Alors que 24 % des internautes français de plus de 15 ans déclarent avoir consommé « au moins un bien culturel dématérialisé de façon illicite au cours des 12 derniers mois », le régulateur, née de la fusion du CSA et de l'Hadopi, lance un appel d'offres afin d'étudier les ressorts poussant 42 % de reconnaissant « des usages illicites réguliers » à utiliser un DNS alternatif, et 16 % un VPN.
La DICREA (Direction de la création) de l'Arcom vient de passer commande d'une « étude qualitative et quantitative sur le recours par les internautes à des solutions techniques de contournement des mesures de protection des contenus dématérialisés ».
Son objectif est de quantifier la part des internautes qui ont recours à des DNS alternatifs et des VPN, « en général et afin d’accéder à des contenus dématérialisés illicites », à identifier et hiérarchiser les motivations d’usage et la perception de ces pratiques (« notamment en matière de licéité »), et enfin à estimer le budget que les internautes y consacrent dans le cas de recours à des solutions payantes de VPN.
Dans un passage consacré au contexte de l'étude, l'Arcom explique que « le développement des mesures légales de protection des contenus dématérialisés, depuis la procédure de réponse graduée jusqu’aux blocages de services illicites (...) et, depuis le 1er janvier 2022, les sites de contenus sportifs, engendre en réaction des tentatives de contournement de celles-ci de la part des internautes, afin d’accéder à des contenus illicites en ligne » :
« Plusieurs solutions techniques peuvent être employées, dont deux en particulier ont pu être clairement identifiées dans les différentes études menées par l’Arcom, et précédemment par l’Hadopi sur le sujet : le recours à un VPN et la modification du DNS. »
Le recours aux VPN a doublé depuis 2019
L'Arcom relève par exemple qu'en réponse au blocage des sites de live streaming sportif illicite, « 12 % des consommateurs ayant ce type de pratiques confrontés à un blocage se sont tournés vers l’une ou l’autre de ces solutions pour contourner celui-ci : 10 % au moyen d’un VPN et 6 % en changeant leurs DNS ».
Le régulateur déplore en outre que le recours à un VPN, de sorte d'être géolocalisé à l'étranger, permette « d’échapper aux dispositifs français de détection des infractions mis en œuvre par les titulaires de droit sur les réseaux pair à pair », d'accéder aux sites web bloqués suite à une décision de justice, de « contourner la territorialité des droits [...] et lui faire accéder aux versions locales de services légaux (telle que la version américaine de Netflix par exemple) ».
L'Arcom note que le changement de DNS, consistant à recourir à un DNS tiers (ou DNS alternatif) en lieu et place de celui de son FAI, permet lui aussi d’accéder à des noms de domaine bloqués par certains fournisseurs d’accès français, dans le cadre par exemple d’une décision de justice obtenue par des ayants droit.
À défaut d'être massif, le recours à un VPN a doublé depuis 2019 : « 8 % des internautes français en sont équipés en 2022, soit deux fois plus qu’en 2019 (4 %) ». L'Arcom souligne que ce chiffre « a en particulier progressé auprès des consommateurs ayant des usages illicites : ils sont désormais 16 % à utiliser un VPN contre 9 % en 2019 » :
« Le changement de DNS suit une tendance similaire : en 2022, 20 % des internautes ont déjà modifié leurs réglages DNS (dont 5% qui le font régulièrement) contre 17 % en 2019. Cette pratique est encore plus marquée chez les consommateurs ayant des usages illicites qui sont 39% à y avoir eu recours, en progression de 6 points par rapport à 2019, et 42 % chez ceux ayant des usages illicites réguliers (+6 points également par rapport à 2019). »
24 % des internautes reconnaissent une « consommation illicite »
Dans son Baromètre de la consommation des biens culturels dématérialisés 2022, paru mi-décembre, l'Arcom relevait que « près d’un quart des internautes (24 %) déclare avoir consommé au moins un bien culturel dématérialisé de façon illicite au cours des 12 derniers mois, soit 27 % des consommateurs de biens culturels dématérialisés » :
« À périmètre constant, la consommation illicite affiche une baisse significative puisqu’elle recule de 4 points par rapport à l’année 2021. Cela concerne notamment la consommation illicite régulière qui perd 3 points. »

Cette baisse de la « consommation illicite » est cela dit inégalement répartie. Si les « pratiques contrefaisantes en matière de films et de séries reculent (moins de 6 points chacune) » et concernent désormais respectivement 23 % et 19 % des consommateurs, la « consommation illicite de musique » est quant à elle en « net recul », baissant de 6 points (13 %) « en lien avec la hausse des abonnements » aux plateformes de streaming.
A contrario, le streaming et le téléchargement direct restent les modes d’accès « les plus fréquemment utilisés pour la consommation illicite par respectivement 55 % des consommateurs illicites (+5 points à périmètre constant) et 42 % » :
« Ils sont suivis par le pair à pair qui concerne lui un peu plus d’un quart (27 %, taux stable) des internautes en 2022 et les réseaux sociaux (27 % également, -7 points à périmètre constant). Le recours à l’IPTV, que ce soit par un boîtier ou depuis une application, concerne plus d’un consommateur illicite sur cinq (21 %). »
Si « 27 % des consommateurs de produits culturels consomment au moins un produit de manière illicite », ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. Le taux d' « usage illicite » des livres (y compris audio) est ainsi de 24 % en 2022 (contre 21 % en 2021), celui des films et logiciels de 23 % (VS 29 et 25 %), de séries TV de 15 % (VS 25), de musique de 10 % (VS 15).

Le taux de « consommation illicite » de retransmissions sportives en direct chute quant à lui de 30 à 22 %, mais ne serait potentiellement pas représentatif de l'ensemble de l'année, l'étude menée par l'IFOP ayant été effectuée auprès d’un échantillon national représentatif de 5 000 internautes français âgés de 15 ans ou plus interrogé en ligne du 26 avril au 17 mai 2022, et donc bien avant la coupe du monde de football.
De nouvelles « pratiques illicites » pour accéder aux offres légales
L'Arcom relevait par ailleurs qu' « au-delà des modes d’accès illicites couramment utilisés, se développent de nouvelles pratiques illicites permettant d’accéder de manière détournée aux offres légales », et que ces « pratiques d’accès détourné à l’offre légale prennent de l’ampleur » :
« En 2022, 64 % des internautes ayant consommé au moins un bien culturel illégalement sur internet, l’ont fait à l’aide d’au moins un nouveau mode d’accès illicite à des services légaux, soit 15 % de l’ensemble des internautes français. »

L'Arcom regroupait ces pratiques en deux catégories principales :
- l’accès à des applications et des services légaux « crackés » ou copiés, téléchargés depuis des appstores alternatifs (34% des consommateurs illicites), le recours aux mods, soit des extensions aux codes d’une application permettant notamment d’outrepasser la procédure d’identification de l’utilisateur (27% des consommateurs illicites), les applications gratuites copiant les contenus des services légaux (26%) et les extensions de navigateur proposant un accès gratuit et sans publicité aux offres légales (21%) ;
- les méthodes liées aux détournements de compte, telles que l’achat de compte tiers (20%) ou l’utilisation de cookies d’autres utilisateurs obtenus grâce à des extensions (18%).
Arcom CH. pirates pour une « phase d’observation ethnologique »
Le marché passé par l'Arcom se décompose en deux lots : une phase qualitative, une seconde quantitative. La première comprendra « 3 à 6 entretiens individuels semi-directifs de 45 minutes à une heure maximum », effectués « à domicile, avec une phase d’observation ethnologique, en visioconférence, par téléphone ou autre ».
L'Arcom demande aux postulants de détailler dans leurs offres les « critères de recrutement des participants » qu’ils recommandent, mais cible clairement des « consommateurs illicites » :
« La phase qualitative s’adresse à des participants ayant modifié leurs DNS et ayant tous des pratiques régulières (la fréquence est à préciser par le titulaire) de recours aux VPN afin de contourner les blocages de sites contrefaisants, la procédure de réponse graduée, et le géoblocage des services légaux en raison de la territorialité des droits. »
La phase d’étude quantitative, de son côté, sera conduite en ligne auprès d'un échantillon représentatif des internautes de 15 ans et plus, devra couvrir le territoire national, et son questionnaire ne pas dépasser 15 minutes :
« L’échantillon doit comporter une base suffisante d’utilisateurs de VPN et de DNS alternatifs (minimum 200 utilisateurs), pour permettre des analyses fines et tris croisés selon le profil et le type de services et plateformes utilisés. Si possible, l’échantillon devra comporter une base suffisante d’utilisateurs payants de VPN. »
Quid des risques légaux ou techniques liées à ces pratiques ?
L'appel d'offres précise que les auteurs de l'étude devront la rendre dans un délai global de 20 semaines à compter de la notification du marché, sous la forme d'un « rapport complet des résultats sous format PowerPoint », doublé d'un « support de présentation orale complet d’environ 35 pages sous format PowerPoint », et d'une « synthèse des résultats sous format Word, de 2 à 4 pages environ, permettant une analyse globale des résultats de l’étude ».
Les données brutes de la phase d’étude quantitative, quant à elles, pourront être remises « sous format type Excel, CSV ou Libre Office ».
L'étude devra, « en particulier », identifier, mesurer et comprendre :
- les taux de pénétration du recours aux VPN et DNS alternatifs (de manière générale, à des fins de consommation de contenus dématérialisés sur des « services illicites » mais également de « services légaux géobloqués en France ») ;
- les motivations de recours à ces outils (par exemple : la confrontation directe à un blocage ou la réception d’une recommandation de l’Arcom) ;
- l’ancienneté de ces pratiques, notamment au regard de l’évolution du cadre légal depuis le 1ᵉʳ janvier 2022 ;
- les services les plus utilisés pour les VPN (CyberGhost, NordVPN, etc.) et pour les DNS alternatifs (DNS Google, CloudFlare, etc.) ;
- la notoriété de ces services ;
- les autres stratégies mises en place pour contourner les protections ;
- les freins à la consommation licite.
L'étude devra également étudier le recours aux outils payants de type VPN, la motivation de ce choix et les avantages perçus de ces outils. Elle devra en outre évaluer le niveau de connaissance et la perception des utilisateurs d’outils de contournement vis-à-vis des règles en matière de droit d’auteur et de protection des contenus, ainsi que des risques légaux ou techniques liées à ces pratiques.
Les postulants ont jusqu'au 22 février pour préparer, et envoyer, leurs offres de services.