Depuis plusieurs années, certains fournisseurs d'accès à Internet n'ont qu'une idée en tête : forcer les sites Internet à les rémunérer (surtout les gros), ceci sous la menace de réduire les débits et donc diminuer la qualité du service attendu. Si nous sommes encore loin d'une telle situation aujourd'hui, selon le patron de Netflix, il s'agit bien de l'objectif du géant américain Comcast.
Ces dernières années, de nombreux sites et services Internet ont connu des ralentissements importants, ceci dans le monde entier. Les sites de téléchargement et de streaming vidéo, qu'ils soient légaux ou non, ont été les principales cibles des FAI. De YouTube à Dailymotion, en passant par feux Megaupload et Megavideo, tous ont connu (et connaissent encore) des problèmes d'accès, et pas uniquement en soirée lorsque la consommation est la plus importante.
Une fusion Comcast/Time Warner Cable qui dérange
Outre-Atlantique, le célèbre Netflix, qui capte une part gigantesque du trafic Internet, est lui aussi touché par le phénomène. L'opérateur Comcast, qui détient une très large part du marché Internet aux États-Unis, n'a ainsi pas hésité à réduire les débits issus de Netflix afin de forcer ce dernier à signer un accord financier, ce qui fut fait en février dernier. Officiellement, la neutralité du Net n'est pas entachée, mais l'accord ne trompe personne. La nouvelle est surtout arrivée alors que deux évènements majeurs ont lieu aux États-Unis : le premier concerne la FCC (l'équivalent de l'ARCEP), aux pouvoirs amoindris et qui pourrait laisser les opérateurs différencier leurs offres et négocier avec chaque site, le second est la fusion entre Comcast et Time Warner Cable.
Ensemble, Comcast et Time Warner Cable deviendront un géant du Net outre-Atlantique une fois la fusion finalisée. Aujourd'hui, dans de nombreux territoires du pays, Comcast et Time Warner sont déjà en situation de monopole. Fusionnés, les deux opérateurs n'en seront donc que plus puissants et renforceront leur monopole à une plus large part du territoire. De quoi surtout creuser le rapport de force avec les sites Internet. Une position problématique pour Reed Hastings, le PDG de Netflix, qui craint une mainmise totale de Comcast sur tout le web.
Un peu aujourd'hui, combien demain ?
Lors d'une récente conférence, Hastings a ainsi abordé directement ce sujet épineux. Selon lui, la neutralité du Net ne serait pas en danger s'il existait une véritable concurrence entre les opérateurs aux États-Unis. La situation actuelle est toutefois l'opposée d'une réelle concurrence, et si Comcast ne devrait pas faire exploser ses prix (mais plutôt limiter ses quotas), il pourrait surtout profiter de la situation pour faire payer non pas ses clients, mais les sites Internet.
« S'ils vous font payer un peu maintenant, ils vous feront payer de plus en plus ensuite » a ainsi déclaré Reed Hastings, avant de rajouter : « Ils veulent que tout Internet les paye dès que leurs abonnés vont sur Internet. » S'il a accepté de payer Comcast afin d'obtenir de bons débits peu importe la journée (ce qui a été rapidement remarqué), Netflix craint donc de devoir ouvrir un peu plus encore son portefeuille à l'avenir. Afin de trouver des alliés, Hastings brandit donc la crainte que tous les sites soient à terme touchés par cette situation. Les très grands sites, les plus consommateurs de trafic, ont en tout cas effectivement des chances d'être concernés tôt ou tard par ce genre d'accord financier en faveur des FAI.
La FCC a la réponse
Le mois dernier, 149 géants du Net ont d'ailleurs écrit une lettre ouverte à la FCC afin qu'Internet soit bien « ouvert et libre ». Parmi ces grands noms, on retrouvait des mastodontes que sont Facebook, Amazon, Google, eBay, Microsoft, Yahoo, Twitter, Dropbox, LinkedIn et bien entendu Netflix (mais pas Apple ni AOL). Des sociétés importantes mais moins imposantes se sont toutefois jointes à la mêlée, dont DuckDuckGo, KickStarter, Digg, Reddit, etc.
Reed Hastings a pour sa part indiqué qu'il préférait éviter une intervention du gouvernement dans ce débat houleux. L'idéal, selon lui, serait tout simplement que les opérateurs Internet intègrent la neutralité du Net dans leurs conditions de service. Sauf qu'une telle intégration est loin d'être arrivée regrette-t-il. En tout état de cause, la solution se trouve dans les mains de la FCC et donc du gouvernement. Selon sa vision de la neutralité et éventuellement ses pouvoirs de sanction, les rapports financiers entre les opérateurs et les grands sites Internet pourraient changer dans un avenir proche.
Le cas des petits sites est de plus sur toutes les lèvres. En effet, les géants du Net pourraient profiter de la situation et mettre la main à la poche pour obtenir non pas de bons débits, mais de meilleurs débits que leurs concurrents, qui ne pourront répliquer faute d'un poids financier suffisant. Le scénario d'un monopole de FAI et de grands sites Internet pourrait ainsi avoir lieu, empêchant ainsi tout nouvel acteur de réellement émerger, faute de performances suffisantes, notamment lors des pics de trafic.
« Il ne peut pas y en avoir un qui paie et l'autre qui ne paie rien »
Rappelons qu'en France, Maxime Lombardini, le directeur général d'Iliad (Free), n'avait pas caché en octobre dernier qu'il suivait en quelque sorte la même ligne que Comcast. « Il faut une égalité de traitement entre les grands acteurs, essentiellement américains, et les opérateurs, aussi bien les éditeurs de chaines que les opérateurs télécoms » avait-il ainsi expliqué, sous-entendant que les sites devaient aussi participer au financement des réseaux.
Un peu plus loin, il explicitait d'ailleurs ses pensées : « Quand on a la même chose avec YouTube ou avec d'autres, il y a zéro échange économique. Si on veut un réseau administré proprement dans la durée, il ne peut pas y en avoir un qui paie et l'autre qui ne paie rien et qui se promène comme il veut. » S'il vise ici surtout les éditeurs de contenus audiovisuels, à la forte consommation de bande-passante, la logique reste la même, à savoir de partager les gains engendrés par les internautes. Les services comme YouTube et Netflix sont ainsi en première ligne.