Introduite par les députés, l’activation des caméras-piétons portées par les forces de l’ordre « à la demande des personnes concernées » par une intervention pourrait ne pas passer le cap du Sénat, où plusieurs amendements viennent d'être déposés afin de revenir sur cette mesure.
Adopté le 8 mars dernier par l’Assemblée nationale, le projet de loi de réforme pénale commence tout juste à être ausculté par le Sénat. L’article 32 de ce texte vient pour rappel fixer un cadre à l’utilisation de « caméras-piétons » (ou plutôt « caméras-mobiles ») par les policiers et gendarmes.
Les agents équipés de ces petits joujoux technologiques à 1 200 euros pièce pourront réaliser des images en tous lieux, y compris privés, à condition que les personnes filmées en soient informées. Les images, qui ne pourront être directement visionnées par les policiers ou gendarmes portant ces appareils embarqués, seront effacées au bout de six mois – sauf si elles doivent être utilisées dans le cadre de procédures judiciaires ou disciplinaires (selon s’il s’agit de mettre en cause l’auteur d’un outrage ou celui d’une bavure...).
Une question reste toutefois au centre des débats : quand les forces de l’ordre devront-elles déclencher l’enregistrement, sachant que chaque policier ou gendarme reste le seul maître de sa caméra ? Initialement, le projet de loi prévoyait une activation « lorsqu'un incident se produit ou, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées, est susceptible de se produire » (ton qui monte, attroupement, etc.). Les députés ont toutefois souhaité ouvrir une seconde possibilité : un déclenchement « à la demande des personnes concernées par les interventions des agents de la police nationale et des militaires de la gendarmerie nationale ».
Cet ajout, introduit en commission à l’initiative de la socialiste Élisabeth Pochon, avait obtenu le soutien de la rapporteur Colette Capdevielle, qui avait néanmoins prévenu que ces dispositions pourraient créer « des difficultés en termes de procédure ». L’élue s’en était remise à l’avis du gouvernement, qui n’a finalement pas abordé le sujet lors des discussions dans l’hémicycle...
Certains sénateurs ne veulent pas de la « réciprocité » introduite par les députés
Ce débat devrait cependant avoir lieu au Sénat. Le rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Philippe Paul (LR), a en effet déposé un amendement supprimant cette activation « à la demande ». Et pour cause, la modification opérée par l’Assemblée nationale comporte à ses yeux « un certain nombre de risques juridiques ». « Il semble en effet difficile de définir les conditions dans lesquelles il sera considéré que la demande de déclenchement sera légitime : faut-il donner droit à toute demande même exprimée de manière violente ? Par ailleurs, en cas de non fonctionnement de la caméra, la procédure judiciaire éventuellement issue de l'intervention sera-t-elle caduque ? » s’interroge l’élu.
Une dizaine de sénateurs LR l’ont par ailleurs rejoint, à l’appui d’un second amendement au travers duquel ils soutiennent que le déclenchement à la demande « risque d’être source de tensions supplémentaires entre les différents intervenants ».
En attendant les débats en commission, programmés pour demain (puis pour la semaine prochaine en séance publique), rappelons qu’un récent rapport de l’ONG ACAT souligne tout particulièrement l’importance des images « amateurs » en cas de dérives policières – qui font bien souvent figure de seul élément permettant de prouver la responsabilité des agents mis en cause. L’association en appelait d’ailleurs le ministère de l’Intérieur à revenir sur son choix de n’acquérir que des Tasers X26 dépourvus de dispositifs d’enregistrement vidéo et sonore continus (alors qu’ils en sont normalement équipés).