Virement instantané : bientôt la gratuité pour tous ?

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Economie 8 min
Virement instantané : bientôt la gratuité pour tous ?
Crédits : Christian Dubovan/Unsplash

Cinq ans après le lancement du virement instantané, la Commission européenne veut en accélérer l’adoption. Retour sur la mise en place d’un système de paiement pensé pour les usages numériques à l’échelle européenne. 

Le 26 octobre 2022, la Commission européenne adoptait une proposition législative pour accélérer le passage au virement instantané en Europe. Comparé au schéma de virement classique (SEPA Credit Transfer, SCT), effectué en un à trois jours ouvrés, le schéma SEPA Instant Credit Transfer (SCT Inst) doit permettre de réaliser des paiements en dix secondes, 24 heures sur 24, sept jours sur sept, dans la limite de 100 000 euros. Si le dispositif est disponible depuis fin 2017, pourtant, seulement 11 % de l’ensemble des virements réalisés au sein de l’Union l’avaient été de manière instantanée début 2022.

En cause : des différences de pratiques de paiement selon les pays, mais aussi de stratégie d’adoption et de tarification selon les établissements. En France, par exemple, si le virement instantané (Instant Payment, IP) est proposé gratuitement par la plupart des néobanques et des acteurs numériques, les établissements traditionnels s’y sont mis en ordre et à tarifs dispersés.

En bout de chaîne, les utilisateurs eux-mêmes se déclarent favorables au paiement instantané : 92 % des jeunes européens interrogés pour l’étude Galitt PayObserver de juin 2022 le trouvent utile ; plus de quatre Français interrogés sur dix déclarent que ce mode de paiement leur permettrait de mieux gérer leur argent ; et 34 % lui trouvent un aspect « rassurant », puisqu’il permet de vérifier que le paiement est bien passé.

Pourquoi une progression si lente, dans ce cas ? La principale raison est le prix du service : 70 % des Français interrogés par Galitt PayObserver affirment ne pas être prêts à payer pour profiter de cette rapidité.

Le paiement instantané poussé par l’évolution des usages et la concurrence

À l’échelle de l’Union, la possibilité de payer sans délai n’a pourtant rien d’une nouveauté. Le Royaume-Uni propose du paiement instantané depuis 2008, le Danemark, la Pologne ou la Suède, depuis 2012. 

En France, en revanche, « nous étions culturellement très axés sur la carte de paiement, explique Andréa Toucinho, directrice études, prospective et formations de Partelya Consulting. L’architecture des paiements par cartes fonctionne très bien en termes économiques, techniques comme de sécurité, donc la place financière n’a d’abord pas vu l’intérêt de changer – le système risquait surtout de cannibaliser l’écosystème carte ».

Côté particuliers, pourtant, « l’arrivée des services proposés par des fintech comme Lydia ou Pumpkin, ou l’offre de porte-monnaies électroniques a commencé à développer l’usage de paiements de petits montants en direct », note Marie Trimouille, senior manager chez Colombus consulting. Pour répondre à ces nouveautés, les plus grandes banques se sont associées et ont créé leurs propres services, comme Paylib, un système de virement pensé d’abord pour contrer PayPal, puis pour offrir des virements « entre amis » par SMS.

Si elles pallient la concurrence qui se déploie dans l’espace national, en revanche, ces solutions ne répondent pas à l’exigence de paiement au sein de la zone SEPA (Single European Payment Area). À l’été 2018, le groupe BPCE est donc le premier des acteurs traditionnels à se lancer avec SCT Inst, en proposant des virements instantanés payants. « Aucune obligation n’avait été fixée par la Commission, note Andrea Toucinho, ce qui explique qu’il y ait eu différentes manières d’aborder la question. En France, la place a opté pour une approche concurrentielle. » 

Le passage à l’instantané, un défi technique

Passer au virement instantané a un coût économique et technique que le directeur des paiements de La Banque Postale Régis Folbaum chiffre à plusieurs dizaines de millions de d’euros. Le plus cher n’est pas tellement de « tirer les tuyaux du paiement avec les systèmes d'échanges », c’est-à-dire passer du SCT à SCT Inst, indique-t-il, mais bien « d’adapter nos interfaces et notre système de tenue de compte au temps réel et de nous assurer que nos usines pourraient supporter la montée en charge ». 

De fait, dans le système traditionnel, les virements sont gérés par lots, de nuit. En instantané, il faut traiter l’activité comme elle vient, s’assurer d’avoir les capacités informatiques de gérer d’éventuels pics d’activité. « C’est cette partie-là qui nous a demandé le plus gros travail de migration. Faire payer pour cette instantanéité de traitement, ça n’avait donc rien d’incohérent pour les acteurs bancaires. » À la poste, continue le banquier, la lettre rouge a toujours coûté un peu plus cher que la verte parce qu’elle allait plus vite. Pourquoi pas le virement ? 

Une adaptation nécessaire des processus de sécurisation

Un autre défi est celui de la sécurité. Dans le schéma classique, les banques mettent à profit les temps de battements entre l’ordre de virement et la réception pour effectuer les contrôles nécessaires. L’évolution des logiciels de tenue de compte évoqués plus tôt permet le contrôle de la présence de l’argent sur le compte débiteur, d’abord. Mais il faut aussi vérifier l’éventuelle présence du nom de l’émetteur ou du bénéficiaire sur les listes de lutte contre le blanchiment des capitaux ou de financement du terrorisme (LCB/FT), et évacuer les faux positifs en cas d’homonymie. 

Sur le schéma SCT classique, les banques devaient faire les mêmes vérifications pour envoyer de l’argent dans la zone SEPA que vers des pays non européens. « Mais en dix secondes, c’est impossible de faire les vérifications LCB/FT » souligne Régis Folbaum. Pour passer à l’instantanéité, les organismes bancaires ont travaillé avec le Conseil européen des paiements à faire évoluer certaines obligations de sécurité. « Le paiement instantané a pris un aspect irrévocable que le virement classique avait moins », indique Marie Trimouille : en deux ou trois jours, l’usager pouvait éventuellement corriger une erreur, ce qui n’est pas possible en instantané. Par ailleurs, certaines logiques de contrôle ex-ante, qui ont cours pour les virements classiques, sont passés à des contrôles ex-post pour les virements instantanés. 

Pour une plus grande efficacité, La Banque Postale a axé son système sur la fluidité du parcours utilisateur : « le client bénéficie du virement instantané par défaut. Quand son bénéficiaire n'est pas accessible ou quand il y a un doute, en revanche, plutôt que de le bloquer, son virement passe par les rails SCT classique, le temps qu’on fasse les vérifications nécessaires. »

Dernier sujet : la lutte contre la fraude. Dans ce domaine, Régis Folbaum explique que l’Instant Payment a nécessité une « évolution de nos armes algorithmiques de détection. Plutôt que d’aller analyser le virement lui-même, on a déployé des techniques de biométrie comportementale. » Concrètement, cela consiste à s’intéresser plus à l’origine du paiement, au processus qui a mené à son déclenchement, pour y détecter les indices d’éventuels cas de fraude.

La recommandation de la Commission, une quasi-obligation de gratuité pour la France

En 2019, La Banque Postale a donc lancé le virement instantané, facturé 70 centimes d’euros aux particuliers et 80 pour les entreprises et professionnel. Courant 2021, selon mind Fintech, cette méthode avait atteint 10 % des volumes de virements. La Société Générale, qui s’y est mise à la même époque, comptait de son côté 15 % d’émission de virements en instantané en 2021. 

En Europe comme en France, l’usage a augmenté régulièrement : en décembre 2019, la Banque centrale européenne comptabilisait 5,7 % de virements instantanés parmi les flux SCT. En décembre 2020, ils étaient passés à 7,8 % et début 2022, à 11 %. Mais la Commission veut davantage, car elle chiffre à 200 milliards d’euros les sommes bloquées chaque jour parce qu’en transit. 

Migrer massivement vers le virement instantané gratuit, en somme, simplifierait les logiques comptables, ajouterait de la fluidité et de l’efficacité aux flux économiques. Pour les particuliers, cela reviendrait à généraliser des usages émergents et permettrait d’en développer de nouveaux, comme le paiement à la livraison. Côté entreprises, cela pourrait faciliter la facturation, la tenue de compte, et tout ce qui concerne la gestion de flux bien plus importants de capitaux. 

Dans ce contexte, Crédit Mutuel Arkéa et Boursorama ont proposé assez tôt la gratuité. La Banque Postale a suivi en étendant son service à tous ses usagers en avril 2022. Résultat, entre novembre 2021, où la migration n’était pas lancée, et novembre 2022, l’usage de l’Instant Payment a été multiplié par six pour atteindre 41 millions de virements, affirme Régis Folbaum. « Fin novembre 2022, 89 % des virements effectués par les particuliers sur l'application ou la banque en ligne de La Banque Postale étaient instantanés ».

Si les autres acteurs traditionnels français n’ont pas encore suivi, la proposition de loi de la Commission européenne annonce clairement la couleur. Elle s’appuie sur quatre piliers, dont une exigence de « garantir la disponibilité universelle des paiements instantanés en euros », l’exigence de renforcer la confiance dans les paiements instantanés » et celle d’ « éliminer les freins dans le traitement des paiements instantanés tout en préservant l’efficacité du mécanisme de filtrage des personnes faisant l’objet de sanctions ». 

Le quatrième pilier porte sur l’obligation « pour les prestataires de service de paiement de ne pas facturer les paiements instantanés en euros à un prix supérieur à celui des virements classiques ». En France, où l’immense majorité des virements traditionnels sont gratuits, cela se traduit, de fait, par une exigence de gratuité pour tous les virements instantanés.

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