Hier soir, plusieurs amendements sur la copie privée ont été adoptés en commission de la Culture. Les deux du gouvernement sont passés haut la main : celui étendant le champ de l’action artistique et culturelle financé par les 25% de la redevance, et celui visant à ce que trois représentants des ministères chargés de la culture, de l’industrie et de la consommation participent aux travaux de la Commission copie privée. Même sort pour les amendements Rogemont obligeant pour l’un, l’open data des rapports d’affectation et pour l’autre, à réserver jusqu’à 1 % des montants prélevés, au financement des études d’usage. Soit 2,35 millions d’euros pour 235 millions d’euros collectés l’an passé. Les autres, qui visaient ces mêmes réformes, ont été retirés par leurs auteurs.
Le projet de loi Création sera débattu en séance à à l'Assemblée nationale à partir du 28 septembre. Plusieurs amendements ont été déposés en commission pour revoir le régime de la redevance copie privée. Tour d'horizon de ces sept premières rustines, en attendant celles notamment du rapporteur Patrick Bloche.
Le gouvernement a attendu les travaux en commission de la Culture pour patcher la copie privée dans le cadre de son projet de loi Création. Il a déposé deux amendements qui veulent revoir pour l’un les règles en vigueur au sein de la commission copie privée (CCP), pour l’autre l’affectation des 25 % de ce prélèvement.
Trois représentants du gouvernement, indépendants
Dans le premier amendement , l’exécutif propose en effet que « trois représentants des ministères chargés de la culture, de l’industrie et de la consommation participent aux travaux de la commission avec voix consultative ». Ceux-ci viendraient épauler les 12 ayants droit, les 6 représentants des consommateurs et les 6 autres industriels, ceux-là même chargés d’établir assiette et taux de redevance appliqués sur les supports d’enregistrement.
Pour l’heure, un représentant de l’État préside la CCP mais selon le gouvernement, l’introduction d’experts issus des ministères principalement concernés est une nécessité, d’autant que « la désignation de tiers neutres (...) figurait parmi les préconisations du rapport de Pierre Lescure sur l’Acte II de l’exception culturelle. »
On peut déjà relativiser cette affirmation de neutralité s’agissant notamment de l’expert désigné par le ministère de la Culture. Et pour cause, la Rue de Valois a tout intérêt à voir les montants de la redevance grimper en flèche puisqu’un quart des sommes collectées doit être réaffecté par les ayants droit dans le soutien des manifestations culturelles, et donc de la politique culturelle que finance en principe la Rue de Valois. C’est ce qu’avait expliqué la SACEM en 2011 : « très souvent on nous demande de venir pallier et de venir aider parce qu’il n’y a pas assez d’argent du côté du ministère ».
De plus, l’amendement gouvernemental compte installer « des représentants des ministères », non expressément des experts reconnus par exemple pour leur compétence dans le secteur de l’industrie culturelle, ce qui n'est pas la même chose.
Le récent rapport Maugüé sur la copie privée, publié cet été, avait lui aussi demandé que les études d’usages (celles mesurant les pratiques de copie pour ébaucher les barèmes) soient soumises à une vraie « expertise indépendante », via un collège de personnalités. Le rapport Rogemont, toujours sur le sujet, va jusqu'à proposer la création d'une autorité administrative indépendante chargée de l’homologation des barèmes. Ces propositions toutes récentes sont ignorées par Fleur Pellerin, qui préfère légitimer sa rustine en se référant au rapport Lescure, pourtant vieux de deux ans et demi.
Sauf que le rapport Lescure était lui aussi plus ambitieux (p.293). Ce document publié le 13 mai 2013 proposait de remettre « l’État au cœur du processus décisionnel en lui donnant un rôle plus affirmé d’arbitre entre les parties prenantes, tout en conservant le principe d’une négociation préalable entre bénéficiaires et redevables ». Comment ? Par la nomination non d’un, mais de deux experts par chacun des trois ministères. Surtout, il voulait que les barèmes soient « adoptés par décret, sur avis conforme de l’actuelle Commission copie privée, dont la composition serait élargie ». Il esquissait déjà un avantage : « une telle réforme contribuerait à la lisibilité du dispositif, renforcerait la légitimité du prélèvement et rapprocherait la France du mode de gouvernance le plus répandu dans l’Union européenne ». Une demande restée lettre-morte.
Les 25 % de la copie privée étendus à l'éducation artistique et culturelle
Dans un autre amendement, le gouvernement propose cette fois d’étendre le champ des actions financées par un quart de la redevance copie privée (235 millions d’euros en 2014) « au développement de l’éducation artistique et culturelle », dispensée par des artistes : « cet usage des sommes collectées au titre de la copie privée permettrait de diffuser plus massivement les pratiques artistiques auprès de tous les publics, d’ouvrir l’esprit des élèves sur le processus de création artistique, de suivre le parcours d’une œuvre, de sa création à sa diffusion auprès du public ».
