COP27 : un numérique au second plan face à des thématiques urgentes

COP27 : un numérique au second plan face à des thématiques urgentes

Qui va payer ?

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Vincent Hermann

Publié dans

Économie

17/11/2022 13 minutes
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COP27 : un numérique au second plan face à des thématiques urgentes

La COP27, qui a démarré il y a plusieurs jours, se finira vendredi 18 novembre. De nombreuses annonces ont eu lieu, mais les principales pourraient n’arriver que dans les prochaines 48 heures, les plus gros dossiers étant gardés pour la fin. Passage en revue des principales problématiques abordées et des thèmes touchant directement le numérique.

La Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP27) a débuté le 6 novembre à Charm el-Cheikh, en Égypte. Le grand objectif, celui auquel l’Union européenne tente de peser de tout son poids, est le respect de l’accord de Paris et à la limitation d’un réchauffement climatique à 1,5°C. Comme nous allons le voir cependant, il est difficile parfois d’y voir clair, et les chiffres ne sont pas toujours ce qu’ils semblent être.

L’Union européenne dans une situation ambiguë

L’Union est actuellement l’une des plus vertueuses dans le contexte mondial, et elle se positionne lentement comme « bon exemple ». Mais tout est relatif : ce n’est pas parce qu’elle fait partie des meilleures qu’elle est en elle-même excellente.

Entre 1990 et 2020, l’Union a ainsi réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 31 %. Le chiffre est important, mais insuffisant, car l’Europe s’est lancée elle-même dans un programme ambitieux visant à atteindre une réduction de 55 % d’ici 2030. Or, au rythme actuel, elle n’atteindrait que 41 % et raterait son objectif dans les grandes largeurs. D’autant qu’à la COP27, Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a annoncé que l’Union était prête à grimper à 57 %.

Ce chiffre de 31 % est toutefois sujet à caution, car ne recouvrant qu’une partie d’une réalité économique plus complexe. En 30 ans, de nombreuses usines ont en effet été délocalisées en Chine, ce qui fait dire à Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, que la réduction serait plus proche des 10 %.

L’eurodéputé Pascal Canfin va dans le même sens : « C’est l’angle mort des négociations climat et de la façon dont les responsabilités, les objectifs des uns et des autres sont fixés​. La négociation onusienne s’est faite sur les émissions domestiques, sans intégrer les émissions importées ». Il cite en exemple « les émissions de l’industrie allemande, qui est très exportatrice », car « comptabilisées dans les émissions européennes, alors qu’une grande partie est dirigée vers les États-Unis ou la Chine ». Et, bien sûr, « ce qui est fabriqué en Chine et consommé ici n’est pas comptabilisé dans nos émissions ».

Mais les choses bougent. Au cours des derniers mois, l’Europe a avancé sur son pack « Fit for 55 », notamment sur la question des véhicules thermiques, l’objectif du zéro émission pour les voitures et camionnettes neuves d’ici 2035, ou encore des règles plus strictes pour les émissions de GES. Ces dernières imposent désormais des réductions de 10 à 50 % pour chaque pays, en fonction de critères comme le PIB par habitant et le rapport coût-efficacité.

La France va devoir bouger

Dans l’Hexagone, la situation est tendue, notamment depuis qu’Emmanuel Macron s’est exprimé dans un exercice qui se voulait simple et direct, sur la base de questions précises récoltées précédemment.

Le Président de la République a ainsi répondu sur plusieurs points, affirmant par exemple que la condamnation de la France pour inaction climatique par le Conseil d’État n’était « pas pour [sa] pomme », puisque portant sur la période 2015-2018, soit avant son quinquennat. Selon lui également, la baisse des émissions des gaz à effet de serre a doublé durant la période 2017-2022 par rapport aux cinq années précédentes. Enfin, il a affirmé que le gouvernement avait accepté 146 des 150 propositions de la Convention citoyenne pour le climat.

