Grâce à Altice et Netflix, l'Autorité de la concurrence laisse plus de libertés à Canal+

Grâce à Altice et Netflix, l’Autorité de la concurrence laisse plus de libertés à Canal+

Drahi, c'est la Champions League

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Kevin Hottot

Publié dans

Société numérique

23/06/2017 8 minutes
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Grâce à Altice et Netflix, l'Autorité de la concurrence laisse plus de libertés à Canal+

Vivendi et le Groupe Canal+ ont vu leurs engagements pris auprès de l'Autorité de la concurrence lors des rachats de TPS et des chaînes Direct 8 et Direct Star s'alléger. Le régulateur a en effet décidé de tenir compte du nouvel environnement concurrentiel pour lâcher un peu la bride.

En 2012, l'Autorité de la concurrence imposait 33 mesures pour une période de cinq ans suite au rachat de TPS par Vivendi en 2006, afin de préserver la concurrence dans le domaine de la télévision payante. Auparavant, le groupe était tenu de respecter 59 engagements divers dans le même but. 

En 2014, d'autres engagements sont imposés au Groupe Canal + après l'acquisition des chaînes gratuites Direct 8 et Direct Star, notamment en vue de préserver la concurrence en matière de diffusion de films, à la fois ceux issus de StudioCanal et ceux provenant d'autres catalogues. 

Aujourd'hui, le régulateur s'est à nouveau penché sur ces mesures, afin de vérifier si elles sont toujours pertinentes au vu des récents changements du marché, dont l'arrivée de Netflix dans l'Hexagone fin 2014.

Des contraintes parfois délicates pour Canal

En ce qui concerne la télévision payante, l'Autorité de la concurrence poursuivait plusieurs objectifs : 

  • Favoriser la diversité des acteurs du secteur de la télévision payante, afin que puisse émerger une offre alternative à celle du Groupe Canal+ (GCP), accessible pour les consommateurs.
  • Éviter que GCP préempte les nouvelles formes de consommation de contenus que représentent la vidéo à la demande à l'acte (VàDA) et la vidéo à la demande par abonnement (VàDA).
  • Préserver le système du financement du cinéma français, structuré autour d'un acteur verticalement intégré (éditeur d'une chaîne premium/distributeur) qui était alors le principal contributeur au financement de la création française.

Pour les remplir, elle a imposé à GCP plusieurs contraintes. Il était notamment question de limiter les achats de contenus par l'entreprise, en limitant à trois ans la durée des contrats-cadres signés avec les studios américains ou l'interdiction d'en conclure avec les studios français. Concernant la gestion des chaînes payantes, GCP devait s'assurer de ne pas diffuser de façon exclusive les chaînes détenant des droits dits premium.

Enfin, concernant la vidéo à la demande, par abonnement ou non,  GCP devait s'abstenir de coupler ses achats de droits pour la VàD(A) avec ceux pour la diffusion linéaire en télévision payante, tout en acceptant de céder à tout opérateur intéressé les droits de VàD(A) de StudioCanal .

Un changement de paysage

Canal+ se retrouve encore aujourd'hui en posture de quasi-monopsone, en ce qui concerne l'acquisition de droits de diffusion de films. Un point que l'autorité reconnait, mais aussi Jean des Forêts, producteur du film Grave, lors d'une rencontre CNC-SACD sur le film de genre, tenue le 25 avril dernier.

