La France aurait déjoué cinq attentats depuis ceux de janvier. Depuis quelques heures, des détails ont été éventés dans les médias. Le tout à quelques encablures de la décision du Conseil constitutionnel sur le projet de loi sur le renseignement. Curieux hasard, non ?
La plupart des médias ont évoqué l'affaire cette semaine : la France aurait déjoué un projet d’attentat sur notre territoire. Des jeunes auraient reconnu vouloir mener une attaque terroriste en France entre décembre 2015 et janvier 2016. « Le groupe des supposés djihadistes », comme l’appelle le Figaro, est soupçonné avoir voulu pénétrer dans une base militaire du sud de la France afin d’y égorger un gradé. Le tout filmé avec une petite caméra numérique haute définition, de type Go-Pro.
Selon les agences de presse, « une enquête préliminaire a été ouverte dès le 23 juin par la section antiterroriste du parquet de Paris ». Mieux : l’un des quatre jeunes en cause avait été préalablement « repéré pour son activisme sur les réseaux sociaux et dans le relationnel de jihadistes français aujourd’hui incarcérés. »
La recette parfaite
Des jeunes terroristes en puissance. Une armée prise pour cible, soit le cœur symbolique de l’État en ces temps de défilés du 14 juillet. Ajoutez un soupçon de nouvelles technologies (GoPro, réseaux sociaux.). La recette parfaite.
Libération, par prudence, se demande ce qu’est un « attentat déjoué » - il y en aurait eu cinq parait-il depuis janvier. Et le journal d'amplifier la question d’un spécialiste de l’antiterrorisme sur ces projets anxiogènes : « Quand une information judiciaire est ouverte, cela tombe forcément dans le domaine public mais là, personne ne l’a su. S’ils avaient des preuves sur ces attentats déjoués, pourquoi n’ont-ils pas déféré les suspects devant la justice ? ». Ajoutons en effet que tous ces faits sont normalement couverts par le secret, secret qui a volé en éclat suite à une petite phrase du Président de la République (« Cette semaine, nous avons également prévenu des actes terroristes qui auraient pu être produits. » ) suivie des minutieuses explications de Bernard Cazeneuve.
Certes, quelques grincheux policiers pestent contre les révélations présidentielles. Mais peu importe. Sans tarder, sans recul, sans prudence les politiques ont déjà pressé le bouton « exploitation » sur Twitter notamment. Ainsi, Marc Coatanea (PS) devine des « menaces terroristes élevées » en France, ce qui « justifie s'il en était besoin » le projet de loi sur le renseignement « que le Gouvernement a fait adopter ».
Menaces terroristes élevées #france justifie s'il en était besoin #pjlrenseignement que le Gouvernement a fait adopter. Fermeté sans faille.
— Marc COATANÉA (@marccoatanea) 15 Juillet 2015
Du côté du groupe Les Républicains, même embrasement de la parole. Jean-Pierre Raffarin se confiant sur RTL : « je suis inquiet, la menace est réelle et n'a jamais été aussi forte mais nous nous sommes dotés de moyens ». Avant d’ajouter « c'est par le renseignement que nous pouvons déjouer un certain nombre de ces attentats, tentatives d'attentat ou projets d'attentat (...) La situation est inquiétante mais c'est une grande démocratie, la société française, qui s'est donnée les moyens de se défendre ».
La France qui a peur, l’État qui protège... Revenons justement au meurtre en Isère le 26 juin 2015. Alors que le sang gisait encore sur le sol, Bernard Cazeneuve surfait déjà sur la vague de son projet de loi : « depuis des mois, le gouvernement prend toutes les mesures pour assurer la protection des Français face à un risque dont je n’ai cessé de dire, avec le Président de la République et le Premier ministre, demeurerait face à un niveau très élevé. Deux lois renforçant les moyens de l’État dans la lutte contre le terrorisme ont été adoptées ».
Grosse promo dans les rayons de la sécurité, trois textes pour le prix de deux ! La loi sur le renseignement, adoptée le 24 juin, en effet, «permettrait à nos services dans le cadre de la lutte antiterroriste de disposer de moyens nouveaux qui leur faisaient cruellement défaut ». Avis partagé par Éric Ciotti, député des Alpes Maritimes (LR) : « cet attentat rappelle également l’impérieuse nécessité du projet de loi renseignement voté par le groupe Les Républicains ».
Un projet d'attentat déjoué, en attendant la décision du Conseil constitutionnel
Bref, un attentat déjoué justifie le projet de loi sur le renseignement. Un attentat consommé aussi. C’est peu de le dire, les derniers évènements tombent en tout cas au mieux dans le calendrier. C’est d’ici la semaine prochaine que le Conseil constitutionnel rendra sa décision pour vérifier si ce texte si impérieux n’est pas disproportionné au regard des dispositions fondamentales dont la Déclaration de 1789. Une broutille...
Les critiques pleuvent pourtant contre les angles morts du projet de loi. Comment ? De curieuses boîtes noires pourront avaler sans nuance des kilomètres de données de connexion ? Des sondes seront installées directement chez les fournisseurs d’accès ou n’importe quel service en ligne, alpaguant les métadonnées et autres « informations et documents » ? Un espionnage international à l’encadrement réduit à (presque) néant, pourra scruter notamment les données sensibles des communications d’avocats, journalistes, parlementaires, magistrats, etc. ? Pas sûr cependant qu'aux yeux de l’opinion publique, les reproches de ces droits de l'hommistes soient beaucoup plus impactants que cette horde de quatre jeunes armées de couteaux et GoPro.
Ce n’est en tout cas pas la première fois que des informations pourtant classées sont jetées en pâture dans les médias, au moment le plus heureux. Voilà près d’un an, presque jour pour jour, le ministre de l’Intérieur présentait officiellement son projet de loi contre le terrorisme. Mais quelques heures plus tôt, une information électrique tombait dans les colonnes du Parisien : l’arrestation d’un jeune Algérien, apprenti terroriste, qui, dans des messages déchiffrés adressés à un responsable d’Aqmi, aurait projeté de s’en prendre à quelques lieux forts symboliques : la Tour Eiffel, le musée du Louvre, le festival d’Avignon et autres centrales nucléaires... De fait, au détour de l’article, nos confrères indiquaient que l’intéressé était emprisonné depuis 2013.