Mais tout n’est pas aussi simple. La première décision du Conseil, en novembre 2020, épinglait déjà le décret du 21 avril de la même année qui reportait « après 2020 et notamment après 2023 une partie de l'effort de réduction des émissions devant être réalisé ». Comme le souligne FranceInfo, le gouvernement avait décidé de polluer un peu entre 2019 et 2023, puis de rattraper le retard. Or, en juillet 2021, le Conseil d’État remet le couvert : ce retard ne pourra pas être rattrapé, à moins de prendre des mesures supplémentaires avant. Le gouvernement devait réagir avant le 31 mars, ce qui n'a pas été fait. L’eurodéputée et avocate Corinne Lepage a donc saisi à nouveau le Conseil d’État, qui n’a pas encore rendu de décision.

Le Président serait également allé un peu vite en besogne sur les émissions de gaz à effet de serre. En juin dernier, le rapport du Haut Conseil pour le Climat – créé en 2018 par le même Président – indiquait clairement que la réponse française au réchauffement était « insuffisante », même si elle progressait. En outre, même si la France est en phase avec les objectifs fixés pour 2019-2023, c’est « principalement dû aux effets de la pandémie de Covid-19, ainsi qu'au relèvement du plafond d'émissions du deuxième budget carbone lors de la révision de la SNBC2 ». Selon le HCC, il faudrait doubler le rythme actuel de réduction pour tenir compte de l’objectif de 55 % en Europe.

Enfin, selon FranceInfo, seuls 22 % des propositions faites par la Convention citoyenne ont été repris intacts, les autres ayant été « tronquées ou édulcorées, avec une réduction de leur périmètre ou un allongement des délais ». Le Président a d’ailleurs cité le cas des vols intérieurs, qui est un exemple de mesure tronquée : la Convention demandait l’interdiction des vols quand un train permettait de se rendre en moins de 4h à la destination, le gouvernement a abaissé cette limite à 2h30. La mesure est en plein examen au niveau européen, notamment car elle reste pionnière.

Ce « fact-checking » résume bien l’une des grandes composantes des débats sur l’environnement et le réchauffement climatique : des annonces parfois tonitruantes, qu’il faut ensuite entériner, avec les retards que l’on connait. Une composante que l’on retrouve dans les plus gros dossiers de la COP27, en particulier quand il est question de factures.

Financement et indemnisations : des problématiques complexes

L’une des grandes difficultés des COP est la même chaque année : il est difficile pour les pays dits « développés » de faire la leçon aux pays « en développement » qui aspirent à obtenir le même niveau de richesse. Celle des pays occidentaux est le plus souvent passée par une phase lourde d’industrialisation, dont les COP combattent justement les effets aujourd’hui.

Deux sujets reviennent ainsi d’année en année, particulièrement en Afrique où se tient la Conférence cette année : le financement de la transition énergétique pour les pays en développement et l’indemnisation des dommages climatiques. Deux points sur lesquels les pays présents à la COP n’ont que peu avancé, même s’il est possible que les décisions les plus importantes soient encore prises durant les deux derniers jours.

Pour résumer, les pays les moins riches sont souvent les plus confrontés au réchauffement climatique, puisque l’un de ses effets est d’augmenter la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles.

« L'absence de leadership et d'ambition en matière d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre est inquiétante », a ainsi fustigé Alioune Ndoye, ministre sénégalais de l'Environnement cité par La Tribune. Il juge les 30 dernières années « émaillées de déception ». Constat amer également pour Orlando Habet, ministre du changement climatique du Belize : « Lors de combien de COP avons-nous réclamé des actions climatiques urgentes ? Combien de plus seront nécessaires ? Combien de vies devrons-nous sacrifier ? »

De fait, il ne s’agit plus uniquement de prévenir, mais bien aussi de guérir. Et sur la « simple » prévention, le dernier rapport du Global Carbon Project donne le ton : les émissions de gaz à effet de serre provenant de la combustion des énergies fossiles ont pratiquement retrouvé leurs niveaux de 2019, donc avant la crise sanitaire. Pour rester dans la limite d’un réchauffement de 1,5° à horizon 2030, il faudrait que les émissions mondiales aient baissé de 45 % d’ici là.