« Monter un film de genre en France, nous serons tous d'accord, c'est une prévente Canal (éventuellement Canal et Ciné+), un minimum garanti d'un distributeur à l'étranger, un distributeur qui vient faire de la figuration (qui valide que Canal puisse rentrer pour respecter la chronologie des médias) et c'est tout. »

Toutefois, de nouveaux acteurs commencent à pointer le bout de leur nez. Sur la diffusion en linéaire, Altice s'est lancée dans une stratégie plutôt offensive. La partie la plus visible concerne les droits de diffusion pour le sport, avec la Ligue des Champions en tête, mais aussi avec des contrats de distribution exclusive pour des chaînes comme Discovery Channel ou 13éme Rue

Sur la vidéo à la demande, ce sont surtout Amazon et Netflix qui retiennent l'attention de l'Autorité de la concurrence. Le régulateur note que ces « opérateurs de dimension mondiale, sont désormais en mesure de mettre en œuvre des synergies entre les différents marchés géographiques sur lesquels ils opèrent ». Il seraient par ailleurs à même de « concurrencer fortement GCP sur les marchés des services non-linéaires, en particulier en matière d'acquisition de contenus américains ».

Du mou pour Canal

L'Autorité a donc décidé de donner un peu plus de latitude à Canal pour faire face à cette nouvelle concurrence. Le groupe n'a désormais plus aucune restriction concernant l'achat de contenus provenant des studios américains. Les règles subsistent toutefois pour les films français. 

Du côté de la distribution de chaînes payantes, Altice ayant montré sa capacité à s'adjuger des chaînes en exclusivité, GCP peut désormais en faire autant. Toutefois, si un distributeur demande à Canal de pouvoir commercialiser lui aussi ces chaînes, la filiale de Vivendi devra obligatoirement accéder à cette requête. 

L'Adlc a aussi décidé de lever toutes les contraintes sur les chaînes Ciné+, que Canal pourra désormais choisir de ne distribuer que via ses bouquets maison. Un changement permis par « l'attractivité grandissante d'OCS » et l'arrivée prochaine de SFR Studio. 

Enfin, concernant la VàD et la VàDA, l'injection obligeant Canal à signer des contrats distincts de ceux conclus pour la diffusion linéaire, est complètement levée pour les films américains. Le groupe peut donc désormais s'assurer de maîtriser toute la chronologie de diffusion d'une œuvre de ce type. Les contraintes actuelles restent valables pour les films français.

Le cas de la télévision gratuite 

Dans le domaine de la télévision gratuite, l'Autorité de la concurrence avait également soumis GCP à plusieurs contraintes, suite à l'acquisition de Direct8 et Direct Star. Là encore, le régulateur poursuivait plusieurs objectifs : 

  • Limiter les acquisitions de droits de films et de séries, « de façon à éviter que la puissance d'achat de GCP ne lui permette d'évincer les chaînes gratuites concurrentes des marchés d'acquisition de ces droits ».
  • Limiter les acquisitions, par C8 et CStar, de films de catalogue auprès de StudioCanal afin que ce catalogue reste également à disposition des concurrents.
  • Imposer une procédure de cession transparente et non discriminatoire des droits de diffusion en clair des événements sportifs d'importance majeure détenus par GCP.

Par exemple, GCP s'était engagé à ne pratiquer « aucune forme de couplage, de subordination, d'avantage ou de contrepartie » entre les acquisitions de droits pour les chaînes payantes de groupe, et pour les chaines gratuites. Ce afin d'éviter que la puissance financière de Canal+ ne profite trop à ses canaux en clair. 

En ce qui concerne StudioCanal, Les chaînes gratuites du groupe ne pouvaient pas préempter l'ensemble de son catalogue, afin de laisser un peu de champ à la concurrence. Direct 8 et Direct Star ne pouvaient ainsi pas capter plus de 36 % des œuvres en nombre et 41 % en valeur.  Enfin, pour la retransmission de droits sportifs, si Canal+ devait céder des droits à des chaînes en clair, cela devait passer par un appel d'offres mettant en concurrence tous les diffuseurs intéressés. 

Altice change la donne

Une fois de plus, ce sont les velléités d'Altice qui ont fait bouger les lignes. L'autorité affirme ainsi que le groupe de Patrick Drahi « met en œuvre une stratégie globale ambitieuse et offensive de convergence entre ses activités de FAI, d'une part, et d'éditeur et de distributeur de télévision payante et gratuite, d'autre part ». 

