La Commission européenne avertit la France qu'elle ne peut pas aller au-delà de ses règlements

Le Conseil constitutionnel en embuscade
Droit 4 min
La Commission européenne avertit la France qu'elle ne peut pas aller au-delà de ses règlements
Crédits : mactrunk/iStock

Emmanuel Macron voudrait pouvoir bannir les cyberharceleurs sur les réseaux sociaux sans passer par un juge. Cette annonce soulève plusieurs problématiques techniques et légales, notamment au niveau européen et sur la question de l’anonymat. 

Interrogé par 01net au sujet des propos tenus par Emmanuel Macron, qui voudrait bannir – sans juge – les cyberharceleurs des réseaux sociaux, Alexandre Archambault, avocat spécialiste du numérique, rappelle que la France ne peut pas « s’asseoir sur les fondamentaux d’État de droit » : 

« Si les États membres veulent ajouter des nouvelles obligations supplémentaires à celles prévues par le DSA, ils peuvent le demander, mais il faut un consensus au niveau européen. Elles ne doivent pas être incluses dans des lois nationales qui vont revenir à fragmenter l’application du DSA. Si la France le fait, qu’est-ce qui empêchera demain Victor Orban ou la Pologne de demander à un hébergeur de retirer des contenus LGBT ? »

La France va se heurter à l’Europe

La Commission européenne a déjà rappelé que les États-membres ne devaient pas, sur un « domaine réservé » déjà traité par Bruxelles, édicter des règles plus strictes. Ce que Thierry Breton rappelait récemment, en réponse à une question de l'eurodéputé (LR) Geoffroy Didier. La réponse est arrivée avant la volonté d’Emmanuel Macron de se passer d’un juge, mais après le projet de loi qui prévoit de bannir un cyberharceleur. 

L'eurodéputé l'interrogeait en effet sur le projet de transposition, en droit français, des règlements sur les marchés numériques (Digital Markets Act – DMA) et les services numériques (Digital Services Act – DSA), alors que « seule la Commission est habilitée à prendre des mesures coercitives à l’encontre des grandes plateformes en ligne, conformément aux dispositions des règlements européens » : 

« Comment la Commission envisage-t-elle de se saisir de la question de la proposition française qui ajoute aux réglementations européennes des normes nationales plus exigeantes qui n’auraient pas été préalablement négociées avec les institutions européennes ? »

Le commissaire européen au Marché intérieur lui a répondu de façon « particulièrement cinglante », précise 01Net : 

« La Commission est prête à mettre en œuvre des moyens coercitifs pour empêcher toute initiative nationale. Les États membres devraient s’abstenir d’adopter des législations nationales qui feraient double emploi avec ces règlements ou qui créeraient des dispositions plus strictes ou plus détaillées dans les domaines réglementaires concernés ».

Quid du Conseil constitutionnel ?

Au-delà du rempart européen, le projet devra aussi passer le filtre du Conseil constitutionnel, qui se penchera sur le sujet une fois la loi adoptée. Et comme le rappelle maitre Alexandre Lazarègue à Sud Ouest, « cela pose d’abord un problème par rapport à la liberté fondamentale du droit à la communication, qui est un principe constitutionnel. Or, dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel protège ce principe avec beaucoup de force. Donc il y aura forcément des débats autour de ce point ».

L’avocat spécialisé dans le numérique s’exprimait sur le projet de loi dévoilé en avril dernier, avant qu’Emmanuel Macron souhaite se passer d’un juge. Que ce soit au Conseil constitutionnel ou au niveau de l’Europe, la question reste néanmoins d’actualité, et se posera d’autant plus sans le passage par un juge. 

Comment agir ?

Comme le rappelle service-public.fr, le cyberharcèlement est un délit, c’est-à-dire un « acte interdit par la loi et puni d'une amende et/ou d'une peine d'emprisonnement inférieure à 10 ans » :

« Si vous êtes victime de ce type de harcèlement, vous pouvez demander le retrait des publications à leur auteur ou au responsable du support électronique. Vous pouvez aussi faire un signalement en ligne à la police ou à la gendarmerie ou porter plainte. Ce délit est sanctionné par des peines d'amendes et/ou de prison. Les sanctions sont plus graves si la victime a moins de 15 ans ».

Reste la question de la faisabilité pour les plateformes de bannir les cyberharceleurs. Les réquisitions judiciaires permettent au mieux (mais pas tout le temps) d'en retrouver certains, voire de les faire condamner, mais il est plus difficile, pour ne pas dire impossible, de les empêcher de créer de nouveaux comptes.

En effet, un blocage par adresse IP n’est pas possible pour plusieurs raisons : on ne saurait bloquer tout un foyer, les abonnés n’ont pas d'adresse IP fixe, il existe des point d'accès en libre-service, etc. Depuis plusieurs années, un serpent de mer revient régulièrement : instaurer une obligation de vérification d’identité à l’entrée des plateformes.

La question de l’anonymat va forcément se télescoper avec ce projet de loi, que le bannissement passe ou non par un juge. « Emmanuel Macron avait dit qu’il reviendrait sur ce principe d’anonymat, mais il ne l’a pas fait, car cette interdiction se heurte à la liberté d’expression. Et c’est vrai que l’anonymat doit aussi dans certains cas être protégé, notamment pour les lanceurs d’alerte », rappelle Alexandre Lazarègue.

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