Au ministère de la Culture, les pistes de régulation de l’impression 3D

Valois du plus fort
Droit 10 min
Au ministère de la Culture, les pistes de régulation de l’impression 3D
Crédits : gmutlu/iStock

Se tenir prêt. Voilà, en un trait, les conclusions d’un rapport sur l’impression 3D qui sera présenté la semaine prochaine au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). Le document dresse un état des lieux de ce secteur pour décrire spécialement les menaces pesant sur le droit de la propriété littéraire et artistique.

Ce travail avait été commandé voilà un an, presque jour pour jour, au sein de cette instance du ministère de la Culture. Dans sa lettre de mission, Pierre-François Racine, président du CSPLA, avait esquissé plusieurs thèmes d’étude, assurant que « l’impression 3D (…) démultiplie les possibilités de reproductions non autorisées d’objet ».

Que dit ce rapport ? En substance, que « l’impression directement par un particulier constitue un phénomène marginal à ce jour ». Cela tient d’abord au prix des appareils proposés aux consommateurs et aux capacités limitées. « L’inspiration s’épuise assez vite lorsqu’il est seulement possible d’imprimer des petits objets en plastique monochrome. »

Certes, il y a bien les fameux fablabs qui mettent à disposition des machines d’impression 3D, mais pour les auteurs du rapport, la grande majorité des clients « est constituée par des designers, qui utilisent les machines dans le cadre d’une activité professionnelle de création ». Quant aux services d’impression à distance, pas de doute, « la part des demandes portant sur des objets protégés par le droit d’auteur » reste confidentielle, d’autant que « l’impression 3D d’une oeuvre, même de taille réduite, reste le plus souvent plus coûteuse que l’achat de sa reproduction dans le commerce ».

Enfin, sur les plateformes d’échanges de fichiers, les contrefaçons seraient rares. « Selon Sculpteo, les objets protégés représentent environ 1 % des fichiers disponibles sur le site. L’entreprise ne reçoit qu’environ 10 notifications d’ayants droit par an ». De plus, « les plates-formes ont commencé à mettre en oeuvre des algorithmes afin d’identifier certains objets dont il est particulièrement notoire qu’ils sont protégés par le droit d’auteur (par exemple à partir de la silhouette de l’objet) ».

En somme, la copie 3D d’œuvres protégées « reste très limitée et affecte principalement le domaine des arts plastiques ». Une situation qui devrait d’ailleurs perdurer : « il est peu probable que l’imprimante 3D devienne un bien d’équipement courant des ménages à court et moyen termes. La baisse des coûts concerne surtout les machines imprimant avec du filament monomatière plastique, alors que la majorité des demandes d’impression porte sur des objets polymatières. »

De la pratique au juridique

Cependant, l’activité en question est susceptible de mettre en branle plusieurs articles du Code de la propriété littéraire et artistique, que ce soit le droit moral (droit au respect de l’œuvre, droit de paternité, droit de divulgation) que les droits patrimoniaux.

Quelques exemples ? « La réplication d’un objet à l’aide d’une imprimante 3D tombe (…) sous le monopole de l’auteur » estime le rapport. De même, « la numérisation d’un objet en 3D, qu’elle soit effectuée par l’utilisateur final ou par un intermédiaire professionnel, devrait également constituer un acte de reproduction, qui doit en principe être autorisé par l’auteur ». Quant à « la mise en ligne d’un fichier 3D sur une plateforme de téléchargement, tout comme son téléchargement, [ils] constituent des actes de reproduction et de représentation de l’œuvre ». Bref, chacune de ces étapes réalisées sans le consentement de l’auteur est susceptible d’entrainer une action en contrefaçon.

Du côté des intermédiaires en ligne, ceux qui proposent des fichiers de modèles 3D peuvent voir leur responsabilité engagée directement s’ils quittent le régime de l’hébergement, spécialement lorsqu’ils « jouent un rôle actif, qui n’est pas purement technique et est de nature à leur conférer une connaissance ou un contrôle des fichiers stockés ». Quant aux fablabs, encore eux, « la jurisprudence a (…) pu estimer que de tels intermédiaires (de photocopie notamment), en permettant de copier des oeuvres protégées, doivent être regardés comme des copistes contrefacteurs ».

Même le titulaire d’un accès à Internet à partir duquel des fichiers 3D sont propagés sur les réseaux P2P pourrait être inquiété via le mécanisme de la réponse graduée et la Hadopi. Seuls finalement les concepteurs d’imprimantes 3D semblent mis à l’écart dans cet écosystème, et encore, à condition qu’aucun juge ne considère que le logiciel embarqué n’est pas manifestement destiné à la contrefaçon (merci l’amendement Vivendi).