Il s’agit là d’une revendication ancienne et récurrente de la SACEM, notamment, qu’on retrouvait aussi dans le rapport Lescure :
« Cela permettrait par exemple aux SPRD (ou aux organismes d’intérêt général qu’elles financent) de soutenir le développement de plateformes innovantes ou la promotion en ligne d’une oeuvre, d’un artiste ou d’un catalogue, y compris à l’international. Cet élargissement serait cohérent avec la provenance des sommes en question, puisque la quasi-totalité des copies s’effectue aujourd’hui à partir de fichiers numériques. »
Cet été, l'idée a aussi trouvé un écho favorable dans le rapport du député Marcel Rogemont sur la copie privée :
« Le champ des actions éligibles aux 25 % pourrait intégrer le soutien à l’éducation artistique et culturelle, dispensée par des artistes. Les élèves pourraient ainsi apprendre la différence entre un auteur, un compositeur et un interprète, un éditeur et un producteur, être sensibilisés au contenu et à l’importance de ces métiers, et suivre le parcours d’une œuvre, de sa création à sa diffusion auprès du public. Il est en effet essentiel pour les artistes et les créateurs que leurs activités soient bien appréhendées par le public, notamment les plus jeunes, de manière à ce que celui-ci comprenne et respecte leur travail, prenne conscience de l’utilité et de l’importance des droits d’auteur, et, parallèlement, puisse développer un goût pour les activités et manifestations culturelles. »
D’ailleurs, le député PS a déposé un amendement similaire à celui du gouvernement, comme trois députés LR.
De l'Open Data pour les rapports d'affectation
Seulement, pour que les 25 % puissent gagner en légitimité, encore faut-il que la transparence soit au rendez-vous. Si chaque année les sociétés de gestion collective décrivent au ministère de la Culture les manifestations financées par ces 25 %, ces rapports d’affectation ne sont pas obligatoirement publiés.
Le rapport Lescure avait dénoncé ce système, quand le patron de la SACEM avait lui soutenu que 50 millions d’euros permettaient de créer un lien particulier avec les élus. Quant au rapport Rogemont, celui-ci avait cité notre procédure CADA destinée à obtenir justement communication de ces rapports. Malheureusement, le ministère nous avait expliqué qu’ils n'étaient disponibles dans ses archives qu’en version papier, nous contraignant d’aller à Paris pour les consulter. Voilà donc l'Open Data, version Rue de Valois :
Les rapports d'affectation de la copie privée (Photo M.R)
À l’occasion du projet de loi Création, Isabelle Attard (non inscrite, apparentée écologiste) et Barbara Pompili (écologiste) veulent donc imposer la publicité de ces rapports annuels. De même, elles souhaient que les données soient diffusées en accès libre, sans mesure technique de protection.
Le député Rogemont, avec d’autres collègues socialistes, propose une mesure similaire. Il souhaite que « les sociétés de perception et de répartition des droits établissent et gèrent une base de données électronique unique recensant le montant et l’utilisation de ces sommes, en particulier les sommes utilisées à des actions d’aide à la jeune création. Cette base est régulièrement mise à jour et mise à disposition en accès libre et gratuit sur un service de communication au public en ligne. Le commissaire aux comptes vérifie la sincérité et la concordance avec les documents comptables de la société des informations contenues dans cette base de données. »
Un détail : Aurélie Filippetti nous avait indiqué qu'un article avait été spécialement programmé dans son projet de loi sur l'Acte 2 de l'exception culturelle pour faire suite à notre procédure et contraindre les ayants droit à l'Open Data. Une disposition qui a sauté dans le texte de sa remplaçante, Fleur Pellerin.
Les études d'usages financées sur le dos de la redevance
On notera enfin cet amendement, encore signé Marcel Rogemont, qui s’intéresse aux études d’usages. Le député propose que jusqu’à 1% des flux de la copie privée soit prélevé pour le financement des études d’usages effectuées en amont de la détermination des barèmes (soit 2,35 millions pour 2015, par exemple). « Ce mode de financement spécifique et transparent contribuera à l’indépendance des études menées » soutient Rogemont dans son exposé des motifs.
Jusqu'à présent, les études d’usages en commission copie privée ont été financées par les ayants droit, bénéficiaires des sommes prélevées. En 2008, soit en des temps préhistoriques, la situation avait ému le plan France Numérique d’Éric Besson, lequel avait réclamé dans un souci d’objectivité et d’impartialité que la Commission copie privée soit dotée « de moyens propres, affectés à la réalisation d’études indépendantes, portant sur l’usage par les consommateurs des supports de copie assujettis à la rémunération ». La demande était restée lettre-morte.
En 2011, lors d’une des dernières grandes études d’usage, les ayants droit avaient accepté de verser 382 700 euros pour financer ces enquêtes. Un an plus tard, ils percevaient 172 millions d’euros au titre de la redevance copie privée.