NegaOctet : anatomie de la BDD sur « l’impact environnemental des services numériques »

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NegaOctet : anatomie de la BDD sur « l’impact environnemental des services numériques »
Crédits : William_Potter/iStock

NegaOctet a récemment dévoilé sa base de données permettant de juger l’impact écologique des services et machines du numérique. C’est tout du moins la promesse du consortium en charge du projet. Les concepteurs nous expliquent ses fondements, ambitions… mais aussi ses limites.

Le référentiel présenté par NegaOctet est le fruit « de travaux de recherche menés par LCIE Bureau Veritas, APL Data Center, GreenIT.fr et DDemain dans le cadre de l’appel à projet Perfecto 2018 » de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) indique le site officiel. Ce dernier vise pour rappel à l’« amélioration de la performance environnementale des produits & éco-conception logicielle ».

Le consortium en charge de NegaOctet est plus ancien : les premières études sur l'écoconception remontent à 2011. En 2017, il collabore avec la région Occitanie sur GreenConcept et obtient le soutien de l’ADEME en 2018.

NegaOctet

Le but est ici de mesurer – dans l’optique d’ensuite aider à réduire – « de manière significative l’impact environnemental des services numériques sur l’ensemble de leur cycle de vie ». Depuis les prémices du projet, NegaOctet dit avoir vu un changement de posture important du secteur : « au début, c’était un sujet qui était presque confidentiel. Entre-temps, on a eu un nombre d’initiatives important au niveau associatif, mais aussi réglementaire ». L’accord de Paris afin de limiter le réchauffement climatique est un bon exemple.

De leur côté, les sociétés ont de plus en plus recours à des plans de RSE (responsabilité sociétale des entreprises), définie par la Commission européenne comme « l'intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ».

Cela leur permet de faire le point sur leurs pratiques mais aussi le plus souvent de montrer « patte verte » et aussi de potentiellement recruter de jeunes talents pour qui l’aspect écologique est important. 

Si l’on combine tout cela avec l’explosion du prix des semi-conducteurs, des matières premières et de l'énergie, ainsi que les pénuries diverses et variées ; nous sommes sans aucun doute dans une période largement favorable pour tout ce qui touche à une approche plus « responsable » et économe à différents niveaux ; certains en profitent d’ailleurs allégrement. NegaOctet surfe lui aussi sur cette vague et annonce une base de données

Le consortium met en avant trois piliers : des règles du jeu communes (c’est-à-dire un cadre méthodologique), des données consolidées et des outils d’évaluation. C’est « sur la base de ce triptyque que le projet a été crée ». La base contient « 1 500 assets » avec 10 indicateurs, soit un total de 15 000 données, avec 25 configurateurs (nous y reviendrons). À part pour tester rapidement son fonctionnement sur des modèles bien précis, l’accès n’est pas gratuit et il vous en coutera entre 10 000 et 100 000 euros par an.

Quatre niveaux, du matériel aux services

Lors d’un échange avec la presse avant le lancement officiel de NegaOctet, Étienne Lees Perazsso (responsable logiciel chez LCIE Bureau Veritas) nous a détaillé les grandes lignes de ce projet.

 Pour commencer, la base est composée de quatre niveaux d’informations :

  • Niveau 1 : les composants (CPU, RAM, boitier, carte mère…)
  • Niveau 2 : les équipements complets (ordinateurs, tablettes, serveurs, objets connectés…)
  • Niveau 3 : les systèmes (notamment les machines virtuelles…)
  • Niveau 4 : les services numériques dans leur globalité (regarder une vidéo, envoyer un email…)

Le premier niveau est à la fois le plus précis et le plus complet ; il peut servir aux fabricants d’équipements par exemple. À contrario, un « fournisseur de solution web n’aura pas forcément une bonne idée sur les équipements et se basera sur le niveau des systèmes », ne sachant pas forcément quel CPU est utilisé par ses prestataires. 

Cette granularité permet de s’adapter au niveau de connaissance et de maitrise des acteurs, quitte évidemment à faire des approximations et/ou utiliser des moyennes si l’on ne connaît pas exactement le matériel utilisé, par exemple pour tout ce qui est « *aaS » (Infrastructure, Platform, Software as a Service).