Que faire alors ?

Que faire de ces éléments couchés sur le papier ? Le document souffle le chaud et le froid : « l’absence de risque de contrefaçon à grande échelle à court terme en matière de propriété littéraire et artistique conduit la commission à ne pas préconiser de modification de la législation en vigueur dans l’immédiat ».

Mais cet attentisme n’est pas synonyme de passivité : « il convient d’être très vigilant sur le moyen et le long terme, car la technique de l’impression 3D permettra certainement, dans quelques années, aux particuliers d’effectuer, à des prix raisonnables, des reproductions de bonne qualité d’oeuvres protégées sans avoir toujours l’autorisation du titulaire des droits ». En somme, la révolution de la 3D à la maison risque de provoquer quelques secousses telluriques chez les ayants droit. Pour aiguiser cette vigilance, le document préconise donc plusieurs pistes.

Concevoir des mesures techniques de protection 

Première d’entre elles, que les matériels d’impression ou les logiciels de numérisation en 3D soient équipés de mesures techniques de protection (MTP). Pas moins. « De telles mesures existent, sur certaines imprimantes sur papier, pour éviter la contrefaçon de billets de banque, notamment le système Eurion Constellation conçu par la société japonaise Omron. »

Ainsi, on pourrait placer dans les œuvres originales un watermark (ou tatouage numérique), invisible à l’œil, mais « identifié par le logiciel de l’appareil permettant la visualisation ou la copie de cette œuvre », afin donc d’empêcher l’impression « si elle n’est pas autorisée ». Alternative inspirée des plateformes comme YouTube : concevoir une base de données répertoriant l’empreinte des œuvres, « c’est-à-dire un codage de certaines caractéristiques de celles-ci ». Un prestataire appelé à intervenir dans la chaîne d’impression pourrait du coup « rechercher sur des sites internet s’il trouve des fichiers correspondant à cette empreinte et les signaler au titulaire de droits qui vérifie s’il s’agit d’une copie qu’il a autorisée ou d’une contrefaçon ».

Deux ou trois difficultés, dont les MTP parmi les logiciels libres

Seulement, tout n’est pas simple : d’abord, il y a des questions de coûts (qui finance la constitution de ces MTP ?). De plus, faute de réglementation mondiale, « il n’est pas du tout évident que [les fabricants] intègrent, sur la base du volontariat, de tels dispositifs fortement susceptibles de déplaire aux acheteurs de ces matériels ». 

Ce n’est pas tout : « la directive 2001/29/CE précise que les États membres ne peuvent pas imposer aux fabricants de matériel d’y inclure des MTP ». En outre, cela supposerait que toutes les imprimantes soient connectées à Internet et que les MTP soient interopérables. Last but not least : « dès lors que certaines imprimantes 3D utilisent des logiciels libres (open source), il paraît difficile de garantir qu’elles incorporeront de telles mesures de protection ».

Pour autant, les auteurs du rapport ne désespèrent pas. Pour insuffler les MTP, « un premier pas consisterait à mobiliser les laboratoires et les groupes de normalisation technique pour avancer sur ce sujet, qui intéresse l’ensemble des industries. Les pouvoirs publics, en particulier le ministère de la Culture et le ministère de l’Industrie, ainsi que l’INPI, par exemple dans le cadre du Comité national anticontrefaçon (CNAC), pourraient utilement initier, voire cofinancer, les travaux sur ce thème ». De même, plutôt qu’agir en amont chez les fabricants, « on pourrait envisager de diffuser ces mesures, plus en aval, au niveau des différents intermédiaires professionnels de l’impression 3D (espaces d’impression – fablabs, services d’impression à distance). »

Du côté des intermédiaires

Autre voie soufflée à l’oreille du ministère de la Culture, des actions auprès des services de numérisation et de modélisation. « Ils pourraient prévoir l’affichage systématique d’un appel pédagogique au respect de la propriété intellectuelle et inclure dans les fichiers 3D des éléments permettant leur traçabilité (au minimum le nom et les coordonnées de leur auteur et si possible des références permettant d’identifier l’oeuvre numérisée et son auteur) ». La sempiternelle option d’une « charte des bonnes pratiques » est également proposée, elle serait ainsi gorgée d’engagements des signataires pour la défense des intérêts de l’industrie culturelle.