En soufflant un contrat-cadre avec NBCUniversal, au nez et la barbe de Canal, et en s'adjugeant les droits de diffusion de la Premiere League et de la Ligue des Champions, le groupe néerlandais s'est fait remarquer par sa « stratégie volontariste d'acquisition de contenus cinématographiques accompagnée  d'une percée remarquable d'Altice sur les marchés d'acquisition de droits sportifs ».

Ajoutez à cela l'obtention des droits des chaînes Discovery ou NBCUniversal, le lancement de la chaîne SFR Studio, et la prise de contrôle de Numéro 23, encore soumise à l'approbation du CSA. Vous obtenez alors les contours d'une offensive de taille, menée par un nouvel acteur aux moyens conséquents, et capable de faire remuer la hiérarchie du secteur. 

Des barrières se lèvent

Au vu de cette nouvelle situation, l'Autorité de la concurrence a décidé d'entraver moins sévèrement les marges de manœuvre de C8 et de CStar. Ainsi, le régulateur a accédé à la demande de l'entreprise, visant à lui permettre de conclure des contrats cadres avec deux majors au lieu d'une seule. Les achats des chaînes gratuites auprès de StudioCanal peuvent quant à eux désormais atteindre 50 % du catalogue en nombre comme en valeur. 

Pour les évènements sportifs, en sachant que la pression concurrentielle s'est nettement accrue avec les assauts d'Altice, l'Adlc a choisi de lever toutes les restrictions concernant la cession de droits aux chaînes gratuites. Ainsi, pour diffuser un match de football en clair, Canal n'aura plus besoin de faire passer un appel d'offres en espérant que l'une de ses filiales le remporte. 

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Écrit par Kevin Hottot

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Sommaire de l'article

Introduction

Des contraintes parfois délicates pour Canal

Un changement de paysage

Du mou pour Canal

Le cas de la télévision gratuite 

Altice change la donne

Des barrières se lèvent

Commentaires (5)


Je comprends pas ce paragraphe :



Du côté de la distribution de chaînes payantes, Altice ayant montré sa

capacité à s’adjuger des chaînes en exclusivité, GCP peut désormais en

faire autant. Toutefois, si un distributeur demande à Canal de pouvoir

commercialiser lui aussi ces chaînes, la filiale de Vivendi devra

obligatoirement accéder à cette requête.





Canal peut s’adjuger un exclusivité comme Altice mais doit l’abandonner si un distributeur lui demande la possibilité de la commercialiser. Est-ce encore une exclusivité ?


La capitalisme (de marché) fonctionne, l’Adllc ne sert à rien.



Utilisation pertinente du terme technique « monopsone » (rarement utilisé chez les commentateurs économiques) <img data-src=" />


Prenons un exemple simple.



Canal a l’exclu pour la distribution de Ciné+

Orange veut pouvoir proposer un bouquet TV avec Ciné +

Orange fait une demande pour pouvoir diffuser cette chaîne

Canal ne peut pas répondre “non” mais doit répondre “ok faites moi une proposition raisonnable et on discute”.


Canal + est pas encore mort?



C’est des pro pour s’auto tirer des&nbsp; balles dans les pieds.


C’est exactement ce qui se passe au Royaume-Uni avec la chaine Sky Atlantic (qui a toutes les exclusivités HBO et Showtime) : Quasiment toutes les séries de Sky passaient sur Sky1, mais comme l’Ofcom a mis en place des règles qui forcent plus ou moins la diffusion des chaines de Sky sur les réseaux concurrents, Sky a créé une nouvelle chaine (Sky Atlantic, bien entendu incluse dans le bouquet de base de Sky) et mis toutes le nouvelles séries blockbuster américaines dessus. Et Sky Atlantic n’est disponible nulle-part ailleurs parce que Sky n’arrive pas à s’entendre avec les autres opérateurs sur le prix de diffusion (comme par hasard).