Une urgence, à laquelle plusieurs pays répondent par des plans colossaux et ambitieux, dont le plus emblématique est celui qu’a réussi à faire voter Joe Biden aux États-Unis, prévoyant un plan de 370 milliards de dollars pour le climat. Ce dernier ambitionne de réduire les émissions américaines de moitié d’ici neuf ans. Au Mexique, un plan de 48 milliards de dollars a été voté pour diminuer les émissions de 35 %, contre les 22 % que le pays visait jusqu’à présent.

Mais la question qui fâche, c’est bien le financement des pays moins développés. Les États-Unis ne prévoient pour l’instant que 100 millions de dollars sur plusieurs années pour des travaux d’adaptation en Afrique. La France fait mieux avec 6 milliards par an jusqu’en 2025 pour le même type de travaux dans les pays en développement. Au Royaume-Uni, 11,6 milliards de livres seront débloqués en cinq ans.

La réparation des dégâts est encore plus complexe et les enveloppes sont moindres. Une soixantaine de pays vulnérables pourront ainsi bénéficier bientôt d’un « Bouclier mondial », qui vise à simplifier et élargir l’accès aux systèmes d’assurance. L'Allemagne, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la France et l'Irlande notamment y participeront à hauteur de 210 millions d’euros, dont 20 millions pour la France. Selon Actu-Environnement, le Bangladesh, le Costa Rica, les Fidji, le Ghana, le Pakistan, les Philippines et le Sénégal seront parmi les premiers à en profiter.

Mais le même mécanisme est critiqué, car il ne répond pas frontalement à la question de la réparation, les pays cités estimant qu’ils vont devoir payer pour des dégâts provoqués par d’autres, puisqu’ils font eux-mêmes partie des pays les moins pollueurs de la planète (l’Afrique produit dans son ensemble 4 % seulement des émissions de GES). Selon plusieurs ONG, les « quelques centaines de millions » mis sur la table seront très insuffisants face à l’amplification des dégâts, dont les coûts pourraient attendre 580 milliards de dollars d’ici 2030.

Autre sujet majeur, la déforestation. Ici, il y a une vraie progression depuis le changement de présidence au Brésil, Luiz Inácio Lula da Silva ayant remplacé Jair Bolsonaro. Il était particulièrement attendu à la COP27 et a annoncé la création d’une alliance avec l’Indonésie et la République Démocratique du Congo, qui partagent tous un point : les terres sont couvertes à plus de 50 % par des forêts humides. Il veut ainsi constituer un « bloc de forestiers, comme il y a des blocs de pétroliers », avec une intention claire : donner de la valeur à ces forêts, afin que leur préservation soit plus intéressante que leur exploitation.

Il compte également réinstituer « tous les organes de surveillance et de suivi qui ont été démantelés ces quatre dernières années ». Il a d’ailleurs prévenu : « Nous punirons rétroactivement toutes les actions illégales, que ce soient les chercheurs d’or, les mines ou les occupations de sol ». Il a par ailleurs appelé à la création urgente d’un fonds pour couvrir les dégâts climatiques et a promis une politique de « déforestation zéro », indique Le Monde.

Et les questions numériques ?

Elles sont pour la plupart liées à l’énergie, largement discutée depuis le début de la COP27, particulièrement en Afrique. Plusieurs projets ont été lancés : l’entreprise française HDF veut investir dans des centrales à hydrogène en Ouganda, Engie va construire un parc éolien de 3 000 MW dans le golfe de Suez, 400 millions d’euros seront investis dans les « énergies propres » en Afrique du Sud

On note également plusieurs éléments intéressants. Par exemple, Huawei semble particulièrement tirer son épingle du jeu dans cette COP27. L’équipementier chinois pousse ainsi à l’utilisation d’une norme pour mesurer de manière fiable la consommation énergétique des réseaux, en partant du constat que la sobriété énergétique se renforce partout. Cette norme, votée le 19 octobre par l’Union internationale des télécommunications (UIT-T), définit un indicateur clé de performance appelé intensité énergétique en carbone du réseau (NCIe).