NegaOctetNegaOctet

Homogénéité des données et certifications ISO

Afin d’assurer une cohérence de l’ensemble, « toutes ces données sont homogènes, du niveau 1 au 4 on est sur les mêmes méthodologies, sur des périmètres identiques, sur des données imbriquées ». NegaOctet affirme au passage être certifié ISO 14040 (Management environnemental — Analyse du cycle de vie — Principes et cadre) et 14044 (Management environnemental — Analyse du cycle de vie — Principes et cadre).

Les responsables du projet mettent en avant une « démarche opérationnelle, empirique, basée sur le besoin des entreprises et des utilisateurs, et qui soit également sécurisée et maintenable dans le temps ». La base de données a « fait l’objet d’une vérification de tierce partie externe » afin de s’assurer de sa conformité, sa cohérence et sa transparence.  Des promesses qu’il faudra juger sur la durée. 

10 indicateurs par défaut, d’autres sont calculables

« L’objectif c’est de fournir des KPI environnementaux qui sont calculés par données et la possibilité d’en calculer d’autres suivant les besoins […] On est par défaut à 10 indicateurs calculés, mais on a également les données […] qui permettent de calculer d‘autres en fonction des besoins », ajoute Étienne Lees Perazsso.

Voici la liste des 10 indicateurs par défaut : 

  • Changement climatique
  • Épuisement des ressources abiotiques minérales
  • Épuisement des ressources abiotiques fossibles
  • Émissions de particules fines
  • Épuisement des ressources en eau
  • Acidification
  • Radiations ionisantes
  • Consommation d’énergie primaire
  • Production de déchets
  • Bagage écologique : MIPS (quantité de matière déplacée, minérals notamment)

Pour son analyse du cycle de vie, NegaOctet affirme prendre en compte « toutes les étapes » du produit, c’est-à-dire « depuis l’extraction des matières premières et de l’énergie, jusqu’à la fin de vie incluant valorisation, recyclage, incinération… », mais avec des limites sur lesquelles nous reviendrons.

Là encore, la disponibilité des flux « permet de calculer d’autres indicateurs ».

« Mettre les mains dans le cambouis » pour obtenir des données

Étienne Lees Perazsso détaille comment les données ont été récupérées : « on a démonté les équipements, environ une cinquantaine, le but étant de "mettre les mains dans le cambouis" et de voir quels étaient les différents composants […], de faire de la rétro-ingénierie sur un certains nombres de produits ».

Vient ensuite la question de la fabrication des semi-conducteurs (SoC, mémoire, stockage…) « qui constitue une très forte partie des impacts environnementaux liés à la construction des équipements ». NegaOctet affirme prendre en compte l’ensemble des étapes pour les semi-conducteurs : de la fabrication du silicium, à la découpe des wafers, les masques, la gravure photolithographique, l’assemblage…

Afin d’avoir des données à peu près au goût du jour et donc tenir au maximum compte des avancées récentes de la technologie (et elles sont nombreuses chaque année), le consortium précise se « baser sur des données de 2019 ». C’est à la fois récent, mais aussi ancien dans le monde des semi-conducteurs. Des mises à jour sont prévues.

Ensuite, NegaOctet a « développé des configurateurs qui permettent à partir des différents composants (RAM, SSD…) de recréer des équipements. Typiquement un ordinateur portable ou fixe ». C’est ainsi que les données de la base peuvent passer du premier au second niveau. 

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Les limites du modèle

Interrogé sur la provenance des données, NegaOctet indique qu’il s’agit d’un cumul de différentes sources. Il y a évidemment des données « confidentielles » des fabricants de semi-conducteurs, qui sont complétées par des recherches bibliographiques et des déclarations RSE des principaux fournisseurs afin d’essayer d’avoir une vision complète et « de vérifier la cohérence » des informations. Impossible par contre de dire si c’est fidèle à la réalité.

Des limitations sont dans tous les cas de la partie. Le consortium en détaille certaines. Tout d’abord, il n’est pas possible de distinguer les différents types de réseaux – FTTH ou xDSL sur le fixe, 2G à 5G sur le mobile – car les différentes technologies sont « trop imbriquées » les unes avec les autres pour mettre en place une telle granularité. Pourtant, les empreintes écologiques entre le fixe et le mobile sont loin d’être équivalentes. Il existe certainement d’autres limitations du genre.

