Le gendarme des écoutes soucieux de la surveillance des militants radicaux

Pressure on people, people on streets
Droit 7 min
Le gendarme des écoutes soucieux de la surveillance des militants radicaux
Crédits : peterhowell/iStock

Next INpact était jeudi à la présentation du rapport de la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement. L’occasion de revenir sur deux points importants du contrôle du renseignement : la surveillance des mouvements écologistes et la possibilité de contrôler les nouvelles formes de renseignement.

La Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR) est une petite autorité administrative indépendante : 17 agents seulement avec, à sa tête, un collège composé de parlementaires et de hauts magistrats.

Son rôle premier est de donner un avis sur toutes les demandes d’interceptions administratives et autres techniques de surveillance émanant des services de renseignement. Quand un service veut surveiller quelqu'un, il saisit le Premier Ministre. Matignon transmet cette demande à la CNCTR. chargée de rendre un avis. S’il est favorable, la surveillance peut débuter. S’il est défavorable, il existe des procédures pour passer outre, mais, jusqu’ici, « le Premier ministre n’a jamais outrepassé un avis défavorable de la CNCTR ».

Moins de personnes surveillées, mais plus intensément

En 2022, le nombre de personnes surveillées était de 20 958, soit un recul sensible de 9 % en un an : ce chiffre est le plus bas enregistré ces cinq dernières années. En contrepartie, les services concentrent leur surveillance : on surveille moins de monde, mais avec des techniques plus intrusives et en plus grand nombre : 89 502 demandes d'autorisation de surveillance en 2022, contre 87 588 en 2021, soit le plus haut niveau constaté depuis l'installation de la commission.

Bilan Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement

Si le chiffre diminue, c’est surtout en raison d'une « diminution du nombre de suspects surveillés au titre de la prévention du terrorisme : près de 1500 en moins » par rapport à l'an passé (-17 %). A contrario, l’espionnage en matière de contre-ingérence « représente désormais 20% du nombre total des demandes de surveillance, comme du nombre de personnes surveillées, soit une part nettement supérieure à celle constatée les huit années passées », effet logique de la guerre en Ukraine.

Tension sur la surveillance des militants radicaux

L’un des motifs de surveillance les plus contestés est celui prévu par le 5° de l’article 811-3. C’est la surveillance pour la prévention « des atteintes à la forme républicaine des institutions » (5-a), « des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous » (5-b) et « des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique » (5-c). Avec la crise des gilets jaunes, ce motif avait fortement augmenté. Les demandes pour ce motif 5° ont diminué de 22 %.

Ce motif est au cœur de débats importants entre la CNCTR et l’Intérieur. S’il diminue, le taux de refus est devenu plus important. En 2022, tous motifs confondus, la commission a rendu 629 avis défavorables à des demandes de surveillance, soit 1,6 % des avis rendus. Ce taux de refus est pour, la seconde année consécutive, en augmentation, alors qu’il ne cessait de baisser auparavant. Et selon nos informations, dans ces 629 refus, la moitié relève de ce motif 5°.

Comme l’avait indiqué La Lettre A, il y a actuellement des tensions entre l’Intérieur et Matignon sur la surveillance des militants radicaux. Gérald Darmanin veut taper fort contre les militants écologistes radicaux, ayant déjà annoncé vouloir éradiquer toute nouvelle ZAD. La Première ministre est plus prudente et reste attentive aux avis de la CNCTR.

Face au nombre de refus, la CNCTR a même établi en début d’année une doctrine sur la « surveillance des extrémismes violents ». L’objectif est d’être au clair avec les différents services concernés, sur la jurisprudence en la matière de la CNCTR : car si la DGSI pilote la lutte contre le terrorisme, celle sur le militantisme violent est fragmentée entre plusieurs services, ce qui rend le dialogue plus délicat. Une version simplifiée de cette doctrine a été publiée en annexe du rapport 2022.

Pour la commission, il ne s’agit de permettre « la surveillance technique d’individus ciblés à raison de leurs activités politiques ou syndicales ou de leur engagement dans des mobilisations sociales. Ainsi, l’adhésion à une idéologie, même la plus radicale, la défense d’une cause quelle qu’elle soit, ou la mise en œuvre de moyens de contestation pouvant être critiquables, ne peuvent fonder une technique de renseignement tant que les actions menées n’ont pas atteint un certain niveau de gravité et, le cas échéant, de violence ».

« Il s’agit d’entraver les actions violentes, et non de surveiller une activité militante », résume la CNCTR. Et comme indiqué par Serge Lasvignes, son président, « nous n’admettons pas le recours à une technique intrusive pour une simple levée de doute ». Seules les personnes dangereuses doivent être surveillées.

La question est délicate concernant les atteintes aux biens. Que faire quand certains mouvements quittent la pure désobéissance civile pour adopter des techniques de résistance plus proche du sabotage, comme Les soulèvements de la Terre, et quand ces groupes mélangent des militants d’horizons très divers ?

Si la CNCTR n’accepte pas une surveillance pour un simple jet de peinture à la porte d’un ministère, certaines atteintes aux biens peuvent être qualifiées de violence. Il faut que les dégradations soient sérieuses et montrent « la détermination de leur auteur et le risque d’une escalade dans la violence ». C’est le cas des incendies ou lorsque le préjudice économique, social et financier est « particulièrement important » et compromet « l’exercice normal d’une activité légale (destruction de machines, sabotages d’envergure, …) ». Dans tous les cas, il doit y avoir une gradation dans la technique de surveillance utilisée.

La nécessité de faire évoluer le contrôle

L’autre sujet qui préoccupe la CNCTR est le contrôle des captations. En plus de donner son avis sur les demandes de surveillances, la CNCTR peut les contrôler a posteriori. 121 contrôles sur pièces et sur place ont été réalisés en 2022, tous services confondus, contre 117 en 2021.

Historiquement, le contrôle des techniques de renseignement se concentrait sur les interceptions administratives (du nom donné aux écoutes téléphoniques effectuées à la demande des services de renseignement). Les écoutes étant concentrées en un point, au groupement interministériel de contrôle (GIC), la CNCTR y a un accès direct et immédiat. Or, avec le chiffrement, cette technique s’essouffle.

Les services ont donc plus souvent recours à des technologies de sonorisation, de captation et de « recueil de données informatiques ». Cette technologie, « de mieux en mieux maîtrisée par les services, recouvre, sous un intitulé unique, un large champ de possibilités, correspondant elles-mêmes à des degrés d’intrusion très différents ». Alors que la loi va autoriser l’activation à distance des appareils dans les procédures judiciaires, elle est déjà possible pour les écoutes administratives.

Or, ici, pas de centralisation : chaque grand service, DGSE et DGSI en tête, a son propre système. Si elle veut faire un contrôle, la CNCTR doit donc prendre rendez-vous, se rendre sur place et fouiller dans des données de plus en plus nombreuses et complexes.

La CNCTR réclame donc un accès direct et immédiat aux données. Cela nécessiterait une centralisation des données au GIC ou de créer un accès pour la CNCTR. Or ça, les services n’aiment pas trop. La commission a réclamé une modification de la loi. Sensibles à ses arguments, les sénateurs ont adopté un amendement à la loi de programmation militaire.

Reste à connaître la position du gouvernement et des députés. Mais pour Serge Lasvignes, la question est importante. Les techniques de recueil à distance se développant, il faut que sa commission puisse les contrôler : « Le sujet est sur le tapis et je ferai en sorte qu’il y reste ».

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