Extension ou pas ? Cette nuit, au Sénat, la question de la redevance copie privée adaptée au « Cloud » a une nouvelle fois sollicitée les élus, grâce à un amendement de dernière minute déposé par Jean-Pierre Leleux, rapporteur du texte.
Le projet de loi Création, défendu par Fleur Pellerin, est désormais dans les bras d’Audrey Azoulay, nouvelle ministre de la Culture. L’un des sujets ô combien épineux est celui de la copie privée.
Un amendement avait été ébauché depuis plusieurs mois rue de Valois. Sa double mission : d’une part, préparer la future extension de la redevance copie privée aux lockers, les hébergeurs de fichier, un vœu de la SACEM. D’autre part, assurer rapidement l’assujettissement de certains services de radios et télévision en ligne de nouvelle génération.
Les nouveaux services de télévision en ligne
Cette deuxième partie de l’amendement porté par le sénateur PS David Assouline est taillée notamment pour Molotov.tv. Le service concocté par Pierre Lescure et Jean-David Blanc, le fondateur d’Allociné, attendent impatiemment cette adoption pour proposer l'offre au grand public.
Pour mémoire, ce magnétoscope en ligne, ou plutôt « box virtuelle » comme aiment à l’esquisser ses fondateurs, veut agréger une centaine de flux de TV dans une plateforme unique. Des flux offerts sur un plateau selon trois modalités : du direct et du replay tout d'abord, sous l’égide de son statut de distributeur de télévision. Mais aussi es fonctions d’enregistrement pour les programmes en cours ou à venir, sous le parapluie cette fois, de la copie privée.
Déployer un tel service sur le socle de la copie privée est vu d’un bon œil par certains des titulaires de droit qui craignent en effet que les intermédiaires déportent les capacités de stockage des box vers le cloud. Côté Molotov, l’enjeu est aussi de déloger les abonnés des services actuels des FAI et de Canal Plus - absent de son offre -, en leur proposant un service censé être plus ergonomique, facile d’utilisation, centralisateur et économiquement séduisant.
Un service qui aura deux piliers : une formule gratuite avec un espace de stockage limité. Une formule payante avec un espace cette fois beaucoup plus généreux (point sur lequel nous reviendrons).
Une tuile au Sénat, au profit notamment d'Orange et Canal+
Sauf que ce scénario bien huilé a rencontré une tuile en béton au Sénat. Suite à la gronde de plusieurs industriels, craignant l’extension aux lockers, l’édifice s’est effondré à coup d’amendements de suppression puis de modifications.
Le 10 février, le jour avant le départ de Fleur Pellerin, la ponction pour copie privée a d’abord été évincée de l’ensemble des stockages traditionnels ! Pire pour Molotov.tv, la partie « télévision dans le cloud » de l’amendement Assouline a été intoxiquée par un amendement porté par le rapporteur Leleux.
Il témoigne des inquiétudes des producteurs de cinéma, férus de droits exclusifs mais également des concurrents en place, agacés de voir un nouvel entrant menacer leur précarré : la redevance a été certes étendue aux services d’enregistrement dans le nuage, mais restreinte aux seuls « distributeurs autorisés » via des équipements appartenant à leur giron.
Bel hasard en effet : cette disposition du projet de loi Création est désormais sculptée pour le modèle économique d’Orange et Canal+, lesquels s’appuient sur des box, des décodeurs et du droit exclusif. La notion de « distributeur autorisé » fait en outre craindre un sandwich de perceptions (droit d’auteur et droit voisin + redevance copie privée) pour les futurs abonnés concernés.
La suite des débats devant les députés
Cette nuit, le psychodrame a été évité mais en partie seulement. Un nouvel amendement déposé en séance par le sénateur Leleux a réinjecté les supports traditionnels dans le spectre de la copie privée. Lors des échanges, David Assouline (PS) s’en est évidemment satisfait regrettant la précédente « malfaçon d'écriture [qui] avait supprimé 95 % du dispositif de copie privée ».
Cependant, le chantier n’est pas correctement terminé : si les lockers restent non assujettis à la redevance, n’en déplaise à la SACEM, il en est toujours de même pour la plateforme de Pierre Lescure et Jean-David Blanc.
Le débat devrait donc sûrement reprendre à l’Assemblée nationale, la nouvelle ministre de la Culture ayant d’ailleurs soutenu que « la discussion n’est pas close ». En attendant, une partie du business modèle de Molotov.tv est suspendue au sort du projet de loi Création. Quant aux industriels, ils militent toujours pour purger les bugs de la Commission copie privée, sujet abordé avec inquiétude par les bénéficiaires des 230 millions d'euros prélevés chaque année.