NegaOctet reconnait aussi être pour le moment aveugle sur la moitié de la gestion des déchets car « 50 % ne partent pas dans une filière légale »… et ne sont donc évidemment pas documenté ni répertorié par les constructeurs. La base de données n’en tient par conséquent pas compte et « considère la fin de vie dans un cadre légal ». Les responsables le reconnaissent lors de la session de questions/réponses : « C’est une limite de la base de données, il faut en être conscient ».

Revoilà l’empreinte écologique d’un email

Passons maintenant au côté pratique : l’utilisation des données. Étienne Lees Perazsso donne deux exemples . Le premier, basique, consiste à manipuler un « configurateur autoporté »

Dans le cas ci-dessous il s’agit d’un fichier Excel pour calculer l’empreinte de l’envoi d’un email : à partir de paramètres d’entrées (taille pièce jointe, durée de stockage, nombre de destinataires, zone géographique, type de terminaux) il permet de déterminer les impacts environnementaux.

Selon le résultat de NegaOctet, on peut voir que la quasi-totalité de l’utilisation des ressources provient des blocs émetteur et récepteur, soit les terminaux utilisés pour écrire et lire l’email ; cela ne surprendra personne. 

Une autre possibilité est de passer par EIME, un logiciel d’Analyse du cycle de vie (ACV) de LCIE Bureau Veritas. Il a pour but de « quantifier l’impact environnemental de vos produits et services tout au long de leur cycle de vie, identifier les pistes d’éco-conception et développer votre politique environnementale », selon son éditeur.

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Une version gratuite, la licence peut atteindre 100 000 euros par an

Valérie Gillet (ingénieur commercial chez Bureau Veritas) détaille le modèle économique : la base de données est constituée de deux parties. La première, gratuite, permet de « répondre à un besoin macro pour la réalisation de premiers calculs d’impacts dans le cadre d’une première évaluation ». N’espérez par contre aucune personnalisation des paramètres, il s’agit simplement d’avoir un premier aperçu avec des scénarios prédéfinis et non modifiables.

La seconde offre, payante, permet d’accéder à la totalité de la base de données. Deux formats sont proposés. Le premier utilise « Excel » avec 25 configurateurs ; il a vocation à être intégré au sein des entreprises. Le second est un « inventaire du cycle de vie » qui s’adresse plutôt aux experts et entreprises qui ont déjà réalisé ce genre d’analyses et mis en place des stratégies d’évaluation environnementale. 

Sur Twitter, Pierre Beyssac regrette cette formule : « Base gratuite mais pas trop... et en partie dans des formats propriétaires. Tout ça en limite la réutilisabilité. Dommage que ça ne soit pas en démarche #opendata ». Ce à quoi GreenIT (membre du consortium) répond que la base « est disponible au format ouvert ILCD EF 3.0 qui est le format standard des bases de données #ACV » et que « contrairement à la plupart des autres bases ACV réservées aux ACVistes, la base NegaOctet est aussi disponible dans un format de type CSV : Excel, LibreOffice, etc. ».

NegaOctetNegaOctet

La licence payante se divise en deux sous-catégories : « non commercial » pour un usage interne uniquement ou « commercial » avec – comme son nom l’indique – une utilisation commerciale autorisée. Dans tous les cas, la licence est « non exclusive » et « non transférable ». Le tarif dépend du type de licence et de la taille de l’entreprise.

Comptez entre 20 000 et 100 000 euros la première année (hors université et freelance), puis un tarif divisé par deux les années suivantes. Un engagement de trois ans est demandé, ainsi que l’adhésion à l’association en charge de ce projet en sus. 

Une association pour gérer la base de données

L’association justement va prendre de l’importance : « les besoins au niveau de ce projet on est évolué. Il s’est avéré qu’il était nécessaire d’entrer dans une logique de pérennisation de la base, or ce n’était pas la vocation première du consortium et de ses membres, le but étant ouvrir et d’étendre la gestion de la base de données à tous, ainsi que sa gouvernance », explique Valérie Gillet.

« C’est de ceci qu’est venue la volonté de créer une association. Les membres gèreront la gouvernance, la pérennisation, la mise à jour et la maintenance ». Le transfert du consortium vers l’association devrait se faire sous trois ans. Reste maintenant à juger de la pertinence des données et des configurateurs de NegaOctet à l’aune des premiers retours. Il faudra alors comparer les résultats obtenus avec ceux d’autres outils/BDD d’analyse du genre.

Il faudra aussi surveiller la fréquence des mises à jour et de l’entretien des données. 

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