Chez les services de partage de fichiers 3D, le rapport envisage tout autant « des accords de coopération avec les sociétés de gestion collective concernées » afin de rêver, un jour lointain, à l’arrivée d’outils de reconnaissance automatique (à l’image de Content ID sur YouTube). « En outre, ces plates-formes pourraient afficher des rappels pédagogiques sur le respect de la propriété intellectuelle lorsque les internautes mettent en ligne ou téléchargent des fichiers 3D. »

Et pourquoi pas une once de formalisme ? Outre les systèmes de reconnaissance de contenus, les services d’impression pourraient aussi exiger « systématiquement de leurs clients un justificatif de l’autorisation préalable du titulaire de droits ». Il reviendrait alors à un juge « d’apprécier si l’opérateur a effectué un contrôle diligent de ce document et si, par suite, le critère intentionnel du délit de contrefaçon est rempli ». Pas moins…

Sur sa foulée, le document aimerait que soit accentuée la responsabilité des intermédiaires, une clause de style au CSPLA. Ses espoirs étaient nourris d’ailleurs par l’article 23 du projet de loi Lemaire. Pour mémoire, celui-ci voulait imposer aux plateformes en ligne l’obligation « d’agir avec diligence en prenant toutes les mesures raisonnables, adéquates et proactives » pour lutter contre la contrefaçon. Il faudra cependant trouver un autre tremplin juridique : la disposition en question n’a pas survécu en commission mixte paritaire.

La copie privée sur l'impression 3D

Sans trop de nuance, les auteurs soutiennent que celui qui numérise ou reproduit une œuvre en 3D peut aussi tomber sous le coup de la copie privée, si bien entendu les conditions sont remplies (à savoir copie réalisée par le particulier pour son usage privé, depuis une source licite). Du coup, en l’état, « un particulier qui effectue une reproduction en 3D sur une imprimante appartenant à un professionnel dans les locaux de celui-ci ne peut pas bénéficier de l’exception de copie privée », puisqu’il y a dichotomie entre le copiste et celui qui profite de cette duplication.

Une difficulté cependant : le droit de la propriété littéraire et artistique réserve cette exception aux seuls « supports », ce qui devrait entrainer théoriquement le non-assujettissement des technologies d’impression 3D, lesquelles en sont dépossédées. Cette contrainte avait d’ailleurs conduit le groupe socialiste au Sénat à tenter (vainement) de mettre à jour les textes pour aspirer de la redevance dans cet univers.

Les auteurs du rapport ne partagent pas l’analyse : « il nous semble qu’une telle interprétation de la directive serait excessivement littérale, dès lors que la reproduction est en réalité faite sur un support matériel (filament en plastique ou poudre dans les techniques actuelles). » Selon eux, en somme, la copie privée – et donc sa redevance – pourrait déjà se répandre sur l’impression 3D, sans toucher un poil au champ d’application de la ponction.

Cependant, l’analyse ne va pas plus loin : les pratiques étant marginales, il n’est pas proposé d’étendre la redevance à cet univers. Pour l’instant du moins. Le rapport demande en effet que soient préparées les fondations d’une telle extension, histoire d’accompagner l’évolution des pratiques. La redevance pourrait ainsi être prélevée aussi bien au regard des copies réalisées par les particuliers que celles demandées à un intermédiaire technique, à l’instar de ce qu’a décidé le projet de loi Création pour les magnétoscopes en ligne (le fameux amendement Molotov).

Dans cette logique de compensation, il esquisse donc la possibilité lointaine d’instaurer « une redevance sur les imprimantes 3D à destination du grand public » ou bien encore « d’assujettir également certains consommables utilisés par les imprimantes 3D à destination du grand public, en particulier les filaments en plastique » voire les appareils de numérisation 3D.

Développer une offre légale de l’impression 3D

En toute dernière ligne droite, le rapport préconise « que les titulaires de droits, de manière proactive, organisent le développement d’une offre légale ». Cela représenterait de nouvelles sources de revenus tout en incitant les utilisateurs à se détourner des sources illicites : « En ce sens, on peut noter que l’ADAGP s’est rapprochée de la plateforme Sculpteo dans cet objectif. Même si ces discussions ne se sont pas concrétisées à ce stade, le coût de l’impression étant souvent trop élevé pour garantir la rentabilité de l’opération, ce type d’initiative doit être encouragé. Il serait également utile que les musées et des acteurs comme la Réunion des musées nationaux – Grand Palais (RMN-GP) s’engagent encore davantage dans cette voie. »

Le rapport sera présenté et adopté le 5 juillet au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.         

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