télécom, par exemple sur l'accès au génie civil, le raccordement des immeubles en zone très dense ou sur le marché de la fibre pour entreprises. Des limites qu'il faudrait donc briser pour rééquilibrer le marché entre l'ensemble des groupes télécoms. La plupart commencent (enfin) à investir massivement, quitte à confier certains de leurs déploiements à l'opérateur historique.
Une vive réaction d'Orange
L'ex-France Télécom a très rapidement réagi à l'annonce. D'abord par la voix de son secrétaire général, Pierre Louette, qui a tweeté une réponse cinglante le soir même, puis accordé un entretien au Monde pour le lendemain matin. La société disait ne pas être responsable « des erreurs stratégiques des concurrents », accusant le régulateur de communiquer « de façon excessive » et de jouer avec une entreprise cotée en bourse.
Le groupe balaie les accusations de verrouillage du marché, rappelant les énormes investissements qu'il a consentis dans la fibre. Il annonce même se préparer à signer un contrat avec Kosc (OVH) pour fournir des offres activées (clé-en-main) à de petits opérateurs pour entreprises. Une réaction rapide qui ne semble pas avoir suffi.
C'est ensuite Stéphane Richard, le PDG du groupe, qui a réagi sur Twitter. « La France [est] en retard sur le très haut débit, il faut donc s'attaquer à Orange, seul opérateur qui investit massivement. Cherchez l'erreur » adresse-t-il à Sébastien Soriano, le président de l'Arcep. Il demande plus de stabilité dans sa régulation, comme lui avait promis François Hollande il y a quelques mois. Résultat des courses : les plus hautes instances de l'opérateur sont sur le pied de guerre pour contrer cette tentative de régulation.
.@sorianotech: la France en retard sur le THD, il faut donc s'attaquer à @orange, seul opérateur qui investit massivement. Cherchez l'erreur
— Stéphane Richard (@srichard) January 10, 2017
Les concurrents défendent le régulateur
Dans un entretien à BFM Business ce matin, Sébastien Soriano a répondu agir en tant qu'arbitre du secteur. « S'il y a un conflit aujourd'hui dans le secteur des télécoms, il n'est pas entre le régulateur et Orange, mais entre les opérateurs » lance-t-il. Le président de l'autorité se défend de sanctionner les efforts d'Orange, mais affirme vouloir « trouver des compléments, qui viendra des autres opérateurs ». Pourtant, des verrous existent toujours, argue-t-il.
« Nous travaillons sur un petit complément. Je suis un peu surpris de la réaction très forte d'Orange » déclare-t-il encore, pour calmer le jeu. « Il est hors de question d'arrêter Orange. Nous avons décidé de ne pas faire de dégroupage dans la fibre, comme nous l'avions fait dans la téléphonie fixe » rappelle-t-il encore... Alors qu'il s'agit d'une demande émise par certains opérateurs, notamment parmi les petits.
L'Arcep se dit même prête à revenir sur ses mesures si Orange adopte de lui-même une attitude plus ouverte aux concurrents. Qu'en pensent ces derniers ? Aux Échos, Maxime Lombardini de Free affirme que l'Arcep « tente de rééquilibrer le marché en prenant des mesures de bon sens. Des ajustements techniques indispensables ». Sur Twitter encore, Olivier Roussat de Bouygues Telecom dit « Oui à plus de régulation dans la fibre ».
.@ARCEP la fibre est bonne pour la France ; la concurrence est bonne pour la fibre. Oui à plus de régulation de la fibre. https://t.co/yAJhuhG8kc
— Olivier Roussat (@OlivierRoussat) 11 janvier 2017
Les deux entreprises militent depuis longtemps pour réorienter le marché en leur faveur, notamment en zone très dense, terrain en pleine reconquête par Orange avec sa fibre. Du côté des opérateurs pour entreprises, la FIRIP « se réjouit » de ces mesures, estimant avoir été entendue. « C'est la preuve que la menace d'une nouvelle situation de monopole de la part de l'opérateur historique est prise très au sérieux » indique le président de la fédération, Étienne Dugas.
Des orientations qui semblent peu surprenantes
Au fond, cela ne semblait être qu'une question de temps avant que l'Arcep ne mette son nez dans la fibre. Au fil des mois, la grogne des concurrents s'est faite de plus en plus forte, au rythme des arrivées de nouveaux clients chez l'opérateur historique. Celui-ci est accusé, que ce soit sur l'Internet grand public ou pour entreprises, de verrouiller le marché de nombreuses manières.
Les relations de l'opérateur avec Bercy sont aussi un point délicat. À ce sujet, rappelons un épisode lié au plan France Très Haut Débit. En 2015, un cahier des charges révisé pour les réseaux publics a mis plusieurs mois à sortir (voir notre analyse). Il a contribué à améliorer la concurrence sur la fibre pour entreprises, en autorisant l'usage des réseaux grand public pour concurrencer les (coûteuses) offres de gros d'Orange.
Contacté, le ministère répondait que ce délai était entre autres dû aux réticences de l'opérateur historique, qui aurait pesé pour éviter cette mesure. Qu'Orange lève publiquement les boucliers face à l'annonce de l'Arcep ressemble à une impuissance de ses discussions avec l'État, habituellement plus discrètes.