Emmanuel Macron a déclaré au journaliste et youtubeur Hugo Travers (dit HugoDécrypte) qu'il voudrait pouvoir « éloigner en ligne » les cyberharceleurs, en « les interdisant de réseaux sociaux » pendant 6 à 12 mois, sans avoir à passer par la justice, relève BFMTech&Co.
Du seul juge aux « autorités compétentes »
« Ce qu’on propose, c’est que sur la base d’une procédure graduée, le juge puisse tout à fait le faire [suspendre un compte, ndlr], mais que [...] quand les autorités compétentes le signalent aux réseaux, ils puissent aussi le décider. », explique le Président de la république.
« Une obligation de suspension en dehors de toute décision judiciaire sur simple notification risque de ne jamais passer le filtre constitutionnel » tempère Alexandre Archambault, avocat en droit numérique, auprès de Tech&Co. Il évoque en outre un risque de censure au niveau européen :
« La Commission européenne a rappelé que toute disposition nationale venant à créer à la charge des intermédiaires techniques [les plateformes, ndlr] une obligation supplémentaire [à la réglementation européenne, ndlr] était à proscrire ».
Validé au Sénat, le projet de loi arrive à l’Assemblée nationale
Interviewé sur Sud Radio, Jean-Noël Barrot, secrétaire d’État au numérique, est quant à lui revenu sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, qui sera débattu dans les prochaines semaines à l’Assemblée nationale.
Il a rappelé qu’en cas de décision d’interdiction de réseaux sociaux, ce sera aux plateformes de « prendre tous les moyens nécessaires pour veiller à ce que la personne condamnée ne puisse pas se réinscrire sur le réseau social en question, en utilisant des données de connexion ».
Dans la version actuelle du projet de loi, adoptée à l’unanimité par le Sénat en première lecture, il est indiqué que « le juge pourra prononcer à leur encontre [des personnes condamnées pour haine en ligne, cyber-harcèlement ou d'autres infractions graves (pédopornographie, proxénétisme...), ndlr] une peine complémentaire de suspension ou "peine de bannissement" des réseaux sociaux pour six mois (voire un an en cas de récidive). Le réseau social qui ne bloquerait pas le compte suspendu encourra une amende de 75 000 euros ». Il est encore possible de le modifier lors de son passage à l’Assemblée nationale.
Prise en charge par la Police et lenteur de la justice
Or, souligne BFMTech&Co, en pratique, un tel système comporte de nombreux trous dans la raquette, par exemple pour un internaute se connectant depuis un réseau qu’il n’est pas le seul à utiliser, ou tout simplement depuis le réseau mobile (qui mutualise les adresses IP).
Quand bien même le texte serait adopté, et passerait les fourches caudines constitutionnelles et européennes, les victimes devraient composer avec la prise en charge par les forces de l'ordre et la lenteur de la Justice, « avant de pouvoir, éventuellement, se débarrasser de leurs cyberharceleurs », concluent nos confrères.
Dans d'autres affaires, des associations de défenses des victimes de cyberharcèlement relèvent que les lois françaises sont déjà bien écrites, mais que le problème réside dans leur application.
À France Info, Rachel-Flore Pardo, cofondatrice de l’association Stop Fisha contre le cybersexisme et les cyberviolences sexistes et sexuelles, explique que « la majorité des cyberharceleurs ne se retrouvent pas devant la Justice, car le traitement judiciaire de ces affaires est défaillant ».
Elle ajoute que « c'est une mesure qui va dans le bon sens, car elle envoie un message positif aux victimes, auxquelles on conseille souvent de quitter les réseaux sociaux, ce qui fait peser sur elles la responsabilité de l'agression. C'est à l'agresseur de quitter les réseaux sociaux, pas à elles ».
Le cas de Hoshi
La chanteuse Hoshi, qui avait reçu 5 000 messages de menaces – y compris de viol, d'agression et de mort – pour avoir embrassé une femme lors des Victoires de la Musique 2020, avait ainsi dû attendre trois ans pour voir l'un de ses très nombreux cyberharceleurs être condamné, en juin dernier, à 8 mois de prison, dont 2 fermes.
Interrogée dimanche dernier sur France Inter, elle explique avoir de nouveau porté plainte contre un nouveau cyberharceleur qui, depuis 4 mois, menace de la tuer, et déplore une Justice « trop longue » :
« J'ai son visage, j'ai son adresse, j'ai trouvé moi-même en fait. J'ai fait l'enquête moi-même ce coup-là. La liste des messages qu'il m'envoie est longue et la justice attend. C'est beaucoup trop long ».