Au cours d’une très longue interview de presque sept heures avec The Guardian, Edward Snowden est intervenu sur plusieurs sujets très peu discutés jusqu’à présent. Fonctionnement des équipes au sein de la NSA, vie quotidienne en Russie, encouragement des éditeurs à chiffrer systématiquement les communications, les informations et réactions ont été nombreuses.

La source d’informations est loin de se tarir
Même si Edward Snowden peut être certain que son nom restera dans l’histoire, son empreinte sera d'autant plus profonde qu'il n’en a pas fini avec les informations sur le fonctionnement de la NSA. C’est au lanceur d’alertes que l'on doit l’avalanche de révélations sur le monde du renseignements, les programmes de collecte de données (dont Prism fut le premier décrit), les relations troubles entre les grandes entreprises américaines et les agences de sécurité ou encore l’espionnage direct de 122 chefs d’États et l’aspiration complète des conversations téléphoniques aux Bahamas et en Afghanistan. Plusieurs journaux, dont The Guardian, The Washington Post, Der Spiegel puis The New York Times un peu plus tard, se sont fait une spécialité des articles explosifs dans ces domaines.
Le journal anglais The Guardian revient d’ailleurs sur nombre de ces thématiques dans une très longue interview d’Edward Snowden, dont un condensé d'environ quinze minutes est disponible en vidéo. Le lanceur d’alertes a encore de nombreuses informations à donner, notamment sur le fonctionnement de la NSA. Et ce qu’il a à en dire n’étonnera finalement plus personne, tant sur les capacités de l’agence à récupérer certaines informations que sur l’attitude des employés qui demeurent irrémédiablement… humains.
Les analystes de la NSA, ces humains si banals
Snowden indique en effet que lors d’une surveillance particulière, les analystes peuvent facilement tomber sur du contenu très sensible. C’est notamment le cas des photos et vidéos à caractère pornographique que les personnes peuvent s’envoyer. Ces contenus multimédia passent ainsi régulièrement devant les yeux des analystes, et c’est ici que les émotions humaines battent à plein régime.
Le lanceur d’alertes indique en effet que la NSA recrute régulièrement de jeunes personnes, dont l’âge oscille entre 18 et 22 ans. Comme les analystes plus anciens, les nouveaux venus peuvent se retrouver devant ces contenus très sensibles. À partir de là, les réactions varient, mais beaucoup aiment visionner les images ou les vidéos en fonction de leurs propres goûts. Travail d’équipe et relations professionnelles amicales oblige, certains n’hésitent pas non plus à interpeler leurs collègues. Snowden précise que des réunions peuvent prendre place devant un écran une fois que les chaises se sont tournées vers la source « d’amusement ».
Peu d’encadrement dans les tâches quotidiennes
Le fonctionnement peut prêter à sourire car il rappelle certains épisodes bien particuliers de la saison 5 de la série américaine The Good Wife. À ceci près qu’il ne s’agit plus de fiction mais de réalité, sans pour autant que cela soit étonnant : le travail à la NSA se fait finalement de la même manière que dans de nombreuses entreprises, la situation variant uniquement en fonction du « niveau de maturité des employés ».
En outre, Snowden pointe le vrai problème de cette situation, à savoir le manque d’encadrement qui rend possible cette attitude dans le travail. La NSA n’a pas réagi à l’article du Guardian, mais elle l’a fait suite à une demande d’Ars Technica : « La NSA est une organisation professionnelle de renseignement étranger avec des effectifs très bien entrainés, ce qui inclut des hommes et des femmes courageux et dévoués de nos forces armées. Comme nous l’avons déjà dit, l’agence n’a aucune tolérance pour les violations volontaires de nos autorités ou standards professionnels, et elle répondrait de manière appropriée à toute allégation crédible de mauvaise conduite ».
Pourtant, aux dires de Snowden, certains analystes se comportent ainsi comme s’il s’agissait de n’importe quel autre travail et perdent la notion de vie privée : les contenus circulant devant leurs yeux deviennent autant de sujets d’amusement potentiels. Et pour cause, selon lui, la surveillance du niveau d’équité ne semble pas en effet une priorité et il n’existerait même pas de moyen simple de faire remonter ce genre de comportement dans les tâches quotidiennes.
Il reste de gros efforts à faire pour chiffrer les communications
Edward Snowden est revenu également sur une thématique qui, cette fois, n’est pas neuve : le chiffrement des informations. Il appelle une nouvelle fois l’ensemble des éditeurs à mettre en place des solutions pour que les échanges d’informations ne se fassent plus en clair. Le cri est particulièrement lancé vers des catégories professionnelles qui ont besoin d’outils sécurisés pour communiquer, à commencer par les journalistes.
« L’un des effets secondaires malheureux du développement de ces technologies de surveillance est que le travail de journalisme est devenu immensément plus difficile qu’il ne l’a jamais été par le passé. Les journalistes doivent être particulièrement conscients que n’importe quelle sorte de signal réseau, de connexion, d’appareil capable de lire les plaques d’immatriculation quand ils se rendent à un rendez-vous, d’endroit où ils utilisent leur téléphone, d’échange d’emails avec une source […], est suffisant pour tout révéler » ajoute Snowden.
Le message ne concerne pas que les journalistes, même si sa position particulière l’a certainement sensibilité à ce domaine spécifique. Mais les médecins et les comptables devraient eux aussi s’inquiéter de la sécurité des informations de leurs patients et clients. Car, pour lui, les choses sont on ne peut plus claires : « Les révélations de l’année dernière nous ont montré la preuve irréfutable que les communications non chiffrées sur Internet n’étaient plus sûres ».
Une vie solitaire en Russie
Le lanceur d’alertes ne parle que peu souvent de son quotidien en Russie depuis que le pays lui a offert un asile politique temporaire d’un an (qui devrait d’ailleurs être renouvelé ce mois-ci). Depuis qu’il réside à Moscou, Snowden indique que sa vie est particulièrement solitaire, l’ancien agent prestataire travaillant jusque tard devant son écran pour réorienter ses compétences techniques vers d’autres activités. Il s’agit le plus souvent du développement de nouveaux outils de sécurité, ce qui là encore n’étonnera personne.
Après avoir réfuté une nouvelle fois les accusations selon lesquelles il serait un espion russe ou même aurait vendu des secrets d’État américains au gouvernement de Vladimir Poutine, Snowden reconnait qu’il y a de grandes chances pour qu’il soit surveillé de près par le pays qui l’héberge… et par les États-Unis eux-mêmes, qui savent très certainement où il se trouve et ce qu’il fait. Il indique vivre sur ses économies et l’argent qu’il reçoit de certaines conférences ou de prix qu’il remporte.
L’impossibilité de revenir au pays
Enfin, interrogé sur la possibilité de revenir aux États-Unis, Snowden a estimé que c’était actuellement impossible. Le lanceur d’alertes semble certain que le procès ne serait en aucun cas équitable et il préfère attendre la promesse d'un jury à douze personnes, formation qui permettrait de limiter les risques. Il n’hésite cependant pas à dire que s’il devait être condamné et/ou placé à Guantanamo, couvert de chaines, il « pourrait vivre avec ».
Ce n’est pas la première fois que Snowden signale son impossibilité de retour. Son avocat avait également insisté sur ce point, argumentant sur le paysage juridique des États-Unis actuellement. Rien pour l’instant ne permet d’affirmer que le gouvernement Obama change d’attitude : Snowden est toujours officiellement considéré comme un traître, et le mot revient d’ailleurs chez certains personnages politiques, voire chefs d’entreprises, à l’instar de Bill Gates. D’autres, tels qu’Al Gore, estiment cependant que le lanceur d’alertes a rendu un immense service aux États-Unis.