Huawei a également présenté « Open Schools for All », projet développé en commun avec l’UNESCO, avec la collaboration des ministères de l'Éducation d'Égypte, d'Éthiopie et du Ghana. Il s’agit de faciliter l’adaptation des écoles à de nouveaux enjeux, dont ceux du réchauffement climatique, en leur permettant notamment de continuer à dispenser les connaissances dans des conditions variées et d’accéder plus aisément aux outils numériques.

Mais le numérique en lui-même n’a pour l’essentiel été abordé que comme un moyen, et certaines questions n’ont pratiquement pas été abordées, notablement celles des déchets et de l’impact environnemental inhérent. Problématiques que nous avions à nouveau soulignées lors de notre entretien avec NegaOctet. L’un des problèmes clés est que ces questions ne dépendent pas que des politiques mises en place, vigoureuses ou non : le comportement du consommateur joue une grande part.

En revanche, et bien que de manière informelle, le sujet de la désinformation était présent, les grandes entreprises étant invitées à jouer un rôle plus actif dans la modération, comme on peut le lire chez Newsweek. La question est d’autant plus sensible que l’arrivée d’Elon Musk à la tête de Twitter, avec une vision purement libertarienne de la modération, font craindre une diffusion plus massive de la désinformation liée au climat, plusieurs rapports faisant état d’une vague « anti-woke » réactionnaire, mélangeant de nombreuses thématiques. Des politiques plus strictes sont réclamées, par exemple pour Google, la moitié des sites niant le réchauffement climatique ayant des publicités fournies par Google Ads.

Le numérique n’a donc pour l’instant fait l’objet d’aucune annonce particulière en tant que tel, mais se retrouve presque à chaque fois intégré dans des thématiques plus vastes, comme la décarbonation de l’énergie, dont il est friand. Il s’efface cependant cette année devant des sujets cristallisant les tensions : réduction plus agressive des émissions, aide aux pays en développement pour s’adapter et indemnisations des catastrophes liées au réchauffement climatique.

Écrit par Vincent Hermann

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Sommaire de l'article

Introduction

L’Union européenne dans une situation ambiguë

La France va devoir bouger

Financement et indemnisations : des problématiques complexes

Et les questions numériques ?

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Commentaires (7)


Merci pour ce débunkage (avec France Info) des propos du président qui se permet de fanfaronner sur les réseaux sociaux malgré son inaction sur les sujets écologiques (premier mandat inclus).


Les civilisations en fin de balade ^^


Excellente synthèse, merci.


“Les États-Unis ne prévoient pour l’instant que 100 millions de dollars sur plusieurs années pour des travaux d’adaptation en Afrique”.
Budget militaire USA : entre 740 et 782 Milliards de $ annuel.



Ce chiffre de 31 % est toutefois sujet à caution, car ne recouvrant qu’une partie d’une réalité économique plus complexe. En 30 ans, de nombreuses usines ont en effet été délocalises en Chine, ce qui fait dire à Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, que la réduction serait plus proche des 10 %.




Comme d’hab avec les affirmations des EELV, il y a un écart avec la réalité. Ce serait bien de vérifier ces affirmations et demander leur source plutôt que de les prendre comptant par pur réflexe anticonformiste.
En Europe, les émissions de CO2 ont bien baissée d’environ 30%, même en comptant les émissions “exportées”. (7.76 Gt en 1990 contre 5.44 Gt en 2020)
https://ourworldindata.org/grapher/production-vs-consumption-co2-emissions?country=~Europe



Le numérique n’a donc pour l’instant fait l’objet d’aucune annonce particulière en tant que tel, mais se retrouve presque à chaque fois intégré dans des thématiques plus vastes, comme la décarbonation de l’énergie, dont il est friand.




Ce qui est parfaitement logique. La priorité écologique c’est lutter contre le réchauffement climatique due aux GES. La consommation des services numériques est anecdotique, en particulier face aux services rendus. Pire, le numérique est un vecteur d’économie d’énergie (télétravail, …). C’est plutôt une bonne nouvelle qu’on se concentre sur la réduction des émissions due au chauffage et aux déplacements.


“Ce « fact-checking »”
Merci pour ce travail. :yes: