En fin de matinée, à la Hadopi, la Commission de protection des droits a dressé son bilan après cinq années d’activité. À cette occasion, Mireille Imbert-Quaretta, sa présidente, a déroulé ses prétentions pour l’avenir de l’institution ainsi que d'autres projets à court terme, destinés à rendre moins graduée sa fameuse riposte.
C’est peu de le dire : la riposte graduée passe désormais à la vitesse supérieure. Outre des avertissements nettement en hausse, le mécanisme va bientôt connaître quelques évolutions structurelles qui sont tout sauf neutres. Ainsi, l’institution a annoncé aujourd'hui qu'elle ferait sauter l’étage supplémentaire d’avertissements par lettres recommandées qu’elle avait très librement ajouté en 2012. Au lieu et place, elle préfère dorénavant se focaliser sur les lettres simples, elles aussi tout aussi librement injectées dans le processus avant le deuxième avertissement.
L’enjeu est d’abord économique : moins d’un euro pour une lettre simple, contre trois pour la LRAR (tarif de gros). Surtout, les lettres simples sont réservées aux abonnés qui mettent à disposition une seule œuvre et un logiciel, les autres restant sur le dispositif légal. « On va cependant voir si on ne peut pas étendre cette lettre pédagogique, par exemple à ceux qui mettent à disposition deux œuvres. Nous avons pas mal de dossiers où ces situations tournent en boucle » nous confie MIQ en marge de la conférence de presse. Un bilan de ces 28 000 « lettres pédagogiques » déjà adressées sera fait très prochainement, à l’occasion des six mois de son introduction (en avril dernier). « On va accentuer la pédagogie sur les phases où il y a des conséquences ».
Des transmissions au Parquet plus rapidement décidées
Autre chose, la dernière phase, celle de la délibération, va changer de visage. Alors qu’auparavant il s’agissait de déterminer si oui ou non tel dossier devra être transmis au Parquet, désormais cette dernière étape ne devrait être utilisée que pour les dossiers qui seront effectivement transmis. D’une phase décisionnelle, on en arrive à une phase purement administrative de mise en forme du dossier pour espérer un jugement dans les règles de l’art.
Quels seront les dossiers retenus tout particulièrement ? Il s’agira de ceux considérés comme graves par l’institution. Sous quels critères ? « Le nombre d’œuvres différentes, le nombre de logiciels de mise en partage, sachant que plus il est rare, plus nous sommes soupçonneux. On regardera de près ce qu’on nomme les calculateurs à qui on adresse d’abord un premier avertissement, mais qui utilisent par la suite un autre logiciel P2P. Nous avons certes des délais d’extinction de la procédure, mais ceux de la purge de notre système d’information sont différents ».
C’est donc un net tour de vis qui s’annonce dans la gestion de la riposte graduée, la Hadopi voulant être plus réactive, beaucoup moins pédagogique et plus pré-répressive. Ce choix devrait satisfaire les ayants droit, qui n’ont eu de cesse de réclamer plus de réactivité, soit moins de phases d’avertissements et surtout plus de transmissions au Parquet.
Le choix de la CPD est-il d'ailleurs stratégique ou accidentel ? « Ni l’un ni l’autre, nous rétorque Mireille Imbert-Quaretta, il est normal par rapport à l’orientation de l’institution. Elle est saisie par les ayants droit, doit respecter les autorisations de la CNIL qui prévoient 125 000 saisines par jour. Les ayants droit se limitent volontairement à 750 000 saisines jour. Avant de passer à un deuxième stade, on voulait montrer qu’on avait la possibilité de traiter l’intégralité des saisines. Et puis nous sommes une institution de la République, on ne peut se battre avec la terre entière ».
Une Hadopi armée contre les sites massivement contrefaisants
Lors de la présentation presse, MIQ a aussi décrit ses doléances. Sans surprise, celle-ci milite pour de nouvelles armes au service de l’institution. « Depuis le vote de la loi, il y a d’autres comportements qui sont encore plus problématiques, qui sont les sites massivement contrefaisants, qui pillent sans vergogne et sans verser un kopek à personne. Ils s’en mettent plein les poches et ne paient rien ».
Elle souhaite ainsi que la Hadopi voit ses missions enrichies contre ces sites, avec notamment la possibilité de lutter contre la réapparition des contenus une première fois dénoncés. « Internet a une mémoire d’éléphant sauf pour la propriété intellectuelle où il a une mémoire de poisson rouge. Internet est schizophrène, il est éléphant et poisson rouge. »
Pourquoi cette réflexion ? Tout simplement parce que la loi oblige les ayants droit à notifier chaque contenu illicite dans les mains des hébergeurs. MIQ aimerait que soit institué un mécanisme de notification et de retrait prolongé afin qu’un contenu notifié ne puisse réapparaitre une seconde fois sur le même site. Comme cela a déjà été dit dans nos colonnes, on basculerait là sur un mécanisme de filtrage et d’empreintes obligatoires sur les épaules des hébergeurs, lesquels devraient générer des empreintes sur les contenus, puis comparer dans une base chaque téléchargement sur leur serveur avant d’autoriser la mise en ligne. Un dispositif certes très protecteur pour les ayants droit, mais dont le coût n’a pas été expertisé à l’échelle de la France pour les intermédiaires.
« Il y a différentes possibilités permettant d’avoir une action beaucoup plus coordonnée. Il faut en tout cas maintenir la réponse graduée, continuer à expliquer, mais également lutter contre ces sites massivement illicites » prie MIQ.

Des amendes infligées par la Hadopi ?
Cette Hadopi surarmée est justement le thème principal d’un récent rapport sénatorial qui estime nécessaire de déshabiller l’institution de l’ensemble de ses missions, sauf au pénal où son champ d’action serait étendu aux sites. Le rapport propose également que la Hadopi puisse infliger des amendes administratives. Pour répondre à certains obstacles constitutionnels (voir notre actualité) qui avaient été portés à l’oreille de Corinne Bouchoux (EELV) et Loic Hervé (UDI) par MIQ, leur rapport propose que ce soit la Hadopi elle-même qui procède aux relevés des adresses IP.
L’idée séduit la présidente de la Commission de protection des droits, qui note seulement qu’il pourrait y avoir rupture d’égalité : si ce mécanisme est réservé à la musique et au cinéma, le Conseil constitutionnel pourrait sanctionner l’éviction du secteur de la BD, de l’image, de la photo ou du jeu vidéo. Seulement, on pourrait répondre que la situation ne diffère pas beaucoup de l’actuelle, et qu’il revient à ces autres univers de choisir ou non de se lancer dans l’aventure de la réponse graduée...
D’ailleurs, MIQ a plusieurs fois travaillé sur la question des sites massivement contrefaisants. Quelles ont été les suites données à ce rapport, du côté du ministère de la Culture ? « Nous n’avons au aucun échange depuis sa remise. Cela fait 25 ans que je fais de la législation. J’ai été suffisamment énervée par des dispositions inapplicables qu’on devait appliquer... J’ai néanmoins essayé de rédiger un projet de texte législatif pour savoir si cela le serait ». Celle-ci nous glisse d’ailleurs que l’avant-projet de loi qui fut dévoilé dans nos colonnes n’était guère éloigné de son brouillon. Il n'y a donc qu'à s'en servir !
En l’état, cela signifie aussi que des dispositions sont prêtes, sur le tremplin. L’actuel projet de loi Création est évidemment le parfait véhicule législatif. Pour l’heure, aucun amendement n’entend réarmer la Hadopi, mais le débat parlementaire va s’étendre sur de longues semaines. Il se trouvera bien un député ou un sénateur pour proposer ces